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SOCIETE - Etre une femme au Cambodge, tu sais c’est pas si facile…

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 6 février 2014, mis à jour le 6 février 2014

Les théories du genre qui mettent en branle l'Occident ne sont pas encore à l'ordre du jour auCambodge. Ici, les femmes ne se demandent guère si elles se sentent davantage homme que femme, et les hommes ne tergiversent pas sur la part féminine tapie en eux.

 

A vrai dire, le combat essentiel est celui de l'égalité des sexes : naître homme ou femme avec les mêmes chances de réussir,  les mêmes clés en main pour s'en sortir sans sacrifier sa dignité. C'est la mission que s'est donné le Women's Media Center of Cambodia (WMC), une ONG fondée en 1995 par Chea Sundaneth et entièrement dirigée par des femmes. C'est aujourd'hui au Cambodge la seule voix apolitique qui s'intéresse exclusivement au sort de celles-ci.

Après 13 années à travailler pour Kampuchea Newspaper (1980-1993), journal partial en cela qu'il met en avant uniquement les « success stories » ou modèles à la cambodgienne, Chea Sundaneth intègre en 1993 l'United Nation for Transitional Authority in Cambodia (UNTAC), en français l'Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge (APRONUC)

L'UNTAC, financé et sponsorisé par l'ONU, fait suite aux Accords de Paris de 1991 visant à mettre un point final à la guerre civile entre les Khmers Rouges (Kampuchéa Démocratique) et l'Etat du Cambodge. Aucune disposition juridique ne protège alors les droits de l'Homme au Cambodge. L'UNTAC, créé de toute pièce par l'ONU a vocation de pallier ce manque et permettre aux Nations Unies de superviser les élections sur une période transitoire, c'est-à-dire jusqu'à l'avènement d'un nouveau gouvernement.

Il s'agit d'accompagner la mise en place d'élections libres en réprimant toutes mesures coercitives ou financements occultes qui obligent le choix des électeurs. Pour la première fois, le peuple possède une voix, et c'est parce que cette liberté d'expression est chose toute nouvelle au Cambodge que les Nations Unies encadrent ces élections.

L'UNTAC utilise la radio pour faire ses campagnes de sensibilisation au vote, incite les femmes à se prononcer, informe sur les tenants et aboutissants des différents partis de façon non partisane. Les élections terminées, l'UNTAC disparaît avec elles.

Malgré la nouvelle Constitution du 21 septembre 1993, qui consacre l'égalité des sexes, le combat pour les femmes est loin d'être gagné. Forte de cette conviction et consciente du pouvoir des médias à influer sur les constructions sociales, Chea Sundaneth fonde alors le Women's Media Center associée avec cinq femmes à une époque où les femmes sont très peu représentées dans les médias. Elle  produit l'émission Women's Radio FM102 (200W) reprenant interaction, dialogue et participation qui ont fait le succès de l'UNTAC. La FM102 devient l'une des radios les plus populaires du pays.

La radio FM 102 capte en effet une large audience, puisqu'elle touche 60% de la population au Cambodge. Ceci étant dit, parce que la pauvreté est souvent un frein dans l'accès à la connaissance, que certaines familles ne possèdent ni TV ni radio ni électricité, ou parce que les fréquences n'atteignent pas certaines provinces reculées, le WMC a défini des « media black spots » dans douze provinces (dont Pursat, Battambang, Kampong Cham, Pailin). Ce sont des clubs où les communautés se rassemblent autour d'un écran pour regarder des émissions podcastées. Chaque réunion attire environ 300 personnes, moitié hommes, moitié femmes. Suite à cela ont cours des discussions chapeautées par un « meneur de débat » qui recueille ainsi les diverses réactions avant d'en faire rapport au WMC.    

                                      

Le WMC parvient de la sorte à délivrer des messages atteignant les villages les plus pauvres (40% de la population vit avec moins de 0,88 euro par jour) et avertit, informe et relève les risques encourus par les femmes selon la conviction suivante : « It is an old saying that knowledge means power. The better informed you are, the greater your chances of success » (Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies).

De fait la condition de la femme laisse encore à désirer, en témoigne la prostitution qui est souvent considérée par celles-ci comme un moindre mal : 20% des travailleuses du sexe (1/3 environ étant encore mineures) interrogées au Cambodge pour le rapport de l'Onu de 2009 déclarent qu'elles on choisi cet « emploi » à cause du salaire relativement élevé (55% l'ont accepté à cause de «circonstances familiales difficiles»), et l'on estime la moitié d'entre elles séropositives. Le romancier Amit Gilboa décrit ainsi le Cambodge dans son livre Off the Rails in Phnom Penh (1998) comme « un festival anarchique de prostituées bon marché » où « vous n'êtes jamais à plus de quelques minutes de marche d'un endroit où le sexe est à vendre ».

Via des téléfilms, petites fictions, clips, sondages, musiques, drames, sketches, interviews et autres « edutainement programs », le WMC parvient à faire résonner certaines revendications féminines. Les

enseignements brassent divers domaines : montrer aux femmes qu'elles peuvent apposer leur signature sur un contrat de mariage, (seuls 20% des couples ont un certificat de mariage en milieu rural), désamorcer peu à peu l'idée qu'un homme a le droit de les frapper à loisir, les encourager à poursuivre les études, à s'impliquer dans la société et les postes d'envergure même si, remarque Chea Sundaneth, les grossesses sont des obstacles évidents qui mettent à mal tout plan de carrière. 

Aujourd'hui, 70 personnes travaillent au centre. Elles se heurtent à des certitudes culturelles particulièrement répandues en zone rurale, comme celle reconnaissant  l'homme comme chef et maître légitime des femmes. Les discriminations fondées sur le sexe sont solidement ancrées dans le tissu social, et cela fait écho à la tradition morale « Chbab Sray », ou code de « bonne conduite » pour les femmes transmis de génération en génération: 

« My dear daughter, you will go with your husband to the Dragon World.?You should remember to serve your husband.?Don't make him unsatisfied. (?) You should try to do the work like weaving or knitting?Don't delay the work. »

Ce code qui soutient noir sur blanc les disparités entre les sexes sape la propension des femmes à s'exprimer ou demander secours, c'est pourquoi certaines violentées taisent les abus, par crainte d'être déshonorées ou couvertes de honte. Des programmes éducatifs et pédagogiques seraient en mesure de déraciner ces visions archaïques et d'autonomiser les femmes, encore faudrait-il entériner une diminution de l'écart entre les taux de scolarisation  filles / garçons et « mettre les filles à l'école ».

Même si la radio est le média le plus efficace pour toucher les populations les plus pauvres et souvent analphabètes, ébranler les stéréotypes bien enracinés, prévenir la précarité de la condition féminine et mettre hommes et femmes sur pied d'égalité au Cambodge est l'?uvre d'une vocation et d'une vie, celle de Chea Sundaneth.

 Hélène de LA ROCHEFOUCAULD (lepetitjournal.com/Cambodge) Jeudi 6 Février 2014 

 

 

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Publié le 6 février 2014, mis à jour le 6 février 2014

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