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THÉATRE - Une Dame aux camélias moderne et touchante

Écrit par Lepetitjournal Budapest
Publié le 5 janvier 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

Anna Györgyi, comédienne et Csaba Kiss, écrivain et metteur en scène avaient déjà créé ensemble de beaux spectacles dont plusieurs Tchékhov, un Laclos (Les Liaisons dangereuses et récemment une Dame aux camélias très intéressante  à Pesti Magyar Színház (PMSZ). Anna a quitté son ancien théâtre (Új Színház) il y a deux ans, et après une année passée comme free lance, elle va s'engager dans PMSZ. Nous avons parlé de plusieurs spectacles, mais avant tout de la création commune toute récente.  Ils vivent ensemble dans le quotidien et s'associent souvent pour monter des productions théâtrales indépendantes

(photo: Phoca Tumb)
Lepetitjournal.com : La Dame aux Camélias est un très beau spectacle, mais à mon avis, l'espace est trop grand pour un drame pareil et l'intimité en pâtit...

Anna Györgyi : Vous avez bien senti quelque chose d'important. Moi aussi, j'ai dit à Csaba (Kiss Csaba, co-auteur avec Dumas fils et metteur en scène du spectacle) avant la première que je saurais bien mieux jouer ce rôle dans un studio ou dans un film. Apparaître sur une grande scène, c'est dû à une proposition de la part de PMSZ de participer à leur programme annuel sur les femmes, regroupé sous le titre global de « Femme fatale », et sa première idée, c'était de monter Tchékhov, La Cerisaie. Ils ont dit non, donc il a continué à chercher, et puisqu'à Miskolc, où il avait été directeur adjoint, il s'était déjà occupé de l'idée de cette pièce, Dumas lui est revenu à l'esprit. Là-bas, ils avaient déjà produit une Dame avec Olga Varjú comme Marguerite et Róbert Alföldi comme Armand. Il en était le conseiller dramaturgique, et pour son plaisir, il avait déjà écrit  une pièce sur le sujet. Je crois que le titre en était : Une nuit de carnaval. Sollicité à Budapest, et sachant que  je m'engagerai dans ce théâtre, il a accepté en disant qu'il aimerait bien en créer une nouvelle version avec moi dans le rôle-titre, et il avait précisé qu'il écrirait une nouvelle variante du sujet. 

Csaba aime beaucoup ce thème de l'amour et en général la littérature française, comme le montre notre Laclos : il est familier de tout ce monde francophone. Mais la proposition concernait la grande scène. Et nous travaillons sur ce problème, depuis le début, et puisque la répétition générale n'a pas vraiment bien marché, puis la première laissait encore à désirer, on continue... Par chance, toute une série de représentations est là. En janvier, on ne le rejouera pas, mais en février, oui. Donc nous luttons pour contrecarrer ce problème. Il n'y a pas de décor et la voix se perd  facilement?

En fait, votre voix ne se fait pas valoir toujours assez bien?

Oui, le grand espace n'est pas favorable à l'intimité et aux choses sensibles que Csaba demande, puisqu'il est très attentif à ce côté de la pièce, et j'aime bien cela. Pourtant dire Je t'aime ou Reviens, cela ne va pas s'il faut crier: JE T'AIME, REVIENS ... !!!!

Oui, c'est bizarre d'entendre cela si fort, presque hurlé!

Cela me rend folle! Quand je tourne le dos, cela ne passe pas, et aujourd'hui, par-dessus le marché, je suis malade, il faudra faire terriblement attention. En plus, c'est une matinée, il y aura salle comble, on ne peut pas annuler.

On est donc d'accord que le studio comme cadre conviendrait mieux, comme dans le cas des Liaisons dangereuses dans l'autre théâtre (Új Színház Studió).  On s'est déjà rencontré d'ailleurs dans le vernissage de l'expo Lectures dangereuses où vous avez joué avec Zoltán Seress une scène de ce spectacle.

Mais bien sûr, la scène de l'épée (le duel) !

A vrai dire, je suis allée voir tout le spectacle après, et je n'ai jamais vu une adaptation aussi authentique du roman de Laclos. Ce qui n'est pas la moindre des choses, puisqu'il y en a légion et la plupart sont mauvaises. Cette version est bien meilleure par exemple que celle de  C.  Hampton?

C'est encore Csaba qui l'a écrite et c'est vraiment bien. Il est dommage qu'on ne puisse plus la jouer.

Pourquoi?

Il y a  deux ans, j'ai quitté ce théâtre, et on disait que nous pourrions continuer à la jouer, mais finalement, ils se sont sentis insultés et c'est fini. C'est bête de couper ainsi les liens... Ensuite,  j'ai fait une année comme free lance et je vais m'engager bientôt ici, dans ce théâtre. Dommage que cela finisse ainsi.

Il n'y a même pas d'enregistrement vidéo?

Non, rien. En plus, le spectacle n'a pas été invité non plus au POSZT (Rencontre Nationale des Théâtres de Hongrie, sur invitation), donc rien. Cela se passe ainsi dans le théâtre, comme ailleurs, dans votre métier aussi, je suppose. La rivalité, la concurrence, puis les intrigues et les conspirations dominent. La qualité ne compte pas, mais ce qui importe, c'est plutôt le fait que les copains jouent dedans ou qu'on fait une grande publicité, un grand boucan autour, donc c'est encore le chien le plus fort qui b... Si je réfléchis là-dessus, je perds toute envie d'être dedans et, dans un pays normal, cela ne devrait pas se passer comme cela.

Oui, d'accord, mais je proposerais ce spectacle aux lycéens qui ne connaissent pas le roman de Laclos. Cette version, l'une des meilleures (y compris la variante filmée par S. Frears), bien que le texte soit intraduisible, est parfaitement adaptée. Dans ce jeu, l'essentiel passe et on peut se faire une idée du chef d'?uvre de Laclos.

