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CLAUDE DE CRISSEY – "Phuket ou la Thaïlande, c’est un peu un miroir aux alouettes"

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Écrit par La rédaction de Bangkok
Publié le 31 janvier 2017, mis à jour le 9 avril 2019

Résident de longue date en Thaïlande, Claude de Crissey assure la fonction de consul honoraire de Phuket depuis trois ans. Un rôle qu’il trouve intéressant mais délicat sur un bassin de ressortissants très large, d’autant que sur la Perle d’Andaman, les rêveurs imprudents sont nombreux à se fracasser sur les récifs de la désillusion.

En Thaïlande depuis 20 ans, Claude de Crissey a pris ses fonctions de consul honoraire de l’île de Phuket en septembre 2013. Un poste pour lequel il dit s’investir à 100%, assurant entre autres une permanence dans ses bureaux tous les matins ou encore en étant joignable quasiment 24h/24.

Démarche administrative, soutien aux Français en prison ou conseils pratiques pour s’installer dans la péninsule, selon Claude de Crissey le consul honoraire tient un peu du curé, du maire et de la personne de confiance.

Lepetitjournal.com l’a rencontré pour revenir sur son parcours, sa fonction de consul honoraire et définir un portrait de la communauté française à Phuket. Estimée à 1.500/2.000 Français résidents, cette population peut grimper jusqu’à 20.000 par mois en comptant les touristes de passage.

LEPETITJOURNAL.COM : En quoi consiste le rôle de consul honoraire ?

CLAUDE DE CRISSEY : Si on doit définir le rôle de consul honoraire, je pense qu’on peut dire que c’est une personne de confiance, nous sommes les yeux et les oreilles de l’ambassade, mais de façon informelle. Il y a d’une part tout le côté administratif avec la délivrance de documents comme les certificats de vie, de revenus, etc. Et par ailleurs, tout l’aspect plus social : les Français peuvent trouver auprès du consul honoraire une oreille attentive pour comprendre leur problème, les aider, étudier les options possibles, diriger vers d’autres personnes comme un médecin, un avocat, etc. Je dirais que nous avons plus un rôle de conseiller ou d’intervenant que de gendarme ou de redresseur de torts.

En fait, c’est une fonction un peu particulière, car nous ne sommes pas formés à ce rôle, nous ne venons pas de la fonction diplomatique, les consuls honoraires sont souvent des entrepreneurs, des personnes qui vivent ici depuis un moment, qui sont connus de la communauté française, qui ont un réseau ici. Pour résumer, nous sommes un peu le maire, le curé et une personne de confiance, tout à la fois!

Comment êtes-vous arrivé à prendre cette responsabilité de consul honoraire ?

Il y aura cette année 20 ans que j’ai fondé la compagnie CrisseyCo (hôtellerie, plongée, croisières). Je suis un entrepreneur, j’ai ouvert plusieurs business, j’ai réussi avec certains, j’ai bien échoué parfois. Pendant des années, je me suis juste occupé de mes sociétés. Ensuite au hasard des rencontres, j’ai rejoint la police touristique volontaire, une association de volontaires qui a démarré sous l’initiative d’anciens policiers étrangers et qui regroupe des personnes de toutes nationalités pour aider les touristes en difficultés face à la loi thaïlandaise ou confrontée à des arnaques. Le coup de demander à la personne qui vient de louer un jet ski 30.000 ou 40.000 bahts pour une rayure qui existait déjà, c’était courant, aujourd’hui ça va mieux, c’était le genre de situation dans laquelle on pouvait essayer d’aider.

Ensuite, il y a 3-4 ans, la vacance du consul honoraire s’est imposée et l’ambassadeur de l’époque m’a demandé si le poste m’intéressait. Lorsqu’un ambassadeur vous propose le poste de consul honoraire, vous acceptez, c’est un honneur. En plus, à ce moment-là mes différentes affaires étaient sur les rails, j’avais de bonnes personnes autour de moi et je pouvais aussi m’appuyer sur ma femme, ce qui me libérait du temps.

Vous assurez une permanence tous les matins, quelles sont les obligations d’un consul honoraire ?

Par principe, le consul honoraire peut faire ce qu’il veut en termes de présence horaire. Par contre, si les gens se plaignent que vous n’êtes jamais là, ce n’est pas très bon. En tout cas, que vous travailliez une heure par semaine ou vingt heures, cela ne change pas grand-chose en termes d’honoraires puisque le consul honoraire n’est pas payé.
Avant, il n’y avait une permanence que deux matinées par semaine. C’est peut-être un de mes défauts, mais quand je fais les choses, j’aime les faire à fond, les ennuis ou le besoin de certains documents, ça peut arriver tous les jours. Pour certaines personnes, ne pas avoir un document en temps et en heure peut avoir des conséquences, ils peuvent se retrouver en overstay [dépassement de séjour autorisé pour les étrangers, ndlr], etc. Et d’ailleurs, les retours sont positifs sur le fait que nous soyons ouverts tous les jours.

Un consul honoraire n’est donc pas payé par l’ambassade ?

Non, c’est une légende de croire qu’un consul honoraire est payé, pour celui qui accepte la fonction, c’est un acte totalement gratuit. Seuls les frais de bureaux sont compensés en fonction d’un pourcentage sur ce que le consul honoraire fait, ses heures d’ouverture… mais au final ça ne représente pas grand chose.

