Prumsodun Ok et Natyarasa est la première compagnie de danse gay au Cambodge. Une troupe qui se veut aussi pionnière dans sa mise en scène, à la fois classique et inattendue.
Une lumière diffuse s'allume, révélant deux jeunes danseurs graciles sur la scène. Leurs mouvements sont lents et précis, ils enchainent les postures en conservant leur dos cambré, leurs mains recourbées, leurs jambes pliées, leurs orteils recroquevillés. Leurs corps flexibles rappellent la sinuosité du serpent, animal particulièrement important dans les croyances animistes khmères. La danse ancestrale évoque le reptile, qui rappelle le flot de l’eau lorsqu'il se déplace.
Les danseurs khmers se mouvaient de cette manière il y a plus de 1000 ans, afin d’invoquer l’eau, le fluide de la vie. En plus de divertir, ils agissaient aussi comme intermédiaires entre la terre et les divinités. « La danse khmère “robam kbach boran” a été conçue comme une prière en mouvement pour apporter la pluie, la fertilité et la prospérité », explique Prumsodun Ok, danseur, professeur, designeur et fondateur de Prumsodun Ok & Natyarasa, la première compagnie de danse khmère gay au Cambodge. La troupe dont font parti sept danseurs a été créée par l’artiste américano-cambodgien il y a quatre ans. Lorsqu’il s’est rendu à Phnom Penh dans le cadre d’un projet à court terme, il ne pensait pas y rester. « Puis je me suis rendu compte que si je voulais servir les traditions avec un plus grand impact, il fallait que je le fasse du Cambodge », confie-t-il.
La moitié de la population du royaume a moins de 25 ans et veut du changement, selon Prumsodum Ok. Pourtant, il a l’impression que ces jeunes se limitent dans leurs idées parce que « lorsqu’ils regardent en arrière, ils n’ont aucun modèle auquel se rattacher », explique-t-il. Pour le fondateur de la compagnie, préserver un héritage culturel qui a presque disparu dans les années 70 est essentiel. Cet art qui a survécu au régime des Khmers rouges représente pour Prumsodun Ok un « symbole d’espoir, de grâce et de résistance pour tous les Khmers autour du monde ».
Un art qui doit être certes préservé mais qui doit aussi s’adapter et représenter le monde actuel. Selon le fondateur de la troupe, si la danse n’a pas de but, pas d’utilisation, alors la tradition va disparaître. « C’est ma responsabilité en tant qu’artiste de donner une nouvelle vie à ce que nous ont transmis nos ancêtres, insiste-t-il. De faire en sorte que cette danse serve la société et reflète qui nous sommes ». C’est la raison pour laquelle il a décidé de choisir des jeunes homosexuels comme danseurs, qui représentent à la fois la communauté LGBT et la nouvelle génération de Cambodgiens. « J’ai voulu utiliser cet aspect de la culture classique khmère comme un miroir. Ces jeunes hommes stigmatisés reflètent en dansant la beauté de ces histoires traditionnelles. Je veux que les gens voient leur beauté ».
Prumsodum Ok présente son spectacle Vajramala: Spirit of Khmer Dance comme une introduction au ballet traditionnel. « Nous voulons montrer au public les possibilités de ce que pourrait être la danse khmère, qu’ils sortent de la salle en se disant “je n'aurais jamais imaginé que les traditions peuvent être exprimées de cette manière », s’exclame-t-il.
Le spectacle est en effet surprenant. De la musique pop accompagne les gestes ancestraux. Quatre mouvements de base (voir nos animations) sont utilisés pour créer un langage via lequel les danseurs s’expriment. Chaque mouvement pouvant représenter une idée, une émotion ou une action est stylisé. « Pour en comprendre la signification exacte, il faut prêter attention aux paroles et au contexte », souligne Prumsodun Ok. Ainsi, il est aisé de décrypter la rage du danseur lorsqu’une lumière rouge clignote et que le bruit du tonnerre résonne.
Prumsodum Ok a aussi choisi de conserver la mise en scène traditionnelle. La danse s’apparente donc à une sorte de pièce de théâtre découpée en scénettes, qui donnent du rythme au spectacle.
La compagnie se représente au Java Creative Café de la rue 468 à Tuol Tom Pong, les samedis et dimanches. L’entrée coûte 25 dollars.