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Angela Merkel ou "das Mädchen" selon les essais de Marie-Christine Giordano

Portrait d'Angela MerkelPortrait d'Angela Merkel
© Laurence Chaperon
Écrit par Lepetitjournal Berlin
Publié le 20 septembre 2021, mis à jour le 21 septembre 2021

Retour sur le parcours unique de cette jeune fille de Templin que l'on appelle aujourd'hui die Mutti à travers toute l'Allemagne. Sous la plume de Marie-Christine Giordano, nous découvrons ici le premier essai tiré de l'ouvrage "Das Mädchen" paru aux éditions Abbate-Piolé en avril 2021.

 

Le Songe - Der Traum - Flashbacks

Berlin, Octobre,  il a plu toute la nuit, les feuilles jonchent le sol mouillé, le quartier de la Spree s’éveille doucement de son sommeil lourd, le Palais du Parlement fédéral se détache sur le ciel gris noir du petit matin, l’endroit est pratiquement désert, quelques limousines, garées devant le Bâtiment Paul Löbe, siège des bureaux des députés, semblent dormir derrière leurs vitres fumées.

Une femme avance à grands pas près de la berge qui longe le fleuve, elle porte une serviette en cuir patiné par le temps, la tête baissée, les mains gantées, un long manteau beige flotte au gré du vent.

On peut entendre les bruits du Tiergarten, la circulation vers la Porte de Brandebourg, les cris des oiseaux en quête de quelque nourriture, la colonne de la Victoire grandit au-delà des arbres. Des cyclistes traversent rapidement la grande avenue vers Unter den Linden, le trafic se fait maintenant plus dense du côté de la Pariser Platz, en face de l’ambassade de France.

La vie reprend peu à peu alors que le jour se lève, la silhouette emprunte un grand porche vers un bâtiment carré aux baies vitrées, dont le reflet encore pâle joue avec la lumière qu’on vient d’allumer pour elle.

Le gardien la salue respectueusement, le couloir résonne de leurs voix mêlées.

Il a l’habitude depuis tant d’années, elle est toujours ponctuelle, quel que soit le temps, quelles que soient les circonstances, elle est toujours là, quand son agenda et les voyages d’État lui permettent.

Aujourd’hui c’est mercredi, réunion du cabinet « Das Kabinett », le conseil des ministres du Cabinet fédéral doit commencer dans une heure. Elle est toujours en avance car elle revoit les dossiers et prépare les questions, un échange avec ses conseillers se fera en amont.

Elle prend l’ascenseur, un jour nouveau, avec son lot de bonnes et mauvaises nouvelles, le grand chantier du monde… Le corridor est désert, nul bruit à cette heure matinale, l’étage ressemble à un théâtre antique avec ses marches en arc de cercle surplombant le vide.

Angela Merkel est dans la place, elle ouvre la porte de son bureau silencieux.

Elle pose sa serviette sur la table immense remplie de papiers et de dossiers, puis ouvre la grande porte fenêtre, elle se dirige vers le balcon, Berlin est là qui l’attend. Depuis plus de quinze ans, du haut du 7ème étage elle reçoit les chefs d’États et leur présente la capitale sur laquelle elle a une vue imprenable, elle leur décrit la Potsdamer Platz, la Philharmonie, la Tour de télévision, la Sprée qui repose calmement dans son lit…

Combien de fois est elle allée sur cette terrasse, elle ne sait plus, elle a la sensation d’avoir toujours été là. Elle songe à ce diplomate suédois Dag Hammarskjöld, homme de lettres et homme de bien, prix Nobel de  la Paix qui a œuvré pour l’Afrique et a  écrit dans son ouvrage JALONS, « Pour tout ce qui a été, merci ! et à tout ce qui est à venir, oui ! » Il est mort en 1961, année de l’édification du Mur de Berlin.

