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FRANCESCO PITTAU – Ou l'art du conteur : "Derrière un petit maître, il y a plus de place pour une jeune pousse"

Écrit par Lepetitjournal Francfort
Publié le 25 novembre 2015, mis à jour le 27 novembre 2015

Francesco Pittau, auteur et illustrateur belge, finaliste du Prix Rossel 2015 avec "Tête-Dure", est venu à Francfort dans le cadre de la "Frankfurter LeseEule". A l'instigation de l'association de parents d'élèves, UPEA, et du Lycée Victor Hugo (LFVH), il a animé plusieurs ateliers rassemblant 200 enfants sur 8 classes à l'école européenne, au LFVH et à la bibliothèque de Rödelheim du 17 au 19 novembre 2015.

(Crédit photo Françoise Lison-Leroy)

Vanté pour son égale authenticité face aux enfants comme aux adultes par Nicolo, pour la richesse de son inspiration par Walid, pour sa profonde passion des lettres par Nina et pour son humilité bienveillante par Mathilde, Francesco Pittau a accordé à lepetitjournal.com/francfort un long entretien.

Lepetitjournal.com/francfort : Quelle a été votre enfance ?

J'ai eu une enfance marrante, J'ai beaucoup rigolé. À l'école, j'étais capable du meilleur comme du pire ; je pouvais être excellent et, la fois suivante, ne pas du tout avoir envie de répondre. Je ne tenais pas en place. J'étais turbulent mais pas méchant. À la maison au début, on parlait surtout italien et sarde, je me suis mis au français au contact de l'extérieur. J'ai appris à lire avec des illustrés. J'ai insisté pour que mes parents les achètent, car on avait peu de livres à la maison. Vers 6 ans, je me souviens d'avoir lu Don Quichotte de Cervantès. En fait, quand je suis entré à l'école, je savais déjà lire. Je me rappelle qu'un jour mon père a ramené deux volumes d'une brocante : le premier était Les Exploits du Brigadier Gérard de Conan Doyle et l'autre une sélection du magazine Lecture pour tous, une revue de la fin du XIXe siècle ; on y trouvait un reportage illustré sur le Paris du XIXe siècle. Ces dessins m'avaient tellement marqué que, lorsque nous sommes allés à Paris un peu plus tard, j'étais déçu de ne trouver personne en habits de la Belle Époque.

Comment avez-vous commencé à écrire ?

J'ai commencé à écrire vers 6 ans. L'instituteur nous avait demandé de raconter un voyage. J'ai décrit un voyage en Italie et je me souviens même avoir imaginé un train de nuit. Je me suis tout de suite rendu compte que j'aimais écrire. Le professeur n'en revenait pas : il m'a demandé si j'avais écrit ça tout seul ou si on m'avait aidé. Après, je n'ai plus jamais arrêté. Je me rappelle avoir eu la prétention de griffonner directement sur certains livres ; ils ne me plaisaient pas tels quels, et je m'imaginais pouvoir faire mieux que leur auteur (Rires). Je crois beaucoup à l'imitation. Et souvent on apprend mieux avec des auteurs considérés comme mineurs. Derrière un petit maître, il y a plus de place pour une jeune pousse. Proust, par exemple, s'est greffé sur une série de petits auteurs oubliés du XIXe siècle.

Pourquoi écrivez-vous ?

Je ne suis pas un auteur torturé. Ce qui m'intéresse dans l'écriture, c'est de m'amuser. Si quelque chose me fait mal, j'arrête de suite. En général, j'écris plusieurs livres à la fois. Ça me permet de ne pas m'ennuyer. Quand je suis bloqué sur l'un, je passe à un autre avant d'y revenir plus tard. Rester concentré sur un seul ouvrage, je n'y arrive pas. Parfois en écrivant, une idée marrante me vient ; comme ça me fait rire, je la note et je la mets de côté. Quand j'écris, je m'encourage tout seul. J'ai toujours aimé l'écriture. C'est un plaisir simple, en fait. Ce qui ne veut pas dire que c'est toujours facile. Concevoir des livres-objets, des livres compliqués, comme mes Bestiaires, cela m'amuse beaucoup. Je fais parfois des séries de livres autour d'un même thème ; à chacun, j'essaie de voir le thème autrement. Chez moi, j'ai beaucoup de choses déjà rédigées mais pas encore publiées. Et la retraite, c'est une idée que je ne comprends pas, que je n'ai jamais compris et que je ne comprendrai jamais.