Oui, l'imbrication des liaisons se fait sentir, et c'est l'essentiel. Et voilà la même chose pour cette courtisane. Csaba n'a pas voulu en faire une histoire sur la prostituée de luxe qui vieillit et tombe amoureuse d'un jeune, mais il voulait que le tout parle de la possibilité de l'amour. Je prends des notes et voilà, sur mon exemplaire, j'ai noté: Puis-je aimer? Suis-je encore capable d'aimer vraiment? Pas d'affectation! Prends ton temps et réfléchis! Ne réponds pas tout de suite.

Ce sont des questions que vous vous posez à  vous-même?

Oui, voici encore mes notes prises le jour de la première même: Qui suis-je? Est-ce que j'ose encore aimer? Puis-je m'ouvrir devant l'amour? Ce n'est pas simplement un rôle, cela veut dire également que je me questionne moi-même: Moi, Anna, puis-je encore aimer?

En tous cas, vous avez réussi à le faire croire. Ce spectacle est fondé sur vous et il fonctionne comme tel, bien qu'il y ait encore d'autres personnages qui soient excellents (Mariann Csernus). Toutefois, il faudrait tout transposer dans un espace moins grand (un boudoir) ...

Le studio Sinkovits est trop petit, mais on pourrait mettre les spectateurs sur la scène, nous entourer du public, bien que cela signifie moins d'entrées, et on est obligé de produire de bonnes recettes?

D'accord, ce sont des réalités, mais voyons ce que vous trouvez de moderne et d'actuel dans cette histoire.

Csaba n'a pas donc voulu reprendre une histoire du XIXe siècle, avec décor historique et costumes, mais montrer le noyau du sujet en tant que questionnement sur la possibilité de l'amour...C'est un processus qui se fait dans l'âme de Marguerite Gautier. Elle rencontre l'amour pour la première fois et ignore si elle peut assumer cette passion, elle-même, avec son passé, si elle est encore capable, si elle a le courage de s'ouvrir à ce sentiment. L'âge est important, puisque nous sommes irresponsables très jeunes: on se lance dans les passions et les folies, mais la quarantaine passée, il faut savoir ce qu'on veut. Cette femme a une existence malgré tout, une vie qui marche finalement bien, et il faudrait tout rejeter pour cet amour. Elle lutte contre cette tentation tout en réalisant un examen de conscience. Elle a une situation, et celle-ci pourrait être différente e s'appliquer à d'autres personnes ayant famille, enfants, une vie rangée. Pour elle, c'est le statut de demi-mondaine, mais cela ne fait rien. Il faut tout laisser, abandonner pour s'adonner à la passion, et l'alarme, la poignée  rouge est là?

Justement, je ressens un manque sur ce plan: le sujet du sacrifice consenti est absent. Ce motif est très mis en relief dans l'opéra de Verdi pour ne citer qu'un seul exemple, le grand air du père Germont qui demande  à Violetta de renoncer à Alfred pour lui laisser un avenir et de permettre  à sa s?ur de faire un mariage bourgeois comme il faut?

Il en reste ici une scène avec le père ...

Une courte scène, c'est vrai.

Et qui aurait cru l'histoire d'une demi-mondaine qui se sacrifie pour son homme, en 2010 ? Ce serait un probleme des vieux temps, de l'époque de l'opéra de Verdi, oui, mais non pas d'aujourd'hui. Csaba  s'est intéressé a autre chose, au point de vue de la femme. Puisque le roman est écrit par un homme, rétrospectivement, tout reflète sa vision, tandis que chez nous, c'est la femme qui se trouve au centre. A mon avis, c'est lui-même qui est transposé dans cette femme?

Pourtant, le rôle est écrit visiblement pour vous, c'est clair pour le public.

Je suis très différente comme femme. Je dois lutter contre mon propre caractère pour jouer cette Marguerite. J'ai pleuré pendant plus d'une répétition  à cause de cela. C'est Csaba qui est très froid, très intelligent et intact, et je me demande s'il n'est pas tombé amoureux ces derniers temps, mais je ne suis pas au courant (elle rit).

Pour moi, l'amour est indubitablement là, mais c'est envers vous...

Je suis le contraire de son portrait, lui si précis et sans émotions. Je suis très sentimentale et pleine de passions.

En plus, vous avez un caractère déterminé...

Je suis dirigée par mes émotions fortes. Et j'ai été vraiment ébranlée pendant les répétitions par ce dilemme: qui est cet homme qui s'est exprimé en Marguerite, avec qui est-ce que je vis? Pas dans le mauvais sens, mais dans celui de la connaissance de l'autre ?  C'est ce qui est difficile dans nos travaux communs. ?.Il est très tourné vers les choses sensibles et se désintéresse des effets théâtraux forts, comme les lumières vertes, les contrastes, les grandes sensations gestuelles et visuelles.

?qui fait courir le public. Et le sacrifice consenti par la courtisane ne l'a pas intéressé non plus.

Non, pas du tout.

Donc, finalement, c'est la modernité, la problématique concentrée sur l'amour et le point de vue de la femme qui rend cette nouvelle variante très intéressante, en plus de votre performance remarquable de comédienne dans le rôle-titre.

Ilona Kovács (www.lepetitjournal.com/budapest.html) mercredi 5 janvier 2011

Pratique :
La Dame aux Camélias d'Alexandre Dumas fils, réécrite par Csaba Kiss
Pesti Magyar Színház, Budapest, VII. Hevesi Sándor tér 4.
Prochaines représentations: le 1er février à 19h et le 20 février à 15h


Publié le 5 janvier 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

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