Maintes photographies ont été prises de la chancelière sur ce balcon, avec Berlin en toile de fond, tout un symbole. Elle sait qu’elle doit regarder la ville au fond des yeux et lui avouer ce qu’elle n’a osé dire depuis tous ces mois, elle répète la phrase à demi-mot, « Je dois partir maintenant », tel un leitmotiv, comme un refrain d’une chanson triste, sortie du répertoire de Gerhard Gundermann dit Gundi, chanteur à succès de l’ex RDA  et informateur de la Stasi à ses heures  « Ich muss gehen… »  Le Mur de Berlin est tombé depuis plus de trois décennies déjà, c’est une éternité, où était-elle alors ? Elle se remémore ces instants fugaces le 9 Novembre 1989, un jour comme un autre , qui avait commencé d’une façon tout à fait banale, lever tôt pour aller à l’Université d’Adlershof où elle a passé sa thèse de physique quantique en 1986. Après un bref petit déjeuner avalé sur le pouce, elle avait pris le train vers 6h30 et la journée s’était écoulée comme toutes les autres, elle travaillait au laboratoire, couchait ses notes et ses analyses dans son carnet de bord, rien ne laissait présager l’événement extraordinaire qui allait embraser la nuit berlinoise.

 

Angela Merkel pretant serment
© REGIERUNGonline/Bienert  

 

En sortant de l’Académie des Sciences de Berlin-Est, elle va au sauna avec une amie, avant de rentrer chez elle à Prenzlauer Berg où elle loge dans un appartement situé Templiner Stasse, signe du destin, petit mais pratique pour ainsi dire un squat, où on ne perd pas de temps à chercher ses affaires, tout doit être efficace, comme cela le sera sans doute dans sa vie future.

Elle n’avait jamais imaginé qu’un jour l’Allemagne serait réunifiée et elle avait organisé sa vie tant bien que mal avec son lot quotidien de problèmes à gérer au laboratoire et ses expériences de scientifique  confirmée. Elle dira même « Je ne pensais pas voir cela de mon vivant ! »

L’infiniment petit, les lois permettant de comprendre comment fonctionne un électron, un grain de lumière ou une molécule n’ont plus de secrets pour elle, il lui reste maintenant à découvrir un autre monde que celui de la physique quantique.

Avant de se rendre au sauna, elle appelle sa mère, elle vient d’entendre que les Allemands de l’Est sont désormais libres de voyager, la frontière entre l'Autriche et la Hongrie n’existe plus...

Le Mur est en train de tomber… La deuxième vie d’Angela Merkel commence ce soir là.

A 20h30 le 9 Novembre 1989, la foule se rassemble devant le poste frontière de la Bornholmer Strasse, situé entre Berlin-Est et Berlin-Ouest, les Vopos, la police du peuple, sont désorientés car la foule devient de plus en plus compacte.

A 22h40 la Télévision de l’Ouest annonce que le Mur est ouvert.

Ce qui est fait à 23h30, les Berlinois se précipitent dans l’euphorie de la liberté, les autres postes frontières cèdent devant la marche de l’histoire... L’emblématique Potsdamer Platz en est le centre névralgique.

Les heures qui suivent et la nuit verront le mur détruit à coups de pioche, l’espoir d’un monde meilleur, la réunion de familles séparées, d’amours brisées, de carrières éclatées, la vie devra reprendre son cours.

Angela rencontre une marée humaine au Checkpoint Charlie, elle se retrouve sur le Bösebrucke, pont qui file vers Berlin Ouest, elle marche au hasard, bousculée par les uns et les autres,elle entre dans un immeuble dont la porte est ouverte à tous les vents, grimpe un escalier étroit pour enfin arriver dans un appartement où les gens se pressent, des bières à la main. La radio, de laquelle s’échappe un son nasillard, bombarde des nouvelles du Mur.

Elle accepte une canette que lui tend un homme pressé, et pénètre dans la salle à manger près de la fenêtre, le liquide ambré lui paraît délicieux, l'ambiance est festive, elle regarde la foule en bas dans la rue…

« Ce que j’ai ressenti à l'époque, je n’arrive pas à l’exprimer, c’était presque incroyable » confiera-t-elle plus tard à un journaliste.

Elle dira encore « Ce fut une expérience merveilleuse ! »

Puis elle rentre chez elle, il se fait tard et sa journée commence très tôt le lendemain à l’Académie des Sciences d’Adlershof. Deux jours plus tard, le 11 novembre, un autre évènement extraordinaire a lieu, le violoncelliste d’origine russe, Mstislav Rostropovitch, joue la Sarabande de Bach assis sur un pan du Mur effondré, son instrument produisait un son doux et merveilleux, comme une chanson d’amour, les berlinois très émus s’étaient rassemblés autour de lui et avaient déposé quelques pièces d’argent venues de l’Est, comme un cadeau d’adieu,  le moment était unique, il raconte ce souvenir avec beaucoup d’émotion et il dira plus tard

« Je suis venu jouer ici pour que l’on se souvienne de tous ceux qui sont morts à cause de ce mur »

Angela a t’elle assisté à ce concert improvisé ?

