Le 5 juillet, l'archevêque de Przemy?l et le président de la Conférence des évêques polonais signaient avec les plus hauts dignitaires de l'Église gréco-catholique ukrainienne, de l'Église catholique romaine ukrainienne et de l'Église orthodoxe ukrainienne une déclaration de réconciliation qui appelle leurs peuples respectifs au pardon. Une déclaration nécessaire pour certains, trop « politiquement correcte » pour d'autres, comme le père Isakowicz-Zaleski, historien et ancien opposant au régime communiste, qui se bat depuis des années pour faire reconnaître le caractère génocidaire des massacres commis par la résistance nationaliste ukrainienne, l'UPA, à l'encontre des Polonais de Volhynie et de Galicie occidentale (l'Ukraine occidentale actuelle) dans les années 1943-45.
Cet épisode passé sous silence par l'historiographie soviétique est généralement méconnu des Ukrainiens d'aujourd'hui puisque les manuels scolaires ukrainiens n'en parlent que dans des termes très généraux en évoquant des affrontements entre Polonais et Ukrainiens sur ces territoires. Les gouvernements de la Pologne démocratique eux-mêmes n'ont jamais vraiment attaqué de front la question de la reconnaissance par les deux nations voisines de l'étendue des massacres, s'efforçant plutôt, sans grand succès, d'ancrer la nouvelle Ukraine indépendante à l'Ouest.
Un peu d'histoire ancienne
Si la réconciliation et le pardon sont réciproques, c'est que la liste des blessures historiques remonte à plus loin que la Deuxième guerre mondiale. Sans aller jusqu'à l'époque de la République des Deux Nations unissant Royaume de Pologne et Grand-Duché de Lituanie jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les années 20 et 30 ont vu s'envenimer les relations entre la IIe République polonaise et sa minorité ukrainienne (environ 5 millions de personnes sur près de 35 millions d'habitants). Les Polonais se souviennent des actes de terrorisme de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN). Les Ukrainiens se souviennent, eux, des églises orthodoxes brûlées, des villages soupçonnés de cacher des rebelles rasés, du camp d'internement de Bereza Kartuska... Dès avant la guerre, les nationalistes ukrainiens, coincés entre un État polonais et une Union soviétique hostiles à l'indépendance de l'Ukraine, se sont tournés vers l'Allemagne. Ceci explique en partie pourquoi les Allemands ont été accueillis par certains Ukrainiens en libérateurs quand ils ont chassé les Soviétiques en 1941 et pourquoi il s'est trouvé tant d'Ukrainiens pour lutter aux côtés de l'Allemagne nazie pendant la Deuxième guerre mondiale.
Le début des massacres
Entre 1942 et 1944, l'UPA, qui était le bras armée de l'OUN, a voulu préparer la future indépendance de l'Ukraine en dépeuplant les territoires de Volhynie et de Galicie occidentale de ses habitants polonais. L'UPA ayant adopté une attitude de neutralité face au génocide juif perpétré par les Allemands, c'est contre les Polonais qu'elle s'est tournée en 1943. Parmi ses membres, certains avaient d'ailleurs, l'année précédente, en uniformes de la police ukrainienne, assisté les Allemands dans l'extermination des Juifs avant de rejoindre les rangs de l'UPA début 1943. L'Institut de la Mémoire nationale (IPN) polonais considère le massacre du village de Paro?la Pierwsza comme le premier d'une longue série de massacres organisée et planifiée à caractère génocidaire. De nombreux villages ont été "nettoyés" de leurs habitants polonais au prix de centaines de victimes innocentes, la vague d'extermination se déplaçant progressivement d'est en ouest. Par les méthodes et la sauvagerie déployées, les tueries de 1943-44 en Ukraine occidentale étaient comparables à celles du génocide rwandais de 1994 et les descriptions qui en ont été faites par les survivants sont d'une violence et d'une barbarie inouïes.
Sunday, Bloody Sunday
Le dimanche 11 juillet 1943 a été particulièrement sanglant : les unités de l'UPA ont lancé ce jour-là des attaques coordonnées contre 99 localités polonaises. Après avoir encerclé les villages pour empêcher toute fuite des habitants, ils ont commencé le massacre et les destructions. Une action planifiée puisque plusieurs jours avant son lancement l'UPA réunissait des paysans ukrainiens en leur expliquant la nécessité d'exterminer tous les Polonais habitant la région. Rien qu'en juillet 1943, 530 villages Polonais ont été vidés de leurs habitants et brûlés. Partout, seule une minorité parvenait à s'enfuir. La dernière vague de massacres s'est déroulée au début de 1944 quand, profitant du retrait de l'armée allemande face à l'Armée rouge, des unités de l'UPA et des groupes de l'OUN ont attaqué des Polonais en fuite ou réfugiés dans des villages ou des monastères.
Le besoin de reconnaissance
L'Institut de la Mémoire nationale polonais estime le nombre de Polonais morts dans les massacres de Volhynie et de Galicie occidentale à cent mille. D'autres ont pris la fuite et ceux qui avaient réussi à rester en se regroupant en groupes d'autodéfense ou qui habitaient dans les grandes villes où l'UPA ne s'aventurait pas ont dû partir après la guerre avec le glissement de la Pologne vers l'ouest convenu à Yalta. Aujourd'hui l'Ukraine occidentale compte donc très peu de Polonais. Les survivants et leurs familles vont-ils se réjouir de la déclaration commune des Églises polonaise et ukrainiennes ? On peut en douter car cette déclaration préfère parler de nettoyage ethnique plutôt que de génocide pour décrire les événements de 1943-44 et on a, pour la rendre acceptable par les deux parties, voulu mettre côte à côte les crimes des uns et des autres. Le défunt président polonais Lech Kaczy?ski disait que la République Populaire de Pologne avait été bâtie sur le mensonge de Katy? et qu'il fallait bâtir la Pologne démocratique sur la vérité. Le mensonge communiste s'est effondré dans cette partie du monde avec la chute du Mur de Berlin en 1989-90, mais beaucoup reste à faire dans la région pour renouer avec une vérité masquée pendant près de cinquante ans.
Olivier Bault (www.lepetitournal.com/varsovie) - lundi 8 juillet 2013
Photos : Carte ukrainienne avec les frontières actuelles et la région d'extermination des Polonais mise en évidence © Alex Tora/ Monument érigé en 2003 à Przemy?l pour le soixantième anniversaire des massacres © Goku 122.