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FISCALITÉ - Pourquoi le projet européen d’harmonisation fiscale inquiète l’Irlande

Écrit par Lepetitjournal Dublin
Publié le 1 août 2017, mis à jour le 2 août 2017

 

C'est en Europe que les grandes filiales américaines profitent des taux d'imposition les plus bas. Mais face au dumping fiscal prôné par Donald Trump aux États-Unis, l'Europe a tout intérêt à mettre fin à cette concurrence fiscale en son sein en harmonisant l'impôt sur le bénéfice. Bruxelles avait présenté une proposition de directive en ce sens début novembre 2016, qu'en est-il aujourd'hui ?


Si Google, Facebook et Apple ont posé leurs valises en Irlande, c'est davantage pour son taux d'impôt sur les sociétés relativement bas que pour la beauté du paysage. Aujourd'hui, les entreprises basées en Irlande profitent d'un taux d'imposition pour le moins compétitif voire très concurrentiel au regard de ses voisins européens. Son taux d'imposition sur les sociétés est toujours de 12,5 % contre 15 % en Allemagne et plus de 33 % en France, la moyenne européenne est elle de 23,9 % contre 17 % en Asie par exemple. Mais les mesures drastiques de Donald Trump pour réduire le taux d'imposition des sociétés américaines de 35 % à 15 % et les récents scandales d'évasion fiscale, dont font partie les Panama Papers, obligent les États de l'Union européenne à remettre les discussions sur la fiscalité à l'ordre du jour.

C'est en Europe que les grandes filiales américaines profitent des taux d'imposition les plus bas.

Le projet d'harmonisation fiscale en Europe

La réforme d'harmonisation fiscale voulue par la Commission européenne est ambitieuse. Elle s'inscrit dans le processus de mise en place de l'Union économique et monétaire entre les États membres. Une première fois envisagée dès 1997 afin de « cimenter » le projet de monnaie unique en Europe, la réforme fiscale avait été abandonnée avec le succès initial de l'euro.

La deuxième fois que les États se penchent sur la question est en 2011 lorsque la Commission Barroso examine un premier projet de directive européenne. Les débats sont coupés courts au vu des préoccupations des États concernant leur souveraineté. La Commission ne parvient pas à obtenir l'unanimité des vingt-huit États membres du Conseil européen. Le Parlement ne donnera pas son feu vert, empêchant donc la réforme d'être définitivement adoptée.

Jamais deux sans trois

Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'Union douanière, est porteur de la relance du projet. Il souhaite aboutir en présentant une nouvelle version de la directive dite Accis (Assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés, NDLR). Cette réforme se ferait en deux temps.

Premièrement, il s'aigrirait de proposer aux différents États un mode de calcul harmonisé du bénéfice imposable des entreprises au niveau européen. Aujourd'hui les entreprises européennes sont obligées de jongler avec vingt-huit modes de calcul différents pour leurs déclarations d'impôts. Pour le dire plus simplement, une entreprise comme Apple devrait ainsi payer ses impôts en proportion de ses ventes dans les différents pays et payer un taux identique d'imposition sur son bénéfice partout en Europe. Jusqu'à présent, les deux filiales irlandaises du groupe Apple empochaient les millions de bénéfices engrangés par les ventes réalisées à l'étranger mais ne payaient que 50 euros de taxes.

Les deux filiales irlandaises du groupe Apple ne payaient que 50 euros de taxes.

De plus, Bruxelles souhaite proposer aux États et au Parlement européen que les entreprises basées en Europe puissent compenser leurs pertes et/ou leurs profits au niveau de leur société mère. De ce fait, ce serait un premier pas de fait vers une déclaration fiscale unique à l'échelle de l'Union, et permettrait en outre plus de transparence.

Pourquoi l'Irlande s'inquiète ?

Les sujets relatifs à la fiscalité sont particulièrement récurrents mais sensibles en Irlande et pour cause, l'île d'émeraude possède avec le Luxembourg l'un des taux d'imposition sur les sociétés les plus bas d'Europe, voire du Monde. C'est une aubaine économique qui procure un sacré avantage lorsqu'il s'agit de séduire les grandes entreprises et multinationales. Pour comprendre les intérêts de l'Irlande mais aussi ses craintes quant au projet d'harmonisation fiscale européen, il est essentiel de rappeler son statut.

Frappée de plein fouet par la crise économique et financière en 2010 et 2011, le pays avait dû accepter un plan de sauvetage européen pour renflouer les caisses. En contrepartie de cette aide, la France et l'Allemagne, principalement, ont exigé que Dublin mette fin à ce taux très bas, un taux concurrentiel. Mais les Irlandais avaient eu gain de cause du fait de leur convalescence et de leur situation géographiquement défavorable car excentrée, la fiscalité avait alors été considérée comme la seule manière d'attirer les investisseurs étrangers et de se remettre sur pied.

L'Irlande est une petite économie qui fonctionne principalement sur les échanges. Elle exporte plus de 80 % de sa production de biens et services ce qui signifie qu'elle ne peut prendre appui ni sur un grand marché intérieur, ni sur les employeurs locaux, pour soutenir sa croissance économique. Sa prospérité est donc tributaire des échanges commerciaux.

Lors de leur rencontre le 22 mai dernier, Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances et son homologue français, Bruno Le Maire, ont fait savoir auprès d'un groupe de travail qu'ils travaillaient ensemble pour formuler des propositions concrètes concernant l'impôt sur les sociétés en Europe. À l'issue du conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu à Paris jeudi 13 juillet, Emmanuel Macron et la Chancelière fédérale Angela Merkel se sont engagés à adopter une "position commune" concernant le projet de réforme.


La mesure, initialement proposée par la Commission européenne, devrait être mise en place d'ici fin 2017. Un relevé de conclusions remis par l'Élysée indique que le projet devrait permettre d' "accélérer l'harmonisation fiscale européenne et, en tenant compte des progrès réalisés sur la directive, permettre la mise en ?uvre de mesures de convergence spécifiques sur une base bilatérale".

Crédit vidéo : « Comment APPLE fraude le fisc en Europe ? » / Le Fil d'Actu - Officiel / 20 sept. 2016

Crédit photo : ©Clemence Hutin / Militants « Friends of the Earth France » au siège de BNP Paribas, l'une des banques les plus impliquées dans l'évasion fiscale / 13.12.2015

Elisa Mau (www.lepetitjournal.com/dublin) Mardi 1er août 2017

logofbdublin
Publié le 1 août 2017, mis à jour le 2 août 2017

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