Dans cette période troublée et exaltante, sans doute la jeune femme eut elle aimé cet instant magique.

Elle a passé son enfance à être une gentille petite fille, studieuse, douée, observatrice, sérieuse. Que pouvait elle faire d’autre, ses parents aimants et stricts sur l’éducation de leur fille aînée et de ses frère et sœur, étaient très présents, sa mère veillaient sur ses petits, son père, pasteur, régissait sa paroisse et sa maison.

Une petite fille obéissante à qui tout réussit.

Le Waldhof à Templin... Sa chambre sur le jardin, ses rêves de jeune fille... La pluie sur les pavés devant l'église, le soleil d'été faisant miroiter la surface du lac de Lübbesee...

Quelles étaient les perspectives d’avenir ? Angela était douée pour les mathématiques et les sciences exactes, l’observation et la logique, à n’en pas douter elle trouverait toujours une porte de sortie. Les dimanches elle travaillait au jardin avec un homme sans âge qui lui parlait de son métier avec passion.

La maison se trouvait très près de la ligne de séparation entre les deux Allemagnes, elle rêvait de l’autre côté, une partie de sa famille vivant à l’Ouest, elle recevait des cadeaux, des vêtements, elle essayait d’imaginer la vie différente, la musique, les parfums, les livres… Les jeans d’Angela faisaient fureur à l’école et surtout au lycée.

C’est décidé, elle fera une carrière scientifique.

 

Portrait d'Angela Merkel enfant
© Ullstein bild - P.S.I. Bonn  

 

Elle sursaute, le téléphone sonne, elle rejoint son bureau, décroche, une nouvelle journée commence, les secrétaires arrivent à leur poste de travail, la machine à café ronronne, le thé bouillonne dans les tasses, prêt à être dégusté, on sert même de la soupe aux lentilles accompagnée d’un peu de vinaigre, on entend le  bruit des ascenseurs, la chancellerie se prépare pour sa journée de travail.

Elle raccroche, son assistante lui tend un grand cahier bleu portant une étiquette URGENT « DRINGEND », l’Europe n’attend pas, c’est son dernier challenge mais pas le moindre, la situation est compliquée dans les Balkans, en Pologne, en Biélorussie, au Royaume Uni, elle aimerait pouvoir faire plus, son pays a encore besoin d’elle, elle veut finir son travail.

Elle convoque ses ministres… La journée avance doucement, « Die Zeit vergeht, und die Menschen ändern sich » le temps passe, les gens changent…

Il lui reste quelques minutes pour une légère retouche de maquillage avant ses prochains rendez-vous.

Des visiteurs s’annoncent il faut descendre le grand escalier, sept étages plus bas, le premier ministre français sort de sa voiture sur le tapis rouge, l’orchestre joue les hymnes nationaux, elle aimerait être ailleurs, chez elle, pour méditer, écouter de la musique ou lire un traité de physique quantique, enseigner, faire des conférences en parcourant le monde. Les voyages…détachée...oublieuse de ses soucis quotidiens, les livres de son enfance, les défilés en costume de petit soldat dans les rues de Templin, les souvenirs de RDA, les jeunesses communistes, elle est arrivée là, à Berlin, dans une chancellerie du futur.

Renouveau Démocratique Demokratischer Aufbruch, parti politique né du bouleversement de la rue et d’une envie de liberté, dans un bureau encombré d’ordinateurs, de fils, et de tracts. Un jour elle pousse la porte par curiosité, on lui demande si elle connaît l’informatique, par chance, elle a pu expérimenter un réseau à l’Université d’Adlershof, elle tente alors une espèce de bricolage qui marche. Elle va tous les jours au bureau improvisé après son travail de physicienne.

Il pleut beaucoup dans la cour de la chancellerie, on lui ouvre un parapluie, elle s’avance vers son visiteur,  conférence de presse dans le hall avec les journalistes, le rêve s’arrête… Puis reprend alors…

 

Le Renouveau Démocratique, elle n’y croyait pas au début, elle s’est lancée par curiosité comme on part vers une folle aventure, pour essayer autre chose, pour fuir son quotidien, enfin, on pouvait dire et écrire à peu près tout ce qu’on voulait, elle était chargée de rédiger les tracts, elle allait travailler 5 jours, puis 4, et enfin elle n’y alla plus du tout, consacrant tout son temps au mouvement politique naissant.

