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ECONOMIE - Le développement du secteur bancaire en Birmanie (Épisode 1)

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Écrit par Justine Hugues
Publié le 18 janvier 2017, mis à jour le 18 avril 2018

Les crises financières et leurs effets dévastateurs sont les témoins du rôle joué par les banques dans les économies modernes. Le secteur bancaire, en finançant les agents économiques - particuliers ou entreprises -  a en effet un rôle de catalyseur du développement économique, tout en constituant lui même un secteur clé de l'économie d'une nation, étant une source importante d'emplois qualifiés et bien rémunérés. Aucun Etat n'a atteint un stage avancé de développement sans un secteur bancaire qui soit large, solide et efficace. La Birmanie ne fera pas figure d'exception. Voyons donc de plus près où elle en est. 

 

Des décennies d'atrophie ont empêché la croissance économique et l'inclusion financière


Ayant été muselée au cours des cinquante dernières années, la contribution du secteur bancaire birman à la croissance économique reste limitée, surtout si on la compare à ses voisins de l'ASEAN. Le ratio actifs bancaires/PIB en Birmanie (49%) est loin derrière celui de la Thaïlande (128) ou de la Malaisie (204). Le secteur bancaire se caractérise également par une très faible inclusion bancaire,  avec plus de 75% de la population de plus de 15 ans n'ayant pas de compte bancaire et moins de 5% possédant des cartes de débit/crédit. 

Trois types d'acteurs composent aujourd'hui le secteur : 4 banques publiques (Myama Economic Bank -MEB-, Myanma Agriculture and Developement Bank -MADB-, Myanma Investment and Commercial Bank -MICB, Myanma Foreign Trade Bank -MFTB), 24 banques privées domestiques, 13 banques étrangères et 49 bureaux de représentation de banques étrangères. Les premières maintiennent une part significative des actifs bancaires (46% en mars 2016), quoiqu'en déclin (67% en mars 2013), mais elles ont surtout conservé leur mandat historique, et sont, ce faisant, en concurrence directe avec les banques privées. Parmi ces dernières, un grand nombre est de taille non critique ; preuve en est que le trio de tête détient 60% des parts du marché et a développé huit fois plus de succursales sur le territoire birman au cours des deux dernières années que toutes les autres banques privées mises ensemble. 

Ce qui est assez fréquent chez les autres pays d'Asie du Sud-Est (50% des dépôts sont détenus par seulement trois banques en Thaïlande et Malaisie) pose en revanche un défi supplémentaire en Birmanie, lié à la toute petite taille du marché dans son ensemble. Sur la base de cette dernière ainsi que sa répartition, on considère en effet que seules les cinq premières banques privées birmanes auront la taille nécessaire pour façonner le marché, tandis que beaucoup d'autres ne pourront pas survivre aux nouvelles régulations (fin mars 2016, six d'entre elles ne disposaient en l'occurrence pas du capital minimum imposé par la nouvelle Loi de Finances - vingt milliards de kyats soit environ seize millions de dollars).  Ainsi, côté capital, les banques birmanes souffrent des mêmes limitations que le reste de l'économie qu'elles sont censées contribuer à financer. 

Par ailleurs, les montants des dépôts et des crédits étant estimés autour de 21 et 12 milliards de dollars respectivement, cela signifie que 9  milliards de dollars d'épargne ne sont pas redistribués à l'économie, mais, pour une grande partie, stérilisés auprès de la Banque Centrale (CBM).  Cette problématique fréquente des pays en développement limite de fait les financements bancaires, et donc, les investissements. 

Niveau densité de succursales, laquelle pourrait participer à réduire la "fracture" bancaire, les résultats sont tout aussi modestes. S'il atteint un honorable 23 pour 100 000 habitants dans la région de Yangon, le nombre de succursales tombe à une pour 100 000 dans l'Etat Chin.
Le système de paiement est très rudimentaire aussi. A l'heure actuelle, plus de 90 % des transactions et paiements des salaires (y compris les dépenses publiques) se font en espèces. La levée des sanctions américaines devrait permettre aux grands émetteurs internationaux  de cartes de crédit/débit (VISA, MasterCard, AE) d'investir en Birmanie. La très récente annonce de la Banque Centrale sur la levée des limitations pour les entreprises de paiement internationales (brève du 13 janvier) en est une illustration. 

Enfin, le système de garantie des dépôts existe depuis 2011 mais à un stade embryonnaire. Aujourd'hui, les dépôts sont seulement garantis à hauteur de 500 000 MMK (environ 365 dollars) ; cette somme représentant l'indemnisation touchée par un client, lorsque sa banque n'est plus en mesure de rembourser son épargne. Or, la garantie des dépôts, en protégeant les déposants, contribue à entretenir la confiance et à assurer la stabilité du système bancaire dans son ensemble.  Quoi qu'il en soit, partant d'une base minime, le secteur bancaire en Birmanie est celui qui connaît le développement le plus rapide, avec une croissance des actifs de 18% sur les trois dernières années. L'état sous développé du secteur bancaire pourrait donc être perçu comme une opportunité pour mettre en place le cadre réglementaire nécessaire et faire les ajustements adéquats avant que la taille ne complique la tâche.

 

Quelle place pour les banques étrangères ? 


