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Réfugiés d’Ukraine : récit d’un apprentissage pour assurer un accueil digne et humain

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Écrit par Lucien Boddaert
Publié le 20 avril 2022, mis à jour le 23 septembre 2024

Aux premiers jours de l’invasion, l’arrivée quotidienne de centaines de milliers de réfugiés ouvre une nouvelle page de l’histoire polonaise. Solidaires de leurs voisins agressés, les Polonais ouvrent leur frontière et leurs portes. Des Européens accourent à la frontière polonaise pour apporter leur soutien. Aider dans l’improvisation tout en assurant la sécurité de personnes vulnérables qui circulent à travers l’Europe, c’est le défi qui se pose depuis presque deux mois. Récit d’un apprentissage et annonce des défis à venir pour assurer un accueil digne des réfugiés avec Louna Mouret, cofondatrice d’Assistance aux réfugiés d’Ukraine-URA, Anaïs Marin, Chercheuse au Centre de Civilisation Française et d’Études Francophones de l’Université de Varsovie et Jean-Yves Leconte, Sénateur des Français de l’étranger. 

 

Le défi des premiers jours

Dès la fin 2021, alors que certains signaux annonçaient une intervention russe en Ukraine sans que l’on ne connaisse la nature exacte de la menace, la Pologne indiquait, par la voix du Secrétaire d’État à l’intérieur Maciej Wąsik, se tenir prête à un scénario de déplacement massif de population. Les chiffres sont désormais connus.

Depuis le 24 février, plus de 2,5 millions de personnes ont franchi la frontière polonaise d’après la douane polonaise. Jusqu’à 142 500 personnes ont traversé la frontière pour la seule journée du 6 mars. Les Polonais répondent à cette crise inédite à leur frontière orientale, d’une façon proche de la mobilisation citoyenne qui est apparue en Allemagne pour accueillir les réfugiés Syriens en 2015, mais à une échelle encore plus grande en raison de l’ampleur du phénomène migratoire. Le site d’information en ligne OKO.press rapporte que le 27 février plus de 800 000 utilisateurs de Facebook auraient participé à des discussions faisant mention d’une « Aide pour l'Ukraine ».

À ces bonnes volontés polonaises s’ajoutent dès les premiers jours des propositions d’aide qui émanent de toute l’Europe. Si l’élan de solidarité est à la hauteur de la crise, la coordination de l’aide s’avère extrêmement complexe. Les principales institutions sont dépassées tandis que la base assure le relais via les réseaux sociaux.

Louna Mouret, cofondatrice d’Assistance aux réfugiés d’Ukraine – URA, rend bien compte de l’atmosphère des premiers jours : « Nous étions à la frontière au tout début du conflit, il y a un mois. Les hébergements temporaires ne disposaient pas de système de sécurité. Cela nous a fait peur quand nous sommes arrivés parce que l’on s’est dit que n’importe quel transporteur pouvait venir sachant que, dans ce centre d’hébergement, il n’y avait quasiment que des femmes avec enfants. On a fait des signalements, des rapports que l’on a transmis au niveau des ambassades et des institutions responsables, dès ce premier trajet. Au fur et à mesure des convois, nous avons observé une meilleure réponse de l’État avec à l’entrée l’armée et à l’intérieur la police ».

 

 

 


Une prise de conscience progressive

Anaïs Marin compte parmi les personnes qui observent de près la situation. Chercheuse au Centre de Civilisation Française et d’Études Francophones de l’Université de Varsovie et Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus, elle s’est engagée dès les premiers jours pour apporter de l’aide aux réfugiés.

« Les gens ont essayé d’alerter la police qui n’était pas sur place parce que c’était une situation de crise pour tout le monde. Cela a très vite attiré l’attention des pays destinataires de cet afflux de personnes trafiquées, ce sont eux qui, par souci sécuritaire, ont tiré la sonnette d’alarme ». Anaïs Marin

Dans ce type de crises, les menaces qui émergent sont plurielles et des cas de disparitions ou d’arrestations de trafiquants sont apparus. Alors qu’en Europe de l’Ouest, les « pays destinataires » où les réseaux sont mieux implantés, car historiquement plus en alerte sur ces questions, la Pologne pourrait être concernée de façon croissante par les problématiques du travail forcé et de l’esclavage moderne. Le renforcement des dispositifs policiers et de renseignement dès la frontière était donc essentiel pour sauvegarder les droits humains des réfugiés.

 

Une responsabilité collective

Au-delà de la réponse policière, différents niveaux de responsabilité existent. La responsabilité des personnes qui apportent leur aide est primordiale.  Marqueur de la prise de conscience et de l’organisation progressive, à la mi-mars, le maire de Varsovie consacrait une conférence de presse à cette question. « La plupart d'entre nous ont de bonnes intention - a déclaré Rafał Trzaskowski. – Mais comme dans toute crise, il y a des gens qui veulent profiter de ceux qui sont dans une situation très difficile. C'est pourquoi il est si important d'enregistrer le plus tôt possible les enfants qui viennent en Pologne, afin que nous sachions qui est venu, quel est leur sort ultérieur, afin que nous prévoyions une relocalisation dans tout le pays ».  