Le destin se met en marche, Angela part vers d’autres aventures.

Elle devient rapidement porte parole, tout doit aller vite, elle ne sera sans doute pas physicienne…

On ne la revit plus jamais à l’Université d’Adlershof, le triangle des Bermudes de la politique l’avait  engloutie… Elle dira plus tard « La politique me passionne ».

Le célèbre physicien Albert Einstein eut ce mot alors qu’on lui posait cette question « Comment se fait il que le cerveau humain  qui a montré l’étendue de ses capacités en découvrant le pouvoir de l’atome, ne soit pas parvenu à empêcher que les armes atomiques nous détruisent ? »

« C’est parce que la politique c’est beaucoup plus difficile que la physique. »

Et c’est justement pour cette raison qu’elle s’y est lancée à corps perdu, comme on plonge dans un grand bain pour parcourir des kilomètres en s’épuisant mais en étant beaucoup plus fort à l’arrivée.

Angela a maintenu dans son style de gouvernance fait de sang froid, de réflexion et de constance, une attitude qui cadre très bien avec sa formation scientifique.

Certains la qualifient d’ambitieuse mais ce n’est pas nécessairement un défaut, ne faut il pas un peu d’ambition pour parvenir à cet accomplissement ?

« Elle a une façon tranquille de penser rationnellement sans se laisser gagner par les émotions. Ce calme, c’est sa plus grande force » dira Andreas Apelt, cofondateur du Renouveau Démocratique.

 

La conférence de presse lui parait interminable, la pluie s’abat sur la chancellerie, elle prend l’ascenseur avec son invité, ouvre la porte de son vaste bureau et lui offre un thé, elle s’installe dans le canapé près de la baie vitrée, on distingue à peine les bâtiments à l’extérieur, décidément le temps n’est pas de la partie. Les discussions reprennent, la situation politique dans les Balkans est préoccupante, il lui reste quelques semaines pour peaufiner sa stratégie…

Enfin l’entretien se termine, le visiteur quitte le bureau, ses propos ont été âpres, il faudra se résoudre à accepter les conditions du gouvernement italien sur le compromis de Zagreb…

Demain voyage à Bruxelles pour la Commission européenne, tant de questions et de problèmes, elle passera des nuits à négocier, à tenter de convaincre, ce n’est pas simple… Mais elle aime les challenges.

Il est temps de partir, le soir tombe, elle pense à sa soirée à l’Opéra, Lohengrin, Parsifal, les Niebelungen, sa vie, sa passion, le Festival de Bayreuth où elle va tous les ans au Festspielhaus, un vrai bonheur partagé avec ses contemporains. Elle commande un sandwich qu’elle mange rapidement avant de prendre l’ascenseur, elle a hâte d’aller au concert.

L’Audi attend au rez de chaussée, elle s’installe à l’arrière sur la banquette en cuir moelleux, se laisse emmener vers le Staatsoper unter den Linden…Sous les tilleuls…

 

Portrait d'Angela Merkel à un congres CDU en 1990
© Thomas Imo photothek.net

 

1990… Le Renouveau Démocratique tient ses promesses, elle quitte l’Institut de Physique Chimie de l’Académie des Sciences de RDA. Elle est nommée porte parole du dernier gouvernement élu d’Allemagne de l’Est, les débuts de la démocratie, la liberté d’opinion, les élections libres…

Elle arrive à l’opéra, elle s’installe au milieu de l’orchestre, pas de privilèges ou de passe droit, on donne Verdi, Nabuchodonosor… Le Chœur des esclaves, merveilleux, la musique l’emporte encore très loin… Près de trois décennies en arrière...

Le 18 Mars 1990, elle va avoir 36 ans, plus de 12 millions d’électeurs sont appelés aux urnes dans le cadre d’élections législatives, l’Alliance pour l’Allemagne est composée de trois partis, la CDU, la DSU, et le Renouveau Démocratique, ce tissu totalise plus de 48% des suffrages, le parti libéral a 5% des voix, c’est la victoire pour les débuts de la RDA libérée, à quelques mois des élections en RFA, ce succès est la volonté d’un homme, Helmut Kohl, surnommé « Le Géant du Palatinat », né à Ludwigshafen, il est un grand homme d’État. Le fils spirituel de la Princesse Palatine qui ne l’aurait pas renié.

