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FEMME D’EXPAT, la vie enchantée?

Illustration : Les Trepidantes Aventures de Mlle C de Charline Fabry
Écrit par Lepetitjournal.com International
Publié le 5 septembre 2010, mis à jour le 5 septembre 2013

Elle sont un petit peu agaçantes ces femmes d'expatriés qui lâchent toutes les contraintes d'une vie française pour aller se dorer au soleil, aux frais de l'entreprise. Farniente au bord de la piscine, personnel de maison à temps complet, voyages à gogo au bout du monde avec les copines : la vie enchantée, vraiment ?



Illustration : Les Trepidantes Aventures de Mlle C de Charline Fabry

"Qu'est-ce que je fais là ?": question récurrente chez la conjointe restée seule dans son nouvel appartement, après le départ du mari au bureau et des enfants au Lycée Français.  En France,  Elisabeth Badinter crée le buzz avec son livre Le conflit, la femme et la mère, dénonçant la mise en péril des avancées féministes par les diktats liés à la maternité remis au goût du jour.  Qu'en est-il du statut de la femme plongée dans le monde de l'expatriation en tant que conjointe? Très rarement sollicitée lors de l'entretien préalable mené par la Direction des Ressources Humaines,  la conjointe est en quelque sorte, dans cette aventure, un passager clandestin qui ne correspond à aucune réalité, financière ou statutaire : l'allocation logement est calculée en fonction du nombre d'enfants et pas de la présence ou non d'un partenaire, les pertes du 2ème revenu et des  droits à la retraite sont niées et la carrière du conjoint devient tout à fait secondaire. Conjointe d'expatrié, la femme perd son autonomie financière et juridique.

En effet, dans de très nombreux pays, le conjoint, des femmes pour 85% des cas selon une vaste enquête menée par la Permits Foundation(1), ne peut travailler ou ne peut le faire que sous certaines conditions. Or l'enquête de Permits Foundation montre que si 96% des conjoints souhaitent s'expatrier dans un pays qui leur permette de travailler, 65 % ne travaillent pas une fois sur place. JM, DRH expatrié à Singapour pour une entreprise française le reconnaît : "les entreprises exploitent sans le dire, les conjoints en leur déléguant l'insertion matérielle et culturelle de leurs expatriés" : beaucoup d'entre eux se noient progressivement dans une intendance compliquée et dévalorisante pour installer la famille sur le lieu d'expatriation et organiser son quotidien. La carrière du "conjoint suiveur", faite de ruptures et devenue "carrière accessoire", est ainsi largement décrédibilisée aux yeux des employeurs potentiels. Sur-diplômées, (1)  et inactives  pour 65% d'entre elles (2), les conjointes vivent souvent mal cette situation et doivent faire face à un insidieux choc sociologique lié à la perte de ce statut, auquel elles ne s'attendaient pas.

Le triple choc
On ne saurait dès lors limiter le choc ressenti en expatriation au seul choc culturel découlant des effets de la confrontation à une culture nationale différente.  Ce choc est souvent anticipé : géré parfois par l'entreprise, connu souvent par tout un chacun, ne serait-ce qu'à l'occasion  d'un voyage à l'étranger.  Un troisième choc, le choc affectif, apparaît enfin en raison de la rupture de communication qui s'établit entre la conjointe et son époux, son entourage amical et familial resté en France : on ne comprend pas pourquoi elle n'est pas épanouie : piscine, soleil, personnel à domicile parfois, n'a-t-elle pas "tout pour être heureuse" ?  Victoria Hine, directrice de Lifeline International, une aide téléphonique de support psychologique pour les expatriés de Shanghai, explique que  le déphasage est d'autant plus fort que le lieu d'expatriation est assimilé à un lieu de vacances, idyllique aux yeux de l'entourage. 

L'omerta sur le malaise des conjointes
Sylvie Verdière, psycho-thérapeuthe basée à Singapour, alertée par la souffrance repérée lors de ses consultations, a mené une enquête (3) sur les effets psychologiques de l'expatriation sur les conjointes.  "J'avais prévu des entretiens semi-directifs  menés auprès des conjointes sélectionnées pour cette recherche", indique Sylvie Verdière,  "mais les questions préparées se révélèrent vite inutiles : c'était comme un robinet qui coule.  Ces femmes avaient un vrai besoin de s'exprimer". Il existe en effet une forte omerta sur le malaise des conjointes.  Le mythe de l'expatriation doré, dans la ligne droite de l'image de la vie coloniale, est solidement ancré dans les esprits, au point que les expatriés eux-mêmes s'y accrochent. Bien entendu, tout le monde n'est pas désespéré en expatriation.  L'expatriation représente pour certaines un souffle d'air pour profiter d'enfants en bas-âge ou après un début de carrière épuisant. Sylvie Verdière note cependant un risque élevé de perte d'estime de Soi chez les conjointes. Ces dernières, on l'a vu, ont un statut socialement dévalorisé ; beaucoup d'entre elles, par ailleurs ont la sensation de perdre la maîtrise des choses et des évènements liées à leur vie.  D'une localisation à l'autre, l'ensemble de leur univers est  remodelé au gré des besoins de l'entreprise. Avec la crise, l'effet s'accentue : "J'ai été contraint d'accepter cette nouvelle mutation à Tokyo, souligne un expatrié  qui quitte Honk Kong huit mois après son installation.  Et pourtant ça nous fera 3 déménagements en 3 ans ! C'était ça ou perdre mon emploi".   Sylvie Verdière souligne que le registre de la perte et du deuil est très présent chez la femme conjointe d'expatrié : deuil d'évènements qui ne seront jamais vécus avec la famille restée dans le pays d'origine mais aussi deuil récurrents de lieux et d'amis quittés à chaque nouvelle localisation.

Si l'on ajoute que le taux de divorce des couples expatriés est  de 49 % supérieur à celui des sédentaires (4), on comprendra que l'expatriation n'est décidément pas toujours un long fleuve tranquille pour de nombreuses femmes, et familles. Il serait temps que les entreprises tiennent compte, à parts égales,  des deux adultes lancés dans l'aventure : il est urgent que la fonction RH ne considère plus le conjoint comme un personnage fantôme et lui offre les moyens de poursuivre un projet personnel et professionnel.
Stéphanie Talleux (www.lepetitjournal.com) lundi 5 septembre 2011 (réédition)

Retrouvez les aventures de Mlle C sur son blog http://mlle-c.blogspot.com et dans lepetitjournal.com de Singapour tous les 15 jours.
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Notre dossier :
VOS TEMOIGNAGES - Femmes d'expatrié, un enfer au paradis ?
3 QUESTIONS... à Françoise Cazalis, rédactrice en chef de Femmexpat.com
De notre édition de Singapour :
DOSSIER - Femmes conjointes d'expatriés à Singapour, un effet Canada Dry
Les femmes d'expatriés ne vont pas toutes au paradis
De notre édition de Varsovie : Conjoint d'expatrié en Pologne

(1)    Selon une étude menée par la Permits Foundation sur  une population de 3300 personnes,  de 120 nationalités différentes et basées dans 117 pays d'accueil.
(2)    Op. cit.
(3)    Sylvie CURE VERDIERE, Le syndrome spécifique de la femme conjointe expatriée: Registre de la perte et estime de Soi", Mémoire de Maitrise de Psychologie Clinique et Pathologique, Universite Paris 8, 2005-2006.
(4)    Jean-Luc CERDIN, L'expatriation, Editions d'Organisation, Paris, 2002.

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