Parmi les acteurs sur le terrain de la prévention, l’association La Strada diffuse massivement des flyers répertoriant les conseils de base pour ne pas tomber sous la coupe de personnes malveillantes : ne pas donner son passeport, ne pas monter seule dans la voiture d’un inconnu, prévenir ses proches de la destination, etc.

Anaïs Marin considère qu’une partie des crimes a pu être empêchée et que la vigilance est essentielle. Elle milite pour que des mesures supplémentaires soient mises en place, comme l’envoi de SMS de prévention sur les cartes SIM distribuées aux Ukrainiens à leur arrivée en Pologne, ce qui permettrait de réduire un peu plus les risques.

Un autre de niveau de responsabilité important concerne les personnes qui souhaiteraient recourir au travail d’Ukrainiens, par exemple en France. « Vu les coûts importants des services à la personne, une tentation peut exister chez certains de recourir à une main d’œuvre étrangère à un coup moindre. Il faut savoir que la responsabilité de personnes qui auraient recours au travail forcé est engagée. Mon conseil est de faire attention à ce que tout soit déclaré. D’être attentif au fait que ces personnes soient en capacité de retourner dans leur pays car il peut exister un risque que ces personnes soient détenues contre leur gré. Il faut embaucher des Ukrainiens car ils ont besoin de travailler pour vivre mais le faire dans les règles pour ne pas entretenir la criminalité, la corruption et le trafic»

 

L’intégration sur le marché du travail comme protection

La meilleure réponse pour éviter que ces personnes ne soient l’objet de trafic consiste en une assistance d’urgence et l’intégration sur le marché du travail dès que la situation personnelle des réfugiés, majoritairement des femmes avec des enfants à charge, le permet. Les Ukrainiens sont dans une situation relativement favorable après l’activation de la directive européenne de protection temporaire, même si des questions se posent sur leur accès rapide à l’emploi. Pensée dans le contexte de l’après-guerre au Kosovo et en ex-Yougoslavie, cette directive est activée pour la première fois. Elle permet aux États membres de l’Union européenne d’attribuer rapidement une protection à des personnes dans un contexte de déplacements forcés de grande ampleur vers l’UE. Si l’activation de cette directive permet un accueil digne des réfugiés, il faut espérer qu’elle puisse être employée dans d’autres contextes migratoires. Une demande exprimée par de nombreuses associations notamment en 2015, au moment de la plus grande vague d’arrivées de réfugiés syriens, ou l’année dernière après le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan.

Le statut de « protection temporaire» autorise les Ukrainiens, et les personnes qui bénéficiaient d’un statut permanent de résident dans le pays, à travailler. La transposition de cette directive dans le droit français devrait intervenir rapidement par décret avant qu’une loi soit votée sur cette question. Dans l’immédiat, une plateforme gouvernementale permet de recenser les offres des entreprises. Alors que la main-d’œuvre manque dans certains secteurs, certaines entreprises le font savoir. En Pologne, la plupart des obstacles procéduraux à l'emploi des ukrainiens avaient déjà disparu avant le déclenchement de la guerre. Tetiana Gomon, coordinatrice d’une campagne d’information menée par la Chambre de commerce polono-ukrainienne, déclarait à la mi-mars à l’hebdomadaire Polityka « (qu’) il suffit qu'un employeur polonais intéressé par l'emploi de mes compatriotes soumette une déclaration d'un tel besoin au bureau du travail local. Cela peut également se faire par voie électronique. Dans l’immédiat, pour profiter pleinement de la loi récemment adoptée sur l'assistance aux citoyens ukrainiens, il leur faut demander un numéro de PESEL (sécurité sociale) qui permet de s’enregistrer en Pologne. »

 

Des questions devront être partagées entre l’État et la société civile

A court ou à long-terme, les questions devront être partagées entre l’État et la société civile. Jean-Yves Leconte, Sénateur des Français de l’étranger, compare les différentes approches et interprète la nature des défis qui se posent :

« Contrairement à ce qui se passe en France pour l’accueil de réfugiés, depuis le début de la crise en Pologne c’est d’abord la société civile qui accueille. En Pologne, on a eu affaire à une mobilisation totale d’associations et de personnes privées qui permet de faire face aux demandes mais qui implique forcément des risques dès lors que l’État n’a pas le contrôle sur tout ce qui se passe, en particulier en matière de traite des êtres humains. En France, l’État sous-traite à des associations via des appels d’offre, l’aide passe par la Préfecture, les agences publiques et les organismes agréés. Cela permet de limiter les risques mais ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu à mon avis, notamment à long terme, si on veut bien intégrer ces personnes. Si vous êtes avec des gens qui vous accueillent avec bienveillance et une volonté d’accompagnement, c’est beaucoup plus simple d’arriver à trouver un emploi et de s’intégrer. L’exemple allemand le montre depuis plusieurs années ».

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