Il est chancelier fédéral de la RFA depuis 1982,  le champion de la réunification des deux Allemagnes.

Elle le rencontre en 1990 lorsque le Renouveau Démocratique fusionne avec la CDU, sa féminité discrète  impressionne le chancelier, avoir une jeune Ossie dans son cabinet est un symbole fort dans un pays qui vient d’abattre les murs entre l’Est et l’Ouest.

Helmut et Angela... Le Colosse et la Jeune Fille

Hercule et ses douze travaux, Hercule et Prométhée...

Hercule a libéré Prométhée, et celui-ci s‘est échappé et l’a oublié…  Il s’en est affranchi…

Elle avait une capacité d’adaptation aux changements de son époque assez phénoménale, elle était dans la lignée de Kohl mais plus pragmatique.

Elle dira de lui « Helmut Kohl a changé ma vie ».

En effet ce grand homme qui paraissait tellement invulnérable s’est pris d’une affection irraisonnée pour la jeune femme.

Lothar de Maizière, dernier premier ministre démocratiquement élu de la RDA d’avril à octobre 1990 qui a accompagné les débuts en politique d’Angela, a déclaré alors : « 16 millions d’allemands de l’Est vont s’unir aux 62 millions d’allemands de l’ouest, nous sommes au seuil d’une ère nouvelle, la liberté est la meilleure marraine de nos capacités individuelles, le Mur entrera dans l’histoire comme l’un des édifices les plus inhumains,après quarante ans de division, nous sommes maintenant une communauté libre dans une Europe qui se resserre dans la liberté. »

Il désigne Angela comme porte parole de son parti car elle a l’intelligence des dossiers, cependant il ne pensait pas à l’époque qu’elle avait le sang froid nécessaire pour gouverner un pays. En 1990 Lothar de Maizière emmène sa collaboratrice à Moscou pour négocier l’émancipation de l’Allemagne de l’Est auprès de Gorbatchev, elle parle couramment le russe et elle lui est devenue presque indispensable, elle observe les gens dans la rue  et lui rapporte ses analyses sur la société russe.

Cette réunion de deux cultures, de deux sociétés diamétralement opposées ne se fera pas sans douleurs ni  frustrations, le mot essentiel est « liberté », la liberté de circuler, la liberté d’expression,la liberté de voyager, le film « La Vie des autres » de Florian Henkel von Donnersmarck sorti en 2006, raconte l’histoire d’un écrivain espionné par la Stasi, dont la vie personnelle basculera à tout jamais.

Après la projection du film, elle dira « C’était encore bien pire », celle qui est passée de l’autre côté du Mur s’exprimera peu sur le sujet mais toujours d’une façon très discrète et circonstanciée.

Elle dira aussi lors d’une interview « Notre pays tout entier est fondé sur le fait que tous les êtres humains sont égaux en droits et en dignité. »

« Elle attache une grande valeur à la liberté, tout le reste est négociable » dira Katrin Göring-Eckardt, membre de l’Alliance 90/ Les Verts au Bundestag et venue comme Angela Merkel, de l’autre côté du Mur.

Même si le cours de la vie a été bouleversé, compliqué, les allemands de l’Est ont mis leurs compétences au service de l’Allemagne réunifiée, ayant appris dans ce régime autrefois totalitaire, l’art de l’adaptation et de l’improvisation. Les différences entre l’Est et l’Ouest sont encore prégnantes mais beaucoup moins qu’à l’époque, certaines villes, telles Leipzig, sont devenues des pôles scientifiques, économiques et culturels.

La représentation est terminée, le public applaudit à tout rompre, les chanteurs saluent, elle se lève rapidement, sort sur l'avenue, l'ombre du Dôme de la cathédrale recouvre les arbres bruissants du vent d'automne, elle frissonne, la voiture arrive...

Les souvenirs reviennent et l'assaillent, la soirée est très douce et elle songe, tandis que le chauffeur se met en route, le Waldhof, le jardin, les enfants qui jouent dans la cour, la conscience religieuse d'Herlind et Horst, ses parents chéris, la petite ville tranquille, berceau d'un incroyable destin.

 

Elle arrive à son domicile quelque part à Berlin, le fleuve s'étend tranquillement à ses pieds, il est tard, elle est fatiguée, demain sera un autre jour, elle a des rendez vous importants, la nuit est sombre c'est bientôt l'hiver, il faut penser à tout, remettre les affaires en ordre, Alles in Ordnung.

