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Portrait de Li Cin Lam Mang, propriétaire de Yoyamay

Pa & NuPa & Nu
Écrit par Julie Das
Publié le 27 mai 2018, mis à jour le 27 mai 2018

Yoyamay est une boutique insolite et solidaire spécialisée dans la fabrication de textiles ethniques qui s’adresse non seulement aux touristes avertis mais aussi aux chineurs et aux connaisseurs. C’est un lieu unique en son genre à Yangon où l’on aime venir dénicher la pièce de textile rare. Il est situé au premier étage du bâtiment principal du marché de Bogyoke.  Les propriétaires de Yoyamay sont un couple de sexagénaires engagés dans la sauvegarde du patrimoine du textile Chin et passionnés par la transmission aux générations futures. 

Portrait de Monsieur Li Cin Lam Mang 
Monsieur Li Cin Lam Mang a suivi des études de médecine, et parce qu’il n’a pas réussi son concours brillamment, il est orienté vers la section vétérinaire. "A l’époque, me confie-t-il, on choisissait ses études en fonction de ses centres d’intérêt et non pas en fonction d’une carrière parce qu’il n’y avait de toute façon pas de travail à la clé sauf pour les employés du gouvernement ou les enseignants !" A la sortie de ses études de vétérinaire, il ne trouve donc pas de poste (pour l’anecdote, il n’y avait pas d’animaux domestiques à soigner !) et il saisit l’opportunité de rejoindre le syndicat de la fédération de la coopérative de Tadim. Ce syndicat ‘semi gouvernemental’ et obligatoire pour tous avait pour mission de gérer tous les types de rationnement de riz, les commodités, les ustensiles ménagers et les vêtements. En plus du rationnement, le syndicat devait référencer le cercle de tous les tisserands locaux et c’est ainsi que Mr Li Cin Lam Mang entra dans le monde du textile qui lui était encore inconnu jusque-là. Il s’intéresse de suite à la vie des tisserands qui sont agriculteurs pour la plupart ou producteurs de charbon et qui ont un savoir-faire ancestral qu’ils continuent d’exercer pendant la saison des pluies torrentielles où il est impossible de récolter. Ce revenu supplémentaire est essentiel à leur survie et Mr Li Cin Lam Mang et sa femme Daw Khun Shwe y sont très sensibles. 

En 1988, il n’y a plus de travail pour lui et il est transféré à Yangon. Il se retrouve au département de l’administration générale sans mission vraiment stimulante et parce qu’il souhaite garder le lien avec l’état de Chin, il se lance dans la vente de produits de plantes médicinales, de café, de gelée de pommes… mais ce n’est pas un grand succès ! En 2006, c’est le grand tournant. Il y a un engouement pour le tourisme en Birmanie et nos deux protagonistes décident d’ouvrir la première boutique solidaire de textiles Chin dédiée au travail des tisserands. Yoyamay qui signifie 'en l’honneur des femmes traditionnelles' voit le jour et c’est le début d’une grande aventure. Avec trois vieilles femmes tisserandes, il monte un petit réseau de distribution avec à la tête des jeunes hommes dynamiques qu’il connait de l’église et qui cherchent un moyen de financer leurs études. Ces hommes ont aujourd’hui 45 ans et travaillent encore avec lui et avec plus de 200 femmes tisserandes. La passion de soutenir les tisserands est commune à tous les partenaires de Yoyamay. La demande est surtout tournée vers les touristes curieux qui aiment ces designs authentiques et ces fibres naturelles et durables et qui souhaitent acheter avec un souci responsable pour la conservation du patrimoine Chin.  On trouve des dessus de lit, des plaids, des tuniques et des châles, mais aussi des housses de coussins, des petits sacs, des porte-monnaie (à partir de 1 dollar !) et des accessoires tribaux comme des colliers ou des paniers. On vient chiner, discuter avec les propriétaires de la fabrication et de la qualité des produits, feuilleter les pages des nombreux livres photos écrits sur le sujet et trouver la pièce rare ! Demandez-lui par exemple de vous montrer les chemins de table en fibre de marijuana ! Pas consommable bien sûr. Ou bien les pièces qu’elle choie de plus de 80 ans d’âge ! Et pour expliquer la différence de prix et de qualité à la clientèle de passage, ils ont même acheté des fibres synthétiques ‘Made in China’ qui sont imprimées en masse et coûtent des 'clopinettes'.

Rassurez-vous, il y en a pour tous les budgets mais ce qui est essentiel à retenir, c’est que les tisserands reçoivent la moitié du prix de vente à la boutique. C’est une pratique commerciale très équitable et qui donne envie d’acheter ! Alors si vous voulez soutenir le projet, ne négociez pas mais appréciez plutôt le travail fait main et la qualité. Il faut en effet deux mois de préparation pour fabriquer les bobines et une journée pour le tissage d’un plaid. Et pour vous donner un ordre d’idée, un tisserand assidu gagne 50 000 kyats net (l’équivalent de 38 dollars) par mois, ce qui laisse à réfléchir ! 

A noter aussi que les produits fabriqués et sortis avec des petits défauts sont quand même rachetés et transformés grâce au 'Poverty Devastation Fund' qui a délégué il y a quelques années de cela des créateurs américains et français pour dispenser une formation sur des designs contemporains. Bref, tout a été pensé pour que le commerce soit équitable et que les tisserands puissent joindre les deux bouts. Et en ce qui concerne les projets d’avenir, Mr Li Cin Lam Mang et sa femme sont des visionnaires. Ils travaillent sur l’ouverture d’un centre de formation et de recherche à Insein, qui ouvrira avant la fin de l’année et dont l’objectif est de réorienter les jeunes qui travaillent dans les usines de Yangon vers ce savoir-faire traditionnel et en perdition, en y incorporant des touches de styles contemporains. Ainsi les jeunes femmes Chin seront formées, indépendantes financièrement et pourront scolariser leurs enfants.

Un deuxième projet communautaire est en cours à Mobi. Il s’agit de regrouper six villages de 2 000 habitants du clan de Shwe Si Yin, pour préserver l’usage du dialecte Si Yin, conserver le patrimoine culturel et perpétuer les traditions auprès de la jeune génération. Aujourd’hui, Mr Li Cin Lam Mang est un homme heureux et accompli. Il a su donner un sens profond à sa vie et grâce à son ardeur et sa ténacité, il a créé un empire durable pour sa famille et les générations à venir.

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Publié le 27 mai 2018, mis à jour le 27 mai 2018

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