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RENTRÉE LITTÉRAIRE : Nos coups de coeur !

rentrée littéraire 2017rentrée littéraire 2017
Écrit par Muriel du Brusle
Publié le 12 octobre 2017, mis à jour le 19 octobre 2017

581 romans paraissent en cette rentrée littéraire 2017. A chaque cru, ses découvertes, ses surprises et ses poids lourds.

Le petit journal de Dubaï vous a fait sa sélection. 

En littérature française, Véronique Olmi, écrivain confirmé et Alice Zeniter, jeune romancière brillante signent les deux plus beaux livres de la saison. À suivre.

 

Véronique Olmi

Véronique Olmi, Bakhita, Albin Michel, 458 p.

 

Bakhita est le roman d’une histoire vraie, celle d’une fillette soudanaise arrachée à sa terre natale et qui fut tour à tour esclave, domestique, religieuse et sainte. Par quelles étranges contorsions du destin a-t-elle pu naître à Olgossa en Afrique en 1869 - sous un nom qu’elle oubliera dans les traumatismes, et mourir religieuse à Schio, en Vénétie, en 1947 ? C’est ce que nous conte Véronique Olmi dans ce magnifique roman, l’un des plus réussis de cette rentrée. Car loin de l’hagiographie ou du « pitch », son écriture colle à l’âme de Bakhita, cette enfant « résiliente » qui aura puisé dans le bonheur de ses premières années la force vitale pour survivre à l’indicible.

 

Dans un récit à vif, douloureux, servi par une langue à la fois poétique et rapide, Véronique Olmi nous entraîne avec Bakhita sur le chemin de croix de la traite, repoussant toujours plus loin les limites de l’inhumanité. Par la magie de son récit, on devient cet enfant dont l’esprit s’envole pour survivre à la réalité du marché aux esclaves, de ces heures d’attente en plein soleil, les lèvres écumant de soif pendant que des mains palpent et vérifient la marchandise. Et l’on reprend son souffle pour pouvoir lire la suite, là où le calvaire prend fin, quand elle est rachetée par un consul italien qui la ramène avec lui, en Italie, une terre non exempte de malheurs en cette fin du dix-neuvième siècle mais un asile dans lequel elle pourra affirmer sa volonté, en se mettant au service de Dieu et des opprimés.

 

Bakhita est une femme qui cherche et qui trouve, et qui ne sera jamais aussi heureuse qu’en présence des enfants, des faibles et de toute la cohorte des miséreux auxquels elle peut apporter du réconfort. Après le rythme effréné de la première partie, l’auteur raconte la lente et laborieuse reconquête d’une dignité humaine, les rencontres qui changent le cours d’une existence, le cheminement religieux, l’engouement des fidèles pour cette Madre Moretta et l’édification de sa légende jusqu’à sa béatification par Jean-Paul II en octobre 2000. Tout est réussi dans ce livre dans lequel palpite le cœur d’une femme dont l’histoire continuera longtemps de nous hanter.

 

 

Zeniter

Alice Zeniter, l’Art de perdre, Flammarion, 508 p. (coup de cœur)

 

Pour Naïma, une jeune femme travaillant dans une galerie d’art parisienne, l’Algérie n’est qu’une abstraction qui prend vaguement forme lorsqu’elle rend visite à sa grand-mère avec laquelle elle a du mal à communiquer, ne parlant pas l’arabe. Ce silence des origines, elle le doit à son père Hamid, fils ainé d’Ali qui a troqué son statut de prospère paysan kabyle pour celui de harki, par l’un des ces retournements dont seule l’Histoire a le secret. Voilà donc Ali, son épouse Yéma et leurs enfants qui embarquent à bord de l’un des derniers bateaux fuyant l’Algérie et les bains de sang qui suivront les accords d’Evian en mars 1962. La famille déracinée erre d’un camp à l’autre avant de poser ses valises dans une cité HLM d’une petite ville normande. Hamid, 8 ans, témoin silencieux du déclassement familial, se lance à corps perdu dans les études, l’oubli de la terre natale et l’assimilation. Il épousera Clarisse dont il aura quatre filles et qui sera son ancrage, son pays, à défaut de bien savoir d’où il est et comment se définir. Naïma n’a jamais vraiment cherché à en savoir plus. Mais dans une France secouée par les questions identitaires et la montée du terrorisme, tout semble la rappeler à ses origines. Et c’est dans cet esprit qu’elle va traverser la Méditerranée à rebours de ses ancêtres, pour tenter de trouver des réponses.

