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PORTRAIT - Sébastien Gertgen, et ses espadrilles cambodgiennes

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 4 juin 2017, mis à jour le 17 août 2017

Être lillois, et vouloir fabriquer des espadrilles, c'est original. Fabriquer des espadrilles, et les vendre aux Cambodgiens, c'est inédit. Posséder une fabrique de textile au Cambodge, et offrir des conditions dignes de travail à ses employés, c'est rare. Pourtant, ce sont trois éléments que Sébastien Gertgen tente de réunir avec sa marque Amboh.

Installé au Cambodge depuis plus de 3 ans, Sébastien a créé Amboh il y a un an et demi. C'est en s'apercevant que ses amis étaient jaloux de ses espadrilles amenées de France que son idée a germé dans sa tête. « Pour moi, l'espadrille, c'était ma Madeleine de Proust des vacances d'été en France. Nouvelles vacances, nouvelle paire. » nous explique-t-il. La météo cambodgienne lui rappelant ses étés dans le Sud de la France, l'espadrille lui est apparue comme l'alternative idéale aux tongs qu'il trouve « pas très sexy et confort, et un peu dépassées ». Il décide donc d'embaucher sa première couturière qui avait pour mission de comprendre comment fabriquer une espadrille avec des modèles importés de France et un petit kit pour enfants Fais-ton espadrille toi-même ! « Au début, je passais 8 heures par jour à côté de la couturière à essayer de saisir les meilleures méthodes de fabrication pour avoir des produits réguliers et homogènes » nous confie-t-il. Cinq mois plus tard, il put enfin réaliser sa première vente.

Les espadrilles sont faites à main dans un atelier collé au bureau.

« Le Cambodge, ce n'est ni la Chine, ni la Thaïlande, ni le Vietnam » nous a répété plusieurs fois le jeune entrepreneur. En effet, il souhaite donner un coup d'espadrille au cliché que fabriquer des vêtements au Cambodge, cela a un coût peu élevé. « Si on veut de la qualité, il y a beaucoup de composants à importer, et cela a un coût. Cela va du jute (le cordage de l'espadrille, nldr), au papier kraft dans lequel est emballée la chaussure ». S'il y a un élément qui lui est bien cambodgien -et Sébastien en est très fier-, c'est le Krama (le célèbre foulard cambodgien) qui compose l'espadrille. « Quand, les Khmers voient nos espadrilles, ils reconnaissent le motif, et ils en sont super flattés » affirme Sébastien. Ainsi, chaque collection est unique et décidée par Sébastien, en fonction des arrivages de Krama au marché. Grâce à son espadrille de qualité française « remasterisée » avec des produits du Cambodge, celui qui sera bientôt référencé dans le guide du Routard vise aussi bien les touristes (25% de ses ventes), les expats (50% de ses ventes) et les Cambodgiens (25% de ses ventes). « Même s'il faut les habituer au fait qu'on ne puisse pas mettre les espadrilles dans l'eau, les Cambodgiens en sont hyper réceptifs. En tant que slip-on shoes (chaussures faciles à retirer, ndlr), cela se marie parfaitement à leur culture ». Avec son prix de 20 dollars, Sébastien souhaite attirer la jeune classe moyenne émergente. « J'ai encore vu passer ce matin des étudiants qui venaient acheter leur deuxième paire » nous glisse-t-il sourire aux lèvres. 


A part la semelle conçue en Chine, la chaussure est fabriquée dans l'atelier juxtaposé au bureau. Même si chaque ouvrière a une tâche définie, la fabrication semble artisanale. Ici, il n'y a pas de machine, tout est fait main. « Nous les fabriquons selon la tradition basque et espagnole. » ajoute Sébastien, au milieu de ses couturières qui attendent leurs cours d'anglais, et des clients qui attendent leurs chaussures. C'est d'ailleurs une des spécificités de la marque : l'atelier, le bureau, et la boutique sont au même endroit ! « Avoir mon propre atelier me permet de contrôler ce qui s'y passe. Je ne veux pas faire comme beaucoup et avoir une usine au fin-fond de la ville en fermant les yeux sur les conditions de travail. » nous explique Sébastien. Il s'est ainsi rendu compte de la vraie vie des ouvriers du prêt-à -porter. « Ils sont surendettés, presque au stade de la survie. Leur éducation est assez basse, effectuée par des ONG la plupart du temps. Les écarts de richesse se creusent ». De fil en aiguille, Sébastien a alors décidé d'agir : en fournissant une assurance, un salaire plus élevé, des cours d'anglais dans l'atelier et en rachetant leurs crédits. « Maintenant, je connais leur vie à toutes : le salaire de leurs maris, leurs enfants, le prix de l'école, le prix de leurs repas. » nous affirme-t-il. Le patron saint-samaritain ne dément cependant pas les calculs économiques derrière ces actions : « Offrir de meilleures conditions de travail me permet de garder mes ouvrières plus longtemps et de ne pas perdre le savoir-faire acquis. De plus, en cas de hausse des salaires par le gouvernement, j'ai un temps d'avance ».

Concernant son futur, Amboh, qui signifie « fil de coton », ne semble pas en filer de mauvais pour l'instant. L'entreprise parvient à payer tous ses employés, ses factures et même à dégager un (petit) salaire pour le Steve Jobs de l'espadrille. Les souliers basques revisités par un Lillois au Cambodge devraient bientôt faire leur apparition à Kuala Lumpur et à Ho Chi Minh City. Pour la France, il faudra attendre 2018.

Avant de finir l'entretien, Sébastien souhaite faire passer un message aux jeunes Cambodgiens : « Si vous êtes créateurs ou entrepreneurs, pensez à votre population. Trouvez un moyen d'ajouter de la valeur à votre produit pour vendre plus cher parce que vous réinventez la fringue, parce que vous utilisez des produits locaux, ou encore parce-que vous êtes innovants ! Cette valeur ajoutée créée vous permettra de prendre soin de votre équipe et d'être sur un objet social ». Un beau conseil pour finir Amboh-té.

 Infos pratiques:
Atelier, bureau et boutique: 23A Street 232 (dans une maison jaune), Phnom Penh

La rédaction (www.lepetitjournal.com/cambodge) lundi 5 juin 2017
Crédits Photos: Brian Im

 

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Publié le 4 juin 2017, mis à jour le 17 août 2017

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