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ÉLECTIONS – Un nouveau paysage politique fragmenté

Écrit par Lepetitjournal Dublin
Publié le 4 mars 2016, mis à jour le 3 mai 2016

 

 Les résultats des élections générales irlandaises de vendredi 26 février sont enfin tombés, après cinq jours de décompte des voix. Le nouveau paysage politique qui en ressort paraît plus morcelé, rendant très délicate la tâche de former une nouvelle majorité.

Il arrive que les sondages se trompent. On se souvient notamment de l'élection générale britannique de mai 2015, à la veille de laquelle les enquêtes d'opinion avaient donné Ed Miliband et le Labour grands vainqueurs - et pourtant, les conservateurs l'avaient largement remporté. Mais cette fois-ci, les élections générales irlandaises du vendredi 26 février ont donné des résultats relativement proches de ce que prédisait le dernier sondage d'opinion en date, publié quatre jours avant le scrutin. Ces résultats, qui se sont fait attendre avant d'être finalement publiés jeudi 3 mars, dévoilent un paysage politique radicalement transformé.

Pour rappel, en 2011, le Fine Gael (centre-droit) et le Labour Party (centre-gauche), récoltant respectivement 36,1 % et 19,4 % des voix, avaient pu détrôner le Fianna Fáil (centre-droit), sanctionné pour sa gestion de la dure crise qui avait touché le pays, perdant ainsi 24,2 points et 57 sièges au Dáil (chambre basse du Parlement). La nouvelle coalition, se voulant plus moderne et plus tournée vers l'Union européenne, a pourtant mené depuis des politiques économiques et sociales s'inscrivant dans la continuité de celles du gouvernement précédent, sous le signe de l'austérité, dans le respect des réformes structurelles demandées par le FMI, la Commission européenne et la BCE en échange de l'aide financière accordée au pays. La ligne gouvernementale est loin d'avoir fait l'unanimité parmi la population, et a même provoqué des vagues de colère sociale, particulièrement visibles lors des mobilisations contre la facturation de l'eau courante prévue dans le mémorandum du plan d'aide.

Fin de partie pour la coalition de 2011

Les résultats traduisent d'ailleurs en partie ce mécontentement social. Le Fine Gael, s'il reste en tête, a chuté de plus de 10 points par rapport à 2011, recueillant 25,5 % des voix. Son allié, le Labour Party, est celui qui a été le plus durement sanctionné : alors qu'il s'était hissé en 2011 pour la première fois de l'histoire politique irlandaise en deuxième place avec 19,4 % des voix, il est retombé à? 6,6 % ! Une défaite douloureuse qui empêchera l'alliance de former un nouveau gouvernement : alors que 80 sièges sont requis pour gouverner, les 50 sièges du Fine Gael et les 7 du Labour à eux seuls sont loin du compte. Cette chute brutale du parti travailliste s'explique par un sentiment de trahison de son électorat de gauche, déçu, alors qu'il lui avait accordé sa confiance en 2011 contre l'austérité et pour la préservation de l'État-providence, de le voir finalement signer pour cinq ans avec le Fine Gael pour appliquer cette même austérité.

Percée étonnante du Fianna Fáil

Un autre élément majeur de ce scrutin est la remontée du Fianna Fáil, qui a apparemment réussi à se défaire de sa réputation de mauvais gestionnaire : il a récolté 24,35 % des voix, talonnant le Fine Gael à un peu plus d'1 point, et fait plus que doubler son nombre de sièges au Dáil. Ce paradoxe apparent s'explique par le discours populiste visant toutes les couches de population qu'a adopté le parti, lui permettant de faire campagne pour l'investissement dans les services publics et en particulier la suppression de la facturation de l'eau courante, mesure très impopulaire. Le parti de centre-droit, qui avait dominé toute la vie politique de l'après-Seconde guerre mondiale, a réussi à s'imposer comme première force d'opposition à la coalition au pouvoir, détrônant ainsi le Sinn Féin. Ce parti nationaliste de gauche, ex-vitrine politique de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), avait réussi à capitaliser sur la grogne populaire contre l'austérité, et s'était même hissé au rang de premier parti du pays dans les enquêtes d'opinion en 2015 avec jusqu'à 24 % d'intentions de vote, favorisé à la fois par les mouvements sociaux contre la facturation de l'eau courante et l'essor de la gauche radicale en Grèce et en Espagne. S'il n'a finalement obtenu que 13,85 % des voix au scrutin de vendredi dernier, il devient tout de même pour la toute première fois la troisième force politique en République d'Irlande, remportant 23 sièges au Dáil, soit 9 de plus qu'en 2011.