 

Comme Naïma, Alice Zeniter est petite-fille de Kabyle. Brillante normalienne née en 1986 et déjà auteur de quatre romans remarqués, elle signe ici son texte le plus personnel et le plus abouti. En trois parties bien distinctes qui s’attachent aux figures d’Ali, d’Hamid et de Naïma, elle brosse le portrait de ces hommes à qui l’on reprochait d’être Algérien en Algérie française et Français de seconde classe en France. Son style à la fois fluide et travaillé sert ce roman parfaitement maitrisé dans lequel elle ne prend pas parti mais s’interroge, enjoignant son lecteur à faire de même. Comment survivre à la perte d’un pays, d’une culture, d’une identité ? Quid du racisme ordinaire ? Cette saga familiale permet également de mieux comprendre pourquoi la question de l’Algérie n’en finit pas d’être douloureuse des deux côtés de la Méditerranée. Mais aussi, et surtout, combien chacun porte en lui la liberté d’être soi.

 

 

 

Claudie Gallay

Claudie Gallay La Beauté des jours, Actes Sud, 404p.

 

Révélée par Les Déferlantes en 2008, Claudie Gallay poursuit son chemin, traçant avec sa voix singulière une jolie route dans le paysage de la littérature française. Ses personnages sont souvent humbles et pour certains, traversés par des choses qui les dépassent. Qu’ont en commun Marina Abramovic, figure jusqu’au-boutiste de l’art contemporain et Jeanne, employée de poste consciencieuse, épouse tranquille d’un homme qui l’aime et mère comblée de deux jumelles étudiantes ? Pas grand-chose si ce n’est la fascination qu’exerce l’artiste sur Jeanne qui ne l’a jamais rencontrée. Jeanne, calme et gentille, aime : son mari, ses filles, suivre des gens dans la rue, les palindromes et les questionnements. Quand elle s’interroge sur le sens de la vie, son époux pense peinture, joints et outillage. Jeanne est heureuse mais quelque chose lui manque – quelque chose dont Marina et Martin, un amour de jeunesse recroisé par hasard, viennent souligner l’absence. Claudie Gallay a un style inimitable, fait de phrases brèves et pourtant ciselées, d’images et de métaphores qui captent tous ces instants fugaces qui, mis bout à bout, dessinent les contours d’une existence. Lire Claudie Gallay rend meilleur.

 

 

Marie-Helene Lafon

Marie-Hélène Lafon, Nos Vies, Buchet Chastel, 184 p.

 

Chaque vendredi, au Franprix de la rue du Rendez-vous, un homme passe à la caisse de Gordana, une grande femme aux cheveux jaunes, à la poitrine voluptueuse et au sourire absent. Ce petit manège n’échappe pas à Jeanne, une vieille dame solitaire qui se plaît à imaginer les mille et une existences de la caissière à la crinière décoloré et de l’homme brun au teint mat qui se tient devant elle. Sur ces vies rêvées se superpose la sienne, qu’elle dévide peu à peu, racontant la famille et la vie là-bas, dans la France profonde et rurale qui depuis toujours fait le terreau des livres de Marie-Hélène Lafon. L’auteur change de décor en s’aventurant cette fois-ci dans le 12ème arrondissement de Paris mais son ton, sa plume travaillée à l’extrême sont toujours les mêmes pour dire les petites choses, les solitudes blessées et les espérances qui demeurent. Eloge de la fiction, ce livre est à déguster lentement pour la beauté du style et la puissance de son imaginaire.

 

 

Marc Dugain

Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, Gallimard, 400 p.