Dans quelques semaines, une autre aventure commencera, elle en est sûre, elle doit achever sa tâche, le bâtiment sur la Spree résonne de toutes parts, les téléphones, les mails, les SMS, les courriers, les visites, les conseillers, les amis, les journalistes... Le concert de la veille l'a enchantée, comme toujours...

Elle doit rédiger un discours pour l'inauguration d'un nouveau monument à Berlin, il représente une montagne de livres empilés, Goethe, Thomas Mann, Schiller... En hommage à l'autodafé de 1933, liberté, hommage posthume, la grande Allemagne des poètes, l'humanité retrouvée.

La cérémonie a lieu le lendemain, le soleil brille, l'espoir renaît,la musique égrène des sons doux et mélodieux , il y a du monde, on lui règle son micro, elle monte sur la scène improvisée…

« Liebe Mitbürger, Ich bin heute hier, um mit Ihnen über die Zukunft zu sprechen, lassen Sie uns die Lehren aus der Vergangenheit... »

 

Chers Concitoyens, je suis là aujourd'hui pour vous parler de l'avenir, retenons les leçons du passé... 

 

L'émotion envahit son cœur, son auditoire l'écoute attentivement et boit ses paroles, le discours s'achève sous un tonnerre d'applaudissements. Elle serre des mains et signe des photos, elle l'a toujours fait, mais ce jour là prend une dimension toute particulière. Bientôt elle sera partie, aura quitté la chancellerie, depuis une génération elle dirige son pays avec courage et détermination, le temps passe si vite, il y a encore tant à faire, es gibt viel zu tun...

Le calendrier diplomatique est bien rempli pour les jours qui suivent, France, Russie, Mali, elle qui rêvait de voyages dans sa petite chambre, à Templin… Elle n’oublie rien de son passé de l’autre côté du Mur, le 5 mai 2009, à l’aune de son 2ème mandat, elle dépose une gerbe de fleurs devant l’ancienne prison de la Stasi à Berlin, elle est constamment reliée à son passé tout en en dénouant les écheveaux.

 

 

Elle doit prendre un avion le lendemain, Paris est une de ses villes favorites, ses musées, ses avenues, sa philharmonie, elle aime les vins français, la table, les mets fins, les rencontres, les conversations autour de sujets multiples et variés.

Paris lui réserve toujours un accueil chaleureux, le planning est chargé, elle doit rester deux jours, visiter le centre culturel franco-allemand, faire un discours au Forum Économique, rencontrer diverses personnalités de la politique et du monde diplomatique.

Puis départ pour la Russie dont elle parle couramment la langue, elle était première en mathématiques et en russe, elle est admise au Baccalauréat «  Abitur », avec la note maximale, le lycée de Templin…

Elle revoit ses professeurs, la classe, les heures passées à résoudre les problèmes, à émettre des hypothèses, à noircir des pages de brouillon, à lever la main pour répondre toujours juste aux questions posées. Une élève extrêmement appliquée, travailleuse, concentrée, brillante, qui s'intéresse à tout, au rapport entre les choses...Aux gens.

Fais de ton mieux en toutes choses Angela, poursuis ta route, contournes les obstacles, fais le nécessaire pour te rendre indispensable, et crois en toi…

Ce qui paraissait être une faiblesse est devenu une force, la petite fille timide qui observe tout sans rien dire, l’adolescente habillée à la hâte qui obtient des notes maximales à ses devoirs, le jeune fille de l’Est qui semble s’accommoder de tout mais n’en pense pas moins, elle se taira par prudence et calcul sans doute, mais c’était pour protéger sa vie et son avenir.

Aéroport de Moscou, les bulbes des églises, les feuilles dorées à l'or fin, l'avion se pose sur la piste, elle consulte son I Pad, apporte la touche finale à une lettre de remerciements pour la délégation française.

Elle descend sur le tarmac, les officiels et le Président viennent l’accueillir, la musique militaire résonne dans sa tête, elle part loin.

Elle lisait déjà Soljenitsyne chez son père, elle gagne un voyage à Moscou en 1973  après des Olympiades en maths et en Russe.  C'est la liberté, l'échappée belle, le son ourlé de la langue, la Place Rouge, le mausolée de Lénine, Gorki, Tolstoï, les poèmes de Marina Tsvetaïeva, la révolution, l'exil.

Décidément on lisait beaucoup chez les Kasner...

