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POURIA AMIRSHAHI - "La tentation autoritaire se propage dans la population à cause d’un sentiment d’impuissance politique"

Écrit par Parler Darija
Publié le 20 mars 2017, mis à jour le 8 septembre 2017

 

Frondeur, quelques mois après son départ d'un parti Socialiste dévoré par les luttes intestines, le député des 16 pays de la 9ème circonscription des Français de l'étranger (Maghreb, Afrique de l'ouest), Pouria Amirshahi, a décidé de ne pas se représenter aux Législatives. Eclairage 

Lepetitjournal.com : Pourquoi ne pas vous représenter ? La victoire de Benoît Hamon à la Primaire, souvent associé aux « frondeurs » auxquels on vous affiliait peut-elle provoquer une remise en cause de votre décision ?

Pouria Amirshahi : La victoire de Benoit, qui est un ami, est enthousiasmante et rafraîchissante mais je ne reviendrai pas sur ma décision de quitter le Parti Socialiste et ne pas me représenter aux prochaines élections législatives. Je soutiens la candidature de Benoit Hamon, mais ne reprendrai pas ma carte au Parti Socialiste, un parti sans idée, dépassé et archaïque car il indexe sa vie sur le rythme des élections. 

Je ne me représenterai pas car j'ai le sentiment d'avoir rempli mon mandat, d'avoir été un législateur utile. J'ai voté de nombreux amendements, j'ai été le rapporteur d'une mission sur la Francophonie. Mon retrait s'explique aussi par des soucis de santé qui m'empêcheraient de remplir pleinement ma mission. Par ailleurs, je ressens le besoin de retourner dans le monde du travail et du privé, que je connais bien. Je ne tire pas non plus un trait sur ma vie politique et n'exclut pas de me représenter.

En tout cas, je termine mon mandat dans trois mois avec le sentiment d'avoir rempli ma mission. Je ne renonce cependant pas à mes engagements  de toujours mais j'entends me battre pour eux de manière plus libre désormais.

En regardant ces cinq années à la tête de la circonscription, diriez-vous que vous avez réussi à faire entendre la voix singulière des Français de l'étranger à l'Assemblée nationale ?

Les Français de l'étranger étaient représentés pour la première fois à l'Assemblée nationale avec les élections de 2012, c'était un changement majeur pour nos compatriotes à l'étranger qui disposent depuis lors d'une part entière de la souveraineté nationale française qui leur revient de droit.

J'ai donc porté cette voix singulière sur de nombreux sujets, qui concernaient les Français de l'étranger de près comme les votes le financement de l'Agence pour l'Enseignement français à l'étranger ; et sur des sujets qui les concernaient moins directement comme le mariage pour tous, et les facilités d'adoption pour nos concitoyens. J'ai notamment agi et obtenu gain de cause en faveur de la reconnaissance par le droit français de la KAFALA, procédure d'adoption spécifique au droit musulman.

J'ai aussi eu l'honneur et le privilège d'assurer la présence des Français de l'étranger dans les moments cruciaux du quinquennat comme les débats sur le budget : j'ai défendu une augmentation des budgets dévolus au ministère des Affaires étrangères, notamment en ce qui concerne les Français de l'étranger, leur fiscalité ou le rayonnement de la Francophonie avec le budget alloués aux Instituts Français notamment.

En tant que député des Français de l'étranger, la question de l'imposabilité à la CSG CRDS m'a aussi préoccupé. C'est une rupture d'égalité devant l'impôt à laquelle nous aurions dû remédier, mais Bercy a bloqué la réforme pendant toute la législature. Il faut bien le dire, la politique économique du quinquennat a été décidée par quelques technocrates trop influents sur le ministre.

Le débat sur la déchéance de nationalité voulu par le président Hollande a aussi été l'occasion de faire entendre la voix singulière des Français de l'étranger. Dans ma circonscription qui compte beaucoup de binationaux, nous l'avons vécu comme un coup dur porté à l'égalité entre citoyens. Mon opposition à cette mesure qui  jette la suspicion de la manière la plus injuste sur nos compatriotes binationaux a été vive.

Les Français de ma circonscription sont en première ligne contre les attaques terroristes, ils ont donc été profondément blessés par ce débat proposé par nos rangs. Ce fût un gâchis énorme ! On aurait dû faire l'unité autour de la pluri-culturalité et tendre des ponts entre cultures et religion.

Au nom des Français de ma circonscription, je n'ai donc pas applaudi le discours de François Hollande au Congrès de Versailles, et je n'étais d'ailleurs pas le seul : cette infamie a suscité la mobilisation des parlementaires et des citoyens jusqu'à ce que le projet soit abandonné.

Comment allez-vous continuer votre engagement en dehors de la politique institutionnelle? Quels sont vos projets ?

Je n'ai pas encore élaboré précisément mon avenir politique, mais je garde la volonté de faire émerger des solutions politiques nouvelles chevillée au corps. Le système démocratique français se meurt aujourd'hui et je ne peux rester indifférent.

Je réfléchis à des solutions dans lesquelles on tiendrait compte du rôle des citoyens dans la vie publique. Une démocratie verticale, qui va de haut en bas, n'a plus de sens aujourd'hui. Le meilleur exemple, ce sont les élections présidentielles, une figure politique aujourd'hui imposée aux citoyens tous les cinq ans, et qui ne permet pas le renouvellement du personnel politique.

Les partis politiques sont en crise et à travers eux c'est toute la représentation nationale qui est en crise et en définitive la démocratie représentative elle-même!

En voyage dans l'un des pays de votre circonscription, l'Algérie, le candidat à la présidentielle Emmanuelle Macron est revenu sur l'épisode historique de la colonisation en le qualifiant de crime contre l'humanité, comment vous et les citoyens de votre circonscription avez-vous accueilli cette déclaration?

Cette déclaration n'a pas pas autant fait réagir dans la circonscription qu'en métropole, il faut bien l'avouer. Pour ma part, je m'aligne sur la position de l'historien Benjamin Stora : si le terme juridique est inexact, la colonisation représente bel et bien un crime contre l'humanité. Il est temps de le reconnaître !

C'est une frange identitaire de la droite qui utilise ce thème car elle refuse d'admettre que la colonisation fut un crime contre l'humanité, elle se bâtit sur l'idée surannée d'une grandeur nationale, d'une France porteuse de valeurs universelles. La reconnaissance de la colonisation comme un crime contre l'humanité remet directement en cause leur identité politique.
Le drame, c'est que de plus en plus de Républicains ont validé ces thèmes identitaires, jusqu'alors réservés au Front National. La « lepenisation des esprits » est bien une réalité, les thèmes frontistes sont sans cesse relayés. Les chaînes d'information en continu transmettent l'angoisse du monde à chaque jour et à chaque heure. Résultat : la tentation autoritaire se propage dans la population à cause d'un sentiment d'impuissance politique. C'est un cocktail explosif, un accident de l'histoire est toujours possible, et l'approche électoraliste et mathématique du « front républicain » pour contrer le Front National atteint ses limites.

Propos recueillis par Robin Marteau (www.lepetitjournal.com) jeudi 16 mars 2017

Relire nos articles consacrés à Pouria Amirshahi ici : www.lepetitjournal.com/expat-politique/vos-deputes/pouria-amirshahi

parler darija
Publié le 20 mars 2017, mis à jour le 8 septembre 2017

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