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ECONOMIE: La vague cartoneira, du recyclage sélectif au livre en carton

Écrit par Lepetitjournal Buenos Aires
Publié le 12 septembre 2012, mis à jour le 21 novembre 2012

 

Buenos Aires est la cité qui catalyse les fantasmes littéraires des européens. La ville renferme cependant une réalité plus pesante qui plane au-dessus des têtes depuis le choc économique du début des années 2000. Pour pallier ces difficultés, un vent alternatif souffle depuis les entrailles portègnes, donnant naissance à des projets éditoriaux originaux comme celui d'Eloisa Cartonera, une alter-maison d'édition qui produit des livres en carton

Eloisa Cartonera, une réponse à la crise des années 2000

Tout commence en 2003, après l'aggravation de la crise économique et sociale qui touche l'Argentine depuis la fin des années 1990 (le célèbre corralito[1]) : fermetures d'usines, écroulement des banques, explosion de la pauvreté et du chômage etc. Les rues se remplissent de "cartoneros", ces exclus poussant d'immenses chariots et obtenant de modestes rétributions de la collecte du carton et des dérivés du papier. Les cafés, eux, fourmillent de jeunes écrivains dont les portes du monde de l'édition restent définitivement closes. Mais, en temps de crise, le génie s'aiguise et les idées sont le seul moyen de garder espoir. Ainsi, en 2003 le jeune écrivain Washington Cucurto et l'artiste plasticien Javier Barilaro créent les éditions Eloisa,[2] qui donneront naissance quelques mois plus tard à Eloisa Cartonera. " Nous achetons le carton aux cartoneros qui viennent à la fabrique avec du carton spécialement sélectionné. Ce carton, on le découpe, on le peint puis on colle à l'intérieur du livre, que nous imprimons sur notre Multilith 1250. Et c'est fait ! C'est simple et beau, c'est un livre de carton? " écrit Cucurto dans le manifeste de cette alter maison d'édition cartonnière.

Ce n'est pas une révolution mais un "socle d'expression"

"Mucho mas que libros[3]" peut-on lire sur la vitrine aux milles couleurs de l'atelier de fabrication d'Eloisa Cartonera situé à l'angle d'Aristibulo del Valle (666) dans le quartier de la Boca. C'est là, dans une ambiance joyeuse et musicale que Cucurto et ses compagnons de la coopérative mènent leur entreprise originale : "Ici tout le monde travaille ensemble" affirment en c?ur Alejandro Miranda et Ricardo Piña "c'est une sorte de super fraternité !". Les mots sont colorés, à la manière des livres que l'on trouve par centaines dans cette ancienne pizzéria dont les murs sont parés du drapeau de la célèbre équipe de football du quartier et de quelques photos de ces fiers représentants du livre. Par ailleurs, si la figure emblématique d'Ernesto "Che" Guevara s'étend entre quatre punaises, ce n'est pas pour autant qu'Eloisa Cartonera revendique une quelconque révolution de l'édition. C'est d'ailleurs "plus une proposition ou une alternative qu'une révolution " explique Alejandro Miranda. L'humilité est de mise et les priorités sont claires "le plus important pour nous c'est de vivre et travailler dans des conditions dignes, de faire quelque chose d'utile pour la société et être indépendant. L'entreprise artistique est un moyen et non pas une fin. C'est un socle d'expression ".

Une vague cartonera qui déferle jusqu'en France

Eloisa Cartonera existe maintenant depuis 10 ans et la coopérative éditoriale peut s'enorgueillir de voir aujourd'hui des petites s?urs grandir un peu partout dans le monde. En réalité, c'est quasiment une centaine de maisons d'éditions qui a pris le chemin de la " madre cartonera"  ces dernières années. Sarita Cartonera (Lima, Pérou) en 2005, Yerba Mala Cartonera (El Alto, Bolivie) en 2006, Animita Cartonera (Santiago, Chili) et Yiyi Jambo Cartonera (Pedro Juan Caballero, Paraguay) en 2007 ou encore Canita Cartonera (Iquique, Chili) en 2008? jusqu'à toucher la France en 2010. Encore une fois, c'est la communauté argentine qui est venue bousculer l'ordre établi pour offrir un nouveau visage au monde de l'édition en créant La Guêpe Cartonnière sous la direction de Guillermo Bravo et Yvonne Cartonera. Quelques semaines plus tard est apparu Babel Cartonera (novembre 2010), dans la petite commune des Pyrénées de Bagnières de Luchon, sous la direction de Daniela Ellias. Puis en mai 2011 Cephisa Cartonera à Clermont-Ferrand avec Nicolas Duracka à sa tête, et enfin la petite dernière, créée en avril 2012 grâce à Andrea Alonso : Julieta Cartonera. Tout ce petit monde est réuni en France sous la bannière du collectif cartonero : El Tren Blanco.

Des livres en carton pour une "autre voie"

La richesse incroyable de tous ces projets est cette capacité à produire de l'inimitable; l'âme de chacune de ces maisons d'édition est aussi unique que chacun des livres qu'elles produisent. L'édition cartonera représente bien plus que des livres. C'est le refus de l'hystérie technologique. La passion, l'énergie et le partage sont les valeurs de cette vague cartonera. Elle répond au séisme économique qui a touché l'Argentine et qui touche chaque jour un plus grand nombre de pays. «Qu'est-ce qu'ils nous ont donné ? Misère, pauvreté. Qu'est-ce qu'on leur rend ? Des livres. Pour qu'il y ait un autre chemin, une autre porte, une autre voie par laquelle il sera possible de transiter » conclut avec justesse et humilité Washingthon Cucurto.

 

Photos et texte de Nikolas Duracka (www.lepetitjournal.com - Buenos Aires)  mercredi 12 septembre 2012


[1] Nom informel donné aux mesures économiques prises en Argentine le 1er décembre 2001 visant à mettre fin a la course aux liquidités et à la fuite des capitaux.

[2] En hommage a une top model Bolivienne qui conquis le c?ur de Javier Barilaro avant de s'envoler.

[3] Beaucoup plus que des livres

lepetitjournal.com Buenos Aires
Publié le 12 septembre 2012, mis à jour le 21 novembre 2012

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