Elle revient à la maison, elle est déjà une héroïne sans le savoir, à l'école, au Waldhof… Elle se marie à 23 ans pour tenter une autre aventure, les études, la vie à deux dans un petit appartement, Ulrich est beau, étudiant comme elle, il se destine à une carrière de physicien…

On quitte Moscou pour partir vers l'Afrique et ses lumières, elle aime ses couleurs, sa musique, ses femmes si belles et généreuses ; la visite est prévue sur trois jours, elle va dans une  école, visite un site protégé pour la faune et la flore, et enfin assiste à un banquet en son honneur à Bamako.

Puis vient le retour à Berlin, il pleut sur l'aéroport de Tegel, une voiture l'attend comme d'habitude, les embouteillages, les gens pressés, l'affluence aux ronds-points, elle rentre directement chez elle. Elle a besoin d'être seule pour réfléchir, une longue journée s'annonce, elle écoute son opéra préféré, et glisse doucement dans un rêve...

Départ de Leipzig en 1978, elle entre à l'Académie des Sciences de Berlin-Est, son avenir paraît tout tracé, la scientifique de RDA, l'accomplissement parfait dans l'idéal du régime, elle s'installe à Berlin, là où l'attend son destin, la ville est séparée par un Mur redoutable, infranchissable, la liberté des uns, le malheur des autres. Est-Ouest, Prenzlauer Berg est son quartier, elle s'installe dans un appartement avec Ulrich, le mariage dure cinq années,  puis elle s ‘en va, elle part vers un autre ailleurs,  il reste avec ses regrets et lui abandonne son nom pour toujours…

Elle travaille à l'Académie des Sciences de Berlin-Est, après 1989, elle entre en politique, elle est au siège du Renouveau Démocratique, dont elle devient porte parole, elle est élue au Bundestag dans la circonscription de Mecklembourg Poméranie pour la ville de Stralsund. Helmut Kohl lui trace une voie royale, fait d'elle une ministre. Il s'assoit près d'elle dans les meetings, les réunions, au Parlement, fait des apartés, lui met la main sur l'épaule dans un geste de protection, elle devient la Mädchen du grand homme, surnom qu’il lui donne avec un mélange de condescendance et d’amusement, il l’aime bien tout de même elle le touche, il admire son intelligence et sa façon d’aborder les dossiers, mais il ne devine pas encore l’ambition cachée, le désir d’être la première dans la file d’attente du destin.

Il est son mentor en politique, il quitte le pouvoir en 1998, L‘élève a dépassé le maître, elle est nommée Secrétaire Générale du Parti Chrétien Démocrate, CDU, sur proposition d'un proche du chancelier, Wolfgang Schäuble, qui est l'actuel président du Bundestag, blessé à vie lors d’un meeting à Oppenau le 12 Octobre 1990.

Elle incarne alors l’avenir en politique, l’espoir, la modernité, le renouveau.

« Die Hoffnung der CDU »

Douze années ont passé depuis sa soutenance de thèse, le Renouveau Démocratique s'est uni au plus grand parti alors au pouvoir en Allemagne, à la grande surprise de quelques proches, sa mère milite au parti socialiste et son frère chez les Verts.

Elle est dans l'opposition de 1998 à 2005, sept années pendant lesquelles le rêve d'un accomplissement personnel se réalise dans l'euphorie de l'après réunification.

2005 arrive à grands pas, comme après une longue marche, quand on atteint les sommets, essoufflé, le cœur battant la chamade, la saveur des huîtres qu'elle n'a pas dégustées avec sa mère au Kempinski le 9 Novembre 1989...

 

 

 

Extrait de l'ouvrage de Marie-Christine Giordano Das Mädchen - La Jeune Fille, Essais

Marie-Christine Giodano, passionnée de théâtre et d'histoire, publie son deuxième ouvrage aux Éditions Abbate-Piolé, le premier en juin 2009, était une biographie de la grande comédienne Edwige Feuillère écrite avec Alain Feydeau, petit-fils du célèbre vaudevilliste.

Elle travaille à la Comédie française, un lieu emblématique où se rejoignent toutes les cultures et toutes les époques. Son goût pour les voyages l'a notamment emmenée en Allemagne. Elle a découvert un pays qui se métamorphose et se réinvente après une histoire mouvementée, au centre d'une Europe en pleine mutation.

Le livre est disponible à la commande sur le site des Éditions Abbate-Piolé.

 

 

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