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Rencontre avec l'auteur Michel Jean, à l'occasion de la sortie du recueil "Wapke"

Michel Jean et son recueil WapkeMichel Jean et son recueil Wapke
Paru en 2021, le recueil de nouvelles Wapke est traduit en allemand cette année © 2023 NumériQ inc & Rudolf H. Boettcher - Wikipédia
Écrit par Ambre Lagraulet
Publié le 14 mai 2023, mis à jour le 15 mai 2023

Michel Jean est un auteur et journaliste québécois, d’origine innue. Depuis plus de dix ans, il écrit sur ses origines autochtones. Nous l’avons rencontré à la librairie Knesebeck Elf, pour une discussion sur son engagement littéraire.

 

"Wapke" se traduit par "demain" dans la langue des Atikamekw, une des communautés autochtones du Québec, au Canada. Dans le recueil éponyme dirigé par Michel Jean, paru en 2021 et traduit en allemand en 2023, quatorze auteurs autochtones du Québec y livrent leur vision de l’avenir, dans des nouvelles d’anticipation. Au cours d’une discussion modérée par Sonja Fenke, traductrice qui vit entre Berlin et Gatineau, Michel Jean raconte son parcours et nous livre plus de détails sur son désir de raconter l’histoire des autochtones du Canada et du Québec.

 

Un questionnement sur ses origines autochtones

Avant de se lancer dans l’écriture de roman, Michel Jean est journaliste. Néanmoins, c’est au travers de ses livres qu’il a décidé de traiter du sujet des peuples autochtones du Québec et du Canada. En 2012, il publie Elle et Nous, aujourd’hui renommé Atuk, et raconte pour la première fois son histoire familiale, à travers la vie de sa grand-mère. C’est aujourd’hui l’un des auteurs autochtones les plus connus du Québec et du Canada. Cinq de ses romans ont été traduits en allemand.

 

Michel Jean, Atuk Elle et Nous
Michel Jean, Atuk, elle et nous, 2012

Au départ, si ce n’est ses origines, rien ne prédestinait Michel Jean à écrire ces sujets. Il explique, par ailleurs,  que sa famille ne parlait pas de leurs origines autochtones, car ce n’était pas bien vu. Néanmoins, il a toujours ressenti un profond questionnement sur son identité : il confie que durant toute sa jeunesse, il a cherché à convaincre sa grand-mère Jeannette, née Shashuan Pileshis (qui signifie hirondelle) de lui apprendre la culture et la langue innue. Cette dernière refusait, lui rappelant le racisme qu’elle avait subi.

 

À l’enterrement de sa grand-mère, un tournant s’opère lorsqu’une de ses cousines lui dit "Michel, l’indien tu l’as en toi", faisant référence à son tempérament calme. Si Michel Jean percevait cela comme un simple trait de caractère, il s'agissait d'un aspect issu de ses origines autochtones. Il en vient alors à s’interroger sur ce qui a survécu en lui en tant qu’autochtone, même en n'ayant pas vécu à l'intérieur de la communauté. De par ces questionnements, il publiera un premier livre en 2016 : Amun.

 

Un tournant dans la prise en compte des questions autochtones

Il s'agit du premier ouvrage au monde qui rassemble des textes autochtones en français. C’est aussi la première fois qu’il publie un livre avec un titre en langue innue. Selon lui, c’était un moyen de dire "on existe", et de revendiquer le fait que les autochtones savent écrire de la littérature. Le livre a été un grand succès.

 

Kukum - Michel Jean
Kukum, Michel Jean, 2019.

Mais c’est réellement en 2019, avec son roman Kukum, bestseller au Québec et qui a remporté un prix littéraire en France, que ses questions vont être entendues. Un mois avant la publication du roman, une femme innue décède, et alors qu’elle s’était rendue dans un hôpital afin trouver de l’aide, elle est victime de racisme de la part des soignants. L'évènement fait grand bruit dans la presse, si bien que les gens ont réalisé que le racisme subit par les autochtones étaient bien réel. Ainsi, Kukum, car il traitait entre autre du sujet du racisme, a en quelques sorte répondu aux questions que les gens pouvaient se poser. Michel Jean y raconte notamment la sédentarisation forcée des autochtones.

 

En 2013, dans Le vent en parle encore (titré Maikan aujourd’hui) il traite des pensionnats autochtones, au travers de vrais témoignages. Ces institutions, dans lesquelles les enfants étaient envoyés de force afin de les évangéliser et les assimiler, ont fait preuve de nombreuses violences envers ces derniers. Il fallait "tuer l’indien dans l’enfant". 150.000 jeunes autochtones y seront envoyés jusqu’en 1996, date de fermeture du dernier pensionnat. Entre 3000 et 6000 y sont morts. Les survivants sont, eux, profondément traumatisés. L’histoire des pensionnats marque l’identité des autochtones, pas un seul connaît quelqu’un qui n’a pas vécu dans un pensionnat.

 

Wapke, un recueil de nouvelles d’anticipation

Michel Jean explique qu’au Québec, c’est en réalité très récent que les autochtones racontent leurs histoires. Dans Wapke, il souhaitait regrouper des auteurs déjà connus, comme Joséphine Bacon, et moins connus, comme Elisapie Isaac.

 

L’idée de ce recueil était de partager leur vision sur l'avenir du monde, d’où le choix d’écrire des nouvelles de science-fiction et d’anticipation, tantôt dystopiques, tantôt utopiques. Les textes offrent un regard vers l’avenir sur des questions essentielles pour les communautés autochtones, qui concernent le territoire, l’environnement… Souvent, les récits des auteurs autochtones se concentrent sur le passé. Ici, Michel Jean voulait apporter quelque chose de plus positif, tourné vers le futur. Néanmoins, certaines nouvelles expriment une colère, tandis que d’autres sont plus réconciliatrices.

 

Cette binarité reflète bien l’actualité des autochtones au Canada. Il y a toujours beaucoup de colère face au colonialisme, à leur situation et à leur passé, néanmoins, il arrive qu’on ait envie de passer au-dessus de ce passé et présent difficile. Ainsi, Elisapie Isaac, issue de la communauté Inuk et qui a grandi au Nunavik, dans le Nord du pays, a écrit un texte sur le réchauffement climatique, dans un futur où le grand nord est devenu un lieu de vie privilégie. Elle fait l’apologie du mode de vie des Inuk, qui est un mode de vie durable.

 

Le recueil a été un beau succès au Québec. Michel Jean vante également la grande qualité des textes, et révèle que selon lui, il existe un talent naturel de conteur chez les autochtones, car ça fait des milliers d’années qu’ils se racontent des histoires. Surtout, il ne cherche pas à être un activiste, il se contente d’expliquer le récit. Il fait confiance au lecteur pour réaliser, et insiste sur l’importance de connaître le passé afin de comprendre le présent. Il est persuadé que la littérature peut avoir un pouvoir en racontant des histoires, ce qui peut parfois amener les gens à percevoir les choses différemment

 

 

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