(Photo Dominique Petre)

Qu'est-ce qui vous pousse à publier ?

L'écriture en elle-même, ce n'est rien que pour moi. Si je mets son travail sur papier, c'est pour le montrer aux autres. On a envie de partager un point de vue avec les gens. Si mon livre plaît aux autres, alors ça me fait plaisir. Mais si les gens peuvent apprendre un petit quelque chose, alors je suis heureux. Apprendre à voir une chose avec un ?il neuf, c'est merveilleux. J'aime bien Giono, par exemple, j'ai appris à regarder la nature grâce à lui.

Comment avez-vous commencé publier pour la jeunesse ?

Mon premier livre était une bande dessinée. J'ai travaillé un an pour le magasine Spirou. Aujourd'hui, je suis en train de préparer de nouveaux projets de BD. Je connais bien la BD. Ce n'est pas du tout un genre mineur pour moi, il y a des histoires qu'on ne peut raconter qu'avec ce genre. À l'époque, je faisais des découpages de planches. D'ailleurs, j'ai tendance à tout mettre en cases. J'ai une très bonne bonne mémoire photographique. Je vois tout en volumes. Dès que je rentre dans une pièce, je la décompose en volumes simples. C'est comme un réflexe. Quand j'écris, je visualise tout. Si un personnage marche dans une rue, je me déplace avec lui. J'ai aussi fait les Beaux-Arts à Mons, mais je ne voulais pas aller à Bruxelles. Je ne suis pas snob ; je n'aime pas les gens qui sont figés dans un personnage. Aux Beaux-arts, ma femme [NdA : Bernadette Gervais] voulait faire des livres, mais elle dessine surtout. Alors, je lui ai proposé de m'occuper des textes. Au début, ça n'a pas été convaincant. Mais, en observant plus tard le marché, j'ai remarqué que le monde de l'enfance était idéalisé ; on ne trouvait rien sur les sécrétions, les déjections ; alors on a fait "Prout", l'histoire d'un petit éléphant qui aime bien péter. Après, on a eu la chance de tomber sur le Seuil, et ça leur a plu. Depuis, j'ai aussi fait des couvertures ou des dessins, mais jamais sur mes propres textes. J'aurais l'impression de bégayer. Je préfère illustrer le livre de quelqu'un d'autre.

Et comment en êtes-vous venu au public adulte ?

Par la poésie. J'adore des auteurs comme le poète libanais Georges Schéhadé, ou les limericks de Edward Lear, ou le burlesque des fatrasies du Moyen-Âge. Les poèmes, je les aime tous et je les déteste tous. C'est pour ça que j'en écris. En 2001, un éditeur de la Maison du Seuil m'a proposé de publier ma poésie et du coup nous avons sorti Un Crabe sur l'épaule. Depuis, j'ai continué à en publier, y compris de la poésie pour enfants. Au début de l'année 2015, un éditeur belge m'a ensuite proposé de publier mon premier roman ; comme je m'efforce de rester ouvert à ce que me donne la vie, j'ai accepté de faire paraître Tête-Dure. Mais jamais je n'aurais pensé être finaliste du Prix Rossel avec ce livre. Ça a été une surprise complète. Un peu comme en juillet dernier, quand j'ai appris que la revue du Matricule des anges [NdA : une revue littéraire de référence] m'avait consacré un article. Ça m'a valu des critiques de la part du milieu littéraire. On me reprochait d'être un auteur débutant et de ne pas y avoir ma place. Comme si, pour ces gens-là, les livres jeunesse ne pouvaient pas aussi être de la littérature. En grandissant, il vaut mieux garder une part d'enfance. On demande souvent aux gens de s'en défaire pour devenir sérieux. C'est une erreur. Après tout, Picasso, c'est juste un gamin qui s'est mis à dessiner et qui a poursuivi son plaisir d'enfant.

Interview réalisée par Cédric Samson (www.lepetitjournal.com/francfort), jeudi 26 novembre 2015

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Publié le 25 novembre 2015, mis à jour le 27 novembre 2015

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