Alors qu'avant 1963, les banques étrangères représentaient plus de la moitié du capital et étaient, dans certains secteurs comme le commerce extérieur, plus actives que leurs contreparties locales, elles ont subi de plein fouet les résultats de plus de trente ans de nationalisation.  Si récente soit elle (neuf banques ont obtenu une licence pour opérer en 2014 et quatre en 2016, aucune d'entre elles n'étant d'origine européenne ou américaine), la réapparition des banques étrangères sur le marché a déjà eu un impact tangible sur la structure du marché dans son ensemble et davantage de changements s'annoncent en perspective. L'un des meilleurs indicateurs de ce potentiel est la taille du capital auquel les banques étrangères se sont engagées et partant, la capacité de prêt qu'elles ont substantiellement contribué à augmenter. Outre le capital, les banques étrangères apportent des pratiques exemplaires et introduisent de nouveaux produits bancaires, en partenariat avec des banques locales. Toutefois, force est de constater qu'ayant reçu des licences restreintes de la part de la Banque centrale birmane, l'éventail des activités autorisées est loin d'être extensible. Elles sont pour l'instant tenues de se concentrer sur les services bancaires de gros (comprendre pas de détail /opérations de guichet) ainsi que le développement de partenariats avec les banques privées birmanes pour pouvoir servir le marché domestique. 

 

 

Et la France dans tout ça ? 

La BRED - Banque Populaire est la seule institution française à faire partie des 49 bureaux de représentation de banques étrangères évoqués plus haut. Ce sont Aung Thant Oo et Dominique Savariau, respectivement Représentant pays et coordinateur en développement des affaires qui sont aux commandes, depuis que le bureau a ouvert il y a plus de deux ans. Ce duo franco-birman, ayant à son actif une expérience impressionnante dans le milieu des affaires birman, se dédie principalement à collecter de l'information et appuyer les entreprises françaises établies en Birmanie ou souhaitant y investir, dans l'attente de pouvoir exercer le c?ur de métier de la BRED : le soutien à la croissance économique via le financement des PME. Selon Dominique Savariau, "ici, la micro finance est limitée à des prêts de 5 000 dollars, les banques traditionnelles prêtent en moyenne 80 000 dollars. Or, plus de la moitié de l'économie birmane se situe entre les deux".  En outre, par le biais de partenariats avec les banques privées domestiques (notamment CB Bank), la banque française peut faciliter les virements, garanties bancaires pour permettre les investissements étrangers, ou encore les lettres de crédit pour les compagnies birmanes achetant des produits en Europe. Membre de la chambre de commerce franco-birmane, la BRED-Banque Populaire est donc une mine d'informations précieuses, tout en tachant d'influencer l'évolution du cadre normatif dans le secteur bancaire. La prochaine étape selon Aung Thant Oo étant que "la banque centrale facilite les conditions d'exercice des banques étrangères ayant déjà obtenu une licence"

 

Les jalons de la modernisation vers la naissance d'un secteur bancaire solide, efficace et inclusif


En Birmanie, les premiers jalons ont été posés pour créer une régulation bancaire plus moderne et performante. L'établissement d'un nouveau régime de change flottant administré,  la confirmation de l'indépendance de la banque centrale et l'élargissement de ses responsabilités pour y inclure les politiques monétaires, de change et la supervision prudentielle sont autant de mesures phare qui ont permis la création de banques privées et l'introduction de services bancaires. 

Depuis cinq ans, le secteur dans son ensemble s'est considérablement développé, des succursales ont été ouvertes, des distributeurs ont essaimé un peu partout dans le pays, plus de cartes de crédit ont été délivrées et le crédit a fait son apparition. La nouvelle Loi sur les Institutions financières (janvier 2016) représente en ce sens un grand pas en avant et devrait orienter la modernisation du secteur sur les vingt prochaines années. 

Par ailleurs, en matière de lutte anti-blanchiment, de très gros progrès ont été faits depuis 2002 grâce à la mise en place de réglementations successives. Le Groupe d 'Action Financière (GAFI- ou l'organisme intergouvernemental chargé d'élaborer des normes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux,  financement du terrorisme ou autres menaces pour l'intégrité du système financier international) a retiré la Birmanie des pays non coopératifs et levé toutes les réserves. Une conséquence, et pas des moindres : les banques locales peuvent maintenant travailler avec les banques internationales. Pour autant, pour que ce tournant décisif  soit une réussite, bon nombre d'initiatives doivent encore être prises, parmi lesquelles l'établissement de la confiance des birmans dans le système bancaire, faisant aujourd'hui cruellement défaut.

Comme rapidement évoqué plus haut, le lien de causalité entre confiance, développement de l'épargne au service du crédit, et in fine, croissance économique du pays, n'est en effet plus à démontrer. En outre, en facilitant son marché interbancaire (prêts/emprunts entre banques) et en attirant le capital via une offre d'investissements attractive, en augmentant la transparence des institutions bancaires (les rapports annuels des banques ne sont pas rendus publics à l'heure actuelle), en investissant dans les ressources humaines et l'expertise technique (quitte à ce que ce soit via les financements des institutions multilatérales comme c'est le cas à l'heure actuelle), en accroissant encore davantage les capacités de régulation et l'autonomie de la Banque Centrale et réformant les banques publiques, le secteur bancaire birman a le potentiel pour égaler le niveau de ses voisins asiatiques. Le pays pourrait alors confirmer ainsi son image de "success story" récemment acquise dans bien d'autres secteurs de l'économie.

Pour l'heure, de plus en plus de birmans non bancarisés ont recours à des alternatives plus accessibles telles que les services bancaires mobiles. Ces derniers connaissent un boom sans équivalent, pas étonnant lorsqu'on sait que l'usage des smartphones se généralise à une vitesse folle, plus que partout ailleurs dans le monde.

Mais on vous le réserve pour un prochain épisode. Le temps pour vous, qui sait, d'être acteur de cet élan de confiance nécessaire en ouvrant votre premier compte en banque birman !


Retrouvez le blog de Justine: http://justine.hugues.fr
Jeudi 18 Janvier 2017 - Justine Hugues

 

 

 

Justine Hugues
Publié le 18 janvier 2017, mis à jour le 18 avril 2018

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