Les indépendants et petits partis, faiseurs de rois

Troisième et dernière leçon de ce scrutin : l'essor sans précédent des candidats indépendants et issus de petites formations politiques. Les indépendants totalisent 17,8 % des suffrages ; certains d'entre eux pourront éventuellement servir de force d'appoint à la future majorité. Le parti ultraconservateur et ultralibéral Renua Ireland n'entre finalement pas au Dáil, n'atteignant que 2,2 % des suffrages. Le Green Party, lui, fait son retour sur la scène politique irlandaise avec 2,7 % et 2 sièges, après avoir été balayé du Dáil en 2011, puni pour son alliance avec le Fianna Fáil. Il pourrait ainsi tenter de faire valoir ses revendications écologiques, quasiment absentes des débats nationaux. Les Sociaux Democrats, qui se sont formés en 2015 et s'inspirent des modèles sociaux-démocrates scandinaves, figureront pour la première fois sur les bancs du Dáil, avec 3 sièges et 3 % des voix. Enfin, Anti-Austerity Alliance-People Before Profit (AAA-PBP), alliance électorale de partis anti-austérité, très actifs pendant les mouvements contre la facturation de l'eau courante, ayant même appelé au boycott des factures, s'imposent comme le « premier petit parti », avec 4 % des suffrages et 6 députés, soit un de moins seulement que le Labour. Elle pourrait s'entendre avec le Sinn Féin pour donner plus de poids à l'opposition de gauche radicale.

>>> Quelles sont les forces en présence aux élections générales ?

Perspectives incertaines

Ces résultats signent l'ouverture d'une période de flou politique, et laissent planer l'incertitude quant à l'avenir économique et social du pays. Les deux partis arrivés en tête du scrutin ont jusqu'au jeudi 10 mars pour tenter de former un nouveau gouvernement devant les 158 députés fraîchement élus. Enda Kenny, le Taoiseach (chef du gouvernement) sortant, a fait savoir qu'il dialoguerait avec les partis, y compris avec son rival historique, le Fianna Fáil, pour tenter de trouver un accord débouchant sur la formation d'une nouvelle majorité gouvernementale. Une alliance entre les deux partis de centre-droit serait un symbole historique, alors qu'ils s'étaient initialement opposés à propos du traité anglo-irlandais de 1921 qui actait la partition de l'île d'émeraude et l'indépendance de sa partie sud. Seulement, un tel pacte pourrait constituer une erreur stratégique majeure pour les deux partis : d'abord parce qu'ils risqueraient de décevoir leur électorat après s'être énergiquement affrontés pendant la campagne, s'accusant mutuellement de tous les maux du pays, et ensuite et surtout parce que former une majorité libéral-conservatrice serait laisser au Sinn Féin le monopole de l'opposition, lui permettant de former avec AAA-PBP, voire les sociaux-démocrates et les travaillistes, un axe progressiste et anti-austérité. L'autre possibilité serait pour le Fine Gael de former un gouvernement minoritaire et de compter ponctuellement sur le soutien du Fianna Fáil au Dáil. Mais les partis laisseront-ils un nouveau schéma politique aussi instable, qui tiendrait difficilement les cinq prochaines années, s'imposer ? Rien n'est moins sûr. Si les tractations entre les partis ne débouchent sur rien, un nouveau scrutin pourrait être programmé, tout comme cela semble en prendre le chemin en Espagne, où les partis arrivés en tête des élections de décembre 2015 ne sont toujours pas parvenus à s'entendre.

 

Timothée de Rauglaudre (lepetitjournal.com/dublin) Vendredi 4 mars

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Publié le 4 mars 2016, mis à jour le 3 mai 2016

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