Pouvez-vous nous dresser le profil de la communauté française à Phuket ?

Il y a entre 1.500 et 2.000 personnes qui sont installées à Phuket. Sur mes listes, j’ai 1.280 inscrits. Après, il y a des personnes non inscrites, mais que je connais. En fait, le nombre fluctue selon les périodes de l’année.
Parmi ces personnes, 60 à 70% sont des retraités -bien que Phuket soit plus chère que d’autres régions de Thaïlande, c’est relativement bon marché pour celui qui a une bonne retraite.

Il y a ensuite une communauté plus jeune et plus volatile qui est sous contrat avec des entreprises, hôtels, restaurants à Phuket. Il y a aussi ce que j’appelle “les aventureux”, de jeunes entrepreneurs qui lancent leur business, que ce soit dans la construction de bateaux, les assurances, l’immobilier, l’hôtellerie ou la presse. Ils représentent environ 15 à 20% des Français présents sur l’île.

Il y a aussi ceux qui viennent et repartent, des saisonniers qui travaillent quelques mois en France et passent le reste de l’année ici ou encore des gens qui gagnent illégalement de l’argent en France et viennent le dépenser ici. Cet aspect-là, c’est un sujet sensible, délicat. Je suis content, pour le moment, il n’y a pas eu de Français en prison depuis 3 mois à Phuket. En 2014-2015, nous avons eu jusqu’à 22 prisonniers français, nous étions numéro 1 parmi les prisonniers étrangers. C’est quelque chose dont on ne peut pas vraiment être fiers.

Pour quels types de délit les Français se retrouvent-il en prison généralement?

La drogue, les vols, les arnaques à la carte de crédit.

Quelles sont les situations dans lesquelles vous intervenez ?

En tant que consul honoraire, je suis au courant de beaucoup de choses. Par exemple quand l’ancien président Nicolas Sarkozy et son épouse Carla Bruni ont séjourné à Phuket, je le savais, mais je ne pouvais rien dire.
Sinon, les interventions les plus fréquentes, ce sont les personnes en dépassement de visa, les gens qui perdent leur passeport, les accidents de la route. Les interventions sont très variées, certaines choses se règlent en cinq minutes, dans d’autres cas il peut s’agir de quelqu’un qui risque dix ans de prison.

À chaque fois que quelque chose se passe ici, je transmets à l’ambassade. Il y a des situations pour lesquelles il me manque des éléments de langages, comme par exemple dans le cas d’un décès. Je ne peux pas téléphoner directement à la famille, cela doit passer par l’ambassade qui contacte la gendarmerie locale en France.

Ce qui est assez fréquent pour le moment à Phuket, ce sont les suicides. Il y a un certain nombre de cas où des gens sautent du balcon. Phuket ou la Thaïlande, c’est un peu un miroir aux alouettes. Certains arrivent ici en oubliant les choses élémentaires. Ils pensent que c’est facile de lancer un projet ou alors ils sont amoureux. Je vois arriver des personnes qui ont tout revendu, tout lâché en France, ils essayent de démarrer un projet, investissent beaucoup et finissent par tout perdre. Certains ne voient plus comme seule issue que le suicide. Les étrangers ne réalisent pas qu’ici on ne vous fait pas de cadeaux (police, immigration, escrocs…).

Et puis il y a des règles, des codes spécifiques à la Thaïlande. Personne n’est à l’abri d’un problème, mais il y a des éléments qui peuvent être anticipés comme avoir une assurance ou un budget suffisant pour penser à un éventuel retour en France et ne pas se laisser bercer par le sourire de la Thaïlande. Les Français comptent trop souvent sur la France en cas de pépins, ils pensent que l’ambassade va les aider. Or, ce n’est pas le cas, pas financièrement en tout cas. La seule chose qui existe ici, c’est la Bienfaisance.

Vous intervenez beaucoup auprès des touristes français ?

Sur les 50.000 touristes Français qui visitent la Thaïlande chaque mois, j’estime que la moitié passe à Phuket ne serait-ce que quelques jours. Dans la grande majorité des cas, tout va bien, il y a un infime pourcentage de gens pour qui la situation peut devenir problématique, c’est souvent suite à un accident, un vol ou une perte de passeport.

Combien de temps pouvez-vous rester consul honoraire ?

Il y a deux limites, la durée des mandats et l’âge. Le mandat de consul honoraire, c’est cinq ans renouvelables. Dans deux ans, j’arriverais à la fin de mon premier mandat, je peux le renouveler, mais je ne pourrais prester que 3 ans vu que j’aurais alors 70 ans. Donc je pense déjà à la suite, je ne voudrais pas perdre tout ce qui a été fait. Quand je suis arrivé à ce poste, il n’y avait que trois cartons, aujourd’hui nous avons tout informatisé, il y a des listings des personnes inscrites, j’ai mis en place un système d’îlotiers pour assurer une couverture sur l’ensemble de Phuket, etc.

Pour en savoir plus sur l'agence consulaire de Phuket, voir le site Internet http://www.agenceconsulairephuket.fr/

Propos recueillis par Catherine VANESSE (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) Mercredi 1er février 2017

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