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INTERVIEW - Philippe Lioret : " Welcome : un lien entre romanesque et politique"

Écrit par Lepetitjournal Barcelone
Publié le 7 mai 2010, mis à jour le 13 novembre 2012

La rencontre intense entre un jeune clandestin Kurde et un maître nageur à la dérive : voilà l'axe principal de Welcome, un film engagé qui prend le pari de parler d'immigration en oubliant le documentaire. Sur les écrans français depuis plus d'un an, connaîtra-t-il le même accueil en Espagne ?

Lepetitjournal.com : Comment est né le projet du film ?
Philippe Lioret :
Après Je vais bien ne t'en fais pas, un film assez intimiste, j'ai eu envie de faire un ''grand film'', avec du souffle. Je voulais depuis un moment parler de ce thème, de ces jeunes afghans, kurdes (dont la majorité ont de 14 à 20 ans) qui risquent leur vie pour fuir la guerre ou retrouver une fille en Angleterre? La Manche est au niveau de Calais notre frontière mexicaine à nous. Ceci-dit, je suis un cinéaste, pas un politicien ou un juriste?

Comment se préparer pour tourner sur un sujet aussi difficile ?
Des mois avant le tournage, je me suis rendu sur place avec Emmanuel Courcol. Nous nous sommes mis en contact avec les bénévoles des associations, nous avons passé des jours dans le froid avec eux, a rencontrer les immigrés: ce fut une enquête quasi-journalistique.
Je voulais aussi mettre en avant les deux histoires d'amours contrariées qui se heurtent à l'ordre absurde de ce monde. Mais le sujet réel est la loi française qui punit l'aide à la personne illégale (NDLR: l'article L622-1, qui condamne à 5 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende). Le film est donc une virgule, un lien entre le romanesque et le politique.

Comment les associations accueillaient-elles le projet?
Toujours à bras ouverts. Quand j'ai commencé à me dire que je ne pouvais pas faire un film de cette réalité si terrible, ce sont eux qui m'ont poussé? En me disant qu'au contraire des reportages et documentaires, cela pourrait peut-être changer l'opinion publique sur les immigrés. Des relations se créent bien sûr. Les jeunes qui arrivent à passer ont l'habitude d'appeler les bénévoles pour leur dire qu'ils ont ''bien arrivés''. Le personnage de Bilal a été inspiré par un jeune afghan obsédé par l'idée de retrouver sa petite amie à Londres, et un Kurde qui a tenté plusieurs fois de traverser la Manche à la nage, ce faisant ramener chaque fois par le courant.

Où et comment avez-vous trouvé les jeunes acteurs, Firat et Derya Ayverdi ?
Après une longue recherche dans le monde entier, en passant par le Kurdistan, Berlin? Nous avons finalement trouvé ces deux frères à Paris. Même s'ils n'avaient pas d'expérience, ils m'ont touché et je me suis fié à cela.

Est-ce vraiment différent de travailler avec des non-professionnels?
Pas du tout, la direction est la même. Je leur disais juste d'apprendre leur texte tous les matins ! Firat a beaucoup appris aussi en regardant ma relation avec Vincent Lindon.

Au regard des politiques d'immigration française et européenne, avez-vous rencontré des problèmes administratifs sur le tournage ?
Bien sûr? Mais nous avons eu la chance de rencontrer le sous-préfet lors du ''cocktail'' de début de tournage. Très admiratif, il est revenu plusieurs fois manger à la cantine avec nous et a rapidement fait partie de l'équipe de tournage ! De nombreuses portes se sont donc ouvertes.  Cependant, le jour de l'avant-première, lorsque ce dernier a vu son nom parmi les remerciements du générique, j'ai vu à son regard que sans le vouloir, j'avais comme signé sa lettre de démission?

Les français qui hébergent des ''hors-la-loi'', vous avez comparé ça à la France de 1943 sous l'occupation allemande? Ce qu'a vivement critiqué le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. C'est de la provocation ?
Non, je l'ai dit parce que je le pensais et que c'est vrai : on punit ceux qui aident les persécutés par les autorités. Je pense aussi que si les institutions européennes le voulait, on pourrait même traîner en justice des gouvernements ; c'est un crime contre l'Humanité de renvoyer ces gens dans des pays en guerre.

Vous avez obtenu le prix du meilleur scénario au festival de cinéma de Gijón, récemment le prix Lux du Parlement européen, ce qui représente un bel élan (87.000 euros) pour la diffusion. C'est un geste politique de leur part ?
Le succès rencontré en France est inattendu : 15 minutes de kurde sous-titré, c'est tout sauf commercial. Le film a aussi été projeté à l'Assemblée nationale, à la demande l'opposition. Je suis prêt à parier que les choses auraient pu changer si les députés avaient dû voter juste après? Mais 3 semaines plus tard, la droite conservatrice n'était pas prête à désavouer Sarkozy ni notre Ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale?
En faisant le film, je me suis aussi senti plus citoyen, peut-être comme les membres du Parlement européen qui l'ont vu. Mais j'espère quand même que le prix est aussi dû aux qualités cinématographiques du film, pas seulement à un parti pris !

Quel regard avez-vous maintenant sur cette situation ?
En 2050, il y aura 1 milliard de migrants dans le monde. A Calais, les gens les appellent encore les ''Kosovars'', alors que depuis la fin de la guerre, ceux-ci sont finalement rentrés chez eux. Avant de renvoyer les illégaux d'aujourd'hui, il faut programmer la fin des talibans et des écoles coraniques. Quand on vit dans ces pays-là, on n'a rien à perdre et tout à donner pour le quitter. En France, on envoie des troupes pour ''pacifier'' l'Afghanistan et on protège les loups, mais la façon dont on traite ces hommes est abominable. Et on manque tellement de vision globale?

Pensez-vous diffuser aussi le film dans les pays "de départ", pour déconseiller ces périples mortels?
Cela a été fait : avec Firat et Derya, on est allé à Herbil, au Kurdistan. Il y avait beaucoup de jeunes à la projection organisée. Mais le film, ils n'en avaient rien à faire. Tout ce qu'ils demandaient c'était ''mais comment on fait ?''?  Pour une raison simple : depuis la nuit des temps, quand il pleut sur un trottoir et fait soleil sur autre, on traverse la rue.

Aviez-vous pensé à une "happy end" ?
Oui, c'est sûr que tout le monde aurait pu échanger les bagues, faire la fête ensemble etc. Mais vous savez quoi ? Il paraît que la mère de Bambi est morte depuis un moment ! (rires)

Pour votre prochain film, vous ferez encore équipe avec Vincent Lindon ?
Oui, et ce ne sera toujours pas une comédie ! Il parlera d'un autre problème qui me paraît important de nos jours, celui de l'endettement?


Sarah BOSQUET (www.lepetitjournal.com ? Espagne) ? Vendredi 7 mai 2010

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Publié le 7 mai 2010, mis à jour le 13 novembre 2012

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