Des géants en béton et en acier, des blocs défraichis par le temps, que les gens préfèrent ignorer ou critiquer. L’empreinte du communisme est partout, référence à un passé lourd, qu’il serait préférable pour la plupart des gens, d’oublier. Jakub Charousek, un jeune tchèque de 25 ans, passionné par l’art brutaliste ne voit pas les choses sous cet angle. Il fouille de son objectif cette architecture mal-aimée pour montrer à voir ses beautés cachées. Avec l’aide de Frantisek Zachoval, directeur du Centre tchèque de Bucarest, il inventorie les bâtiments datant de l’époque communiste, en les prenant en photo et en fouillant dans les archives à la recherches de vieilles images. Ainsi est né, il y a un an, le projet Instagram « Protect Public Space » où ils partagent leurs trouvailles.
Le Petit Journal de Bucarest: Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
Jakub Charousek: Personnellement j’aime me promener dans Bucarest, et j’aime ce type d’architecture socialiste. En partenariat avec le directeur du centre tchèque, Frantisek Zachoval, nous avons donc initié ce projet, inspiré d’une démarche similaire en Tchéquie qui existe depuis déjà 6 ans, et s’appelle Aliens and Herons. Leur but est de cartographier l’art socialiste dans l’espace public, de l’ancienne Tchécoslovaquie. Ils mettent ainsi en évidence différentes sculptures abstraites ou des sculptures avec des motifs floraux car durant le communisme les artistes ne pouvaient pas exprimer d’autres idées idéologiques ou ne voulaient pas exprimer l’idéologie officielle donc ils sculptaient par exemple des motifs inspirés de la nature.
Comment l'architecture de l'époque communiste a-t-elle évolué ?
Tout dépend de l’époque à laquelle les bâtiments ont été construits. Dans les années 60, on a commencé à utiliser d’une manière particulière le béton armé pour construire des structures qui semblaient légères mais qui sont assez solides. En Roumanie c’est intéressant car il y a eu vers les années 50 le mouvement du réalisme socialiste, un exemple intéressant serait Casa Presei Libere, quand on essayait de copier des bâtiments de Moscou construits par Staline, ou par exemple des quartiers comme la vieille partie de Drumul Taberei où on a de petits immeubles de 4 étages, avec des décorations représentant par exemple des travailleurs. C’est la première phase, ensuite vient une nouvelle tendance dans les années 70 avec de nouveaux matériaux et avec une approche plus libérale, spécialement avec l’arrivée de Ceausescu et de Anca Petrescu, l’architecte de Palatul Parlmanetului, qui ont amené des choses nouvelles, on peut citer par exemple le boulevard Unirii qui se voulait plus grand que les Champs Elysées.
Comment les Roumains par rapport aux Tchèques se positionnent-ils quant à cette architecture ?
A peu près pareil, les personnes les plus âgées qui ont connu le communisme sont plus critiques et n’aiment pas à priori, mais d’autres voient autre chose en oubliant l’idéologie qu'il y a derrière et acceptent. La jeune génération voit les choses différemment du fait de ne pas avoir connu cette époque et parfois cela devient même un truc branché apprécié par les « hipster ». Notre but est de changer le regard du public sur ces bâtiments car beaucoup de ces architectes et artistes faisaient tout simplement leur boulot, tout en essayant, pour certains d’entre eux, d’éviter de servir l’idéologie officielle. Je crois que ce sera possible dans le temps car c’est des choses de valeur qu’il faut préserver et qui font partie de notre patrimoine culturel.
Avez-vous des exemples de bâtiments réhabilités ?
Justement on ne veut pas s’arrêter au projet Instagram et aux photos, on veut aller au-delà. En partenariat avec le centre tchèque, on a accès à un cinéma à Eforie Sud, au bord de la mer Noire, qui est complétement délabré et laissé à l’abandon depuis maintenant 25 ans, il y a même des arbres qui ont poussé à l’intérieur. On veut le nettoyer, installer des bancs et organiser, début août, un festival de films là-bas. Donc on voudrait combiner le fait de ramener l’édifice à la vie, celui d’organiser un projet culturel en dehors de Bucarest, et ainsi d’offrir une alternative pour ceux qui vont à la mer au mois d’août car, à part les festivals de musique, l’offre culturelle est assez limitée. On voudrait que ce soit un projet durable, sur le long terme et donner ainsi à cet espace une seconde chance, peut-être en y ouvrant une résidence d’artiste ou un espace d’exposition.
Le projet Protect Public Space: https://www.instagram.com/protectpublicspace/
Le projet Cinemascope : https://www.facebook.com/cinemascopeforie/
Propos recueillis par Sarah Taher