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PORTRAIT - Mui Hwa Ng, « reconnaître ce qui a de la valeur dans notre monde »

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 26 janvier 2016

Singapourienne d'origine chinoise, Mui Hwa fait partie de ces femmes internationales aux mille facettes. Une expérience de 14 ans à Hong-Kong, 3 à Londres et plus de 20 à Singapour dans des domaines aussi variés que la finance, la publicité, la pharmacie et l'énergie, Mui Hwa a travaillé avec plus de 30 nationalités ; elle est aujourd'hui coach et anime des ateliers et formations autour du leadership et du multi-culturalisme. Rencontre avec une âme pleine de vie qui ne se lasse pas de partager son histoire et ses anecdotes, des récits qui font d'elle une femme ayant fait de son nomadisme culturel sa plus grande force.

Mui Hwa Ng
Parlez-nous un peu de vous…

Mui Hwa Ng - Je suis née dans une famille de cols bleus analphabètes, mon père était un chauffeur de taxi désespéré d'avoir pour premier enfant une fille; quant à ma mère, elle travaillait dans un hawker centre et a toujours pensé que l'éducation allait changer le sort des femmes. Nous étions quatre enfants et habitions avec des membres de ma famille, quinze personnes au total. Je me souviens d'une maison bruyante, les repas étaient préparés non stop ! Ce qui était le plus fascinant, c'était le mélange des genres: un père taoïste, une grand-mère bouddhiste, une tante catholique et une mère athée. Autant vous dire que la vie de famille ne manquait pas d'ambiance !

Toutes les filles de ma famille ont été envoyées à l'école du quartier afin d'économiser sur les coûts de transport. Il s'agissait d'une école chrétienne avec prières quotidiennes. Les enseignants étaient affectueux mais stricts et exigeants, tant en qui concerne l'éducation morale que le contenu académique. L'anglais était la langue principale, c'est devenu ma matière préférée ; j'aimais aussi beaucoup les maths, le chinois, la littérature et le sport. Très jeune déjà je participais à des débats et des concours d'élocution, je faisais aussi beaucoup de théâtre.

Comment vous décririez-vous aujourd'hui ?

- “Ethniquement” parlant, je me définis avant tout comme une Chinoise de nationalité Singapourienne. Je suis Hong Kongaise dans ma façon de penser et de travailler, et je me sens également britannique aussi car mon mari est Anglais. Professionnellement, je dirais que je suis une « challengeuse du monde des affaires ». Je challenge les entreprises afin de développer leurs équipes ; je travaille sur la vision et les valeurs des organisations afin de faire du monde professionnel un endroit où il fait bon vivre et où l'on peut évoluer positivement. Je propose des missions de développement, des formations, des conférences et des ateliers au cours desquels je coache les dirigeants tout en les challengeant.

Qui sont vos clients et quel est votre plus grand défi?

- De la finance à l'énergie, en passant par le médical, la technologie, les jeux ou les produits de grande consommation, la plupart de mes clients sont des multinationales ayant des filiales un peu partout dans le monde. Mon plus grand défi tient au fait que les clients sont souvent très pressés. Etant eux-mêmes soumis à une énorme pression de résultats, ils sont généralement convaincus qu'un sujet peut être couvert, compris et intégré en quelques heures seulement. Mon plus grand défi est donc de parvenir à les convaincre d'investir à plus long terme pour gagner en efficacité de façon pérenne.

Comment appréhendez-vous la culture dans votre activité professionnelle ?

- La culture est le terme général utilisé pour décrire les comportements, les valeurs et les croyances d'un groupe de personnes autour de sujets comme la religion, l'environnement, la société, l'éducation, le droit, la politique, la géographie, l'économie, etc. Il en résulte différents types de cultures et chaque personne s'identifie à sa culture nationale. De manière schématique, on peut dire que la plupart des membres appartenant à une culture en particulier a, face à une situation, de manière générale, tendance à se comporter de façon similaire.

Toutefois les comportements préférés d'un individu ne peuvent s'expliquer uniquement par la culture nationale. La personnalité influence par exemple tout autant un comportement. Mais pour nous aider à mieux comprendre le monde, il est tout de même utile de prendre en compte la « culture nationale » afin d'y voir plus clair sur nos ressemblances et nos différences. Il existe de nombreux outils pour étudier les cultures, je travaille beaucoup avec GlobeSmart notamment qui a été validé par plus d'un million d'utilisateurs déjà, dont un tiers des Top 100 multinationales. Globesmart couvre 94 pays et fournit des informations sur la culture de chacun de ces pays ainsi