 

Marc Dugain a un faible pour l’Amérique et ses zones d’ombre qu’il n’en finit pas d’autopsier. Après La Malédiction d’Edgar où il se saisissait de la figure ambivalente de Hoover, l’indétrônable patron du FBI, il s’intéresse aux frères Kennedy, assassinés en 1963 et 1968.

 

Le livre s’ouvre sur les confidences d’un narrateur, professeur d’histoire contemporaine d’une université canadienne, persuadé que les morts successives de ses parents sont liées au meurtre de Robert Kennedy. Double de l’auteur, le professeur O’Dugain cherche inlassablement des preuves pour étayer sa thèse. A cette quête obsessionnelle écrite à la première personne se mêlent des chapitres relatant les dernières années de la vie de Bob Kennedy. Quand le professeur remonte le temps pour parvenir à la vérité, Robert Kennedy avance inexorablement vers sa fin. Il y a des manières de polar dans cette construction à rebours, de tragédie antique avec un héros qui va, tout en se sachant condamné.

 

Ces deux histoires entremêlées sont la charpente de ce roman très dense, prétexte à une plongée dans l’Amérique des années 60. On y trouve pêle-mêle violence politique, mafia, tueurs à gages, empires militaro-industriels tout puissants mais aussi l’avènement de la la contre-culture, des paradis artificiels et l’espoir d’une génération qui refuse l’injonction « produire et se reproduire »

 

Après sa Trilogie consacrée aux petites et grandes mesquineries de la politique française, la plume de Dugain semble ne plus s’arrêter et tremper son encre dans la psychose paranoïaque dont souffre - peut-être – son professeur d’Histoire. C’est là tout le talent de l’auteur que de nous asséner des thèses richement (trop ?) documentées tout en laissant l’ombre de cette psychose planer sur son personnage mais aussi sur son livre, dont on ressort plus érudit, un peu assommé et dans la même confusion que son narrateur : doit on croire tout ce que l’on nous dit ? Ou remettre les thèses en perspective tout en sachant que les germes du doute ont bien été semés ?

 

 

Adimi

Kaouther Adimi, Nos richesses, Seuil, 216 p.

 

Kaouther Adimi est une brillante jeune femme, qui a grandi à Alger et qui vit aujourd’hui à Paris. Elle ressuscite dans ce roman la figure d’Edmond Charlot, pied noir qui fut libraire, éditeur, ami de Camus, Jules Roy, Saint-Exupéry et tant d’autres figures littéraires du 20ème siècle. Usant d’une construction originale qui entremêle le journal imaginé d’Edmond Charlot et des passages sanglants de l’histoire de l’Algérie, elle déroule la vie de cet homme passionné, qui aura tout donné à la littérature. Une ode à un amoureux des livres, prétexte à une plongée dans les années noires algériennes.

 

 

Amelie Nothomb

Amélie Nothomb, Frappe toi le cœur, Albin Michel , 170 p.

 

Le mal de mère, c’est ce que ressent Diane depuis son plus jeune âge. Marie la sienne, l’a eue trop tôt, enlisant ses rêves de gloire dans la vie morne et confortable d’une petite ville de province du début des années 70. Très vite, elle délaisse la petite à ses parents et reporte son ennui sur son deuxième enfant, puis sur le troisième qu’une brusque explosion du sentiment maternel va littéralement étouffer. Diane grandira cahin-caha avant de s’engouffrer dans des études de médecine et se trouver une mère spirituelle en la personne d’une brillante professeur de cardiologie. Mais la fêlure originelle n’est jamais bien loin et Olivia n’est pas celle qu’elle aimerait que l’on croie. Amélie Nothomb qui publie ses romans avec la régularité d’un métronome offre une vraie surprise pour ce cru 2017. Son style épuré jusqu’à l’extrême va à l’essentiel, fouillant au scalpel la blessure fondatrice, celle d’un enfant dont la mère a le cœur sec, et disséquée ici avec la précision d’un entomologiste. Bien que trop rapide, sa démonstration est efficace et se lit sans déplaisir.

 

Publié le 12 octobre 2017, mis à jour le 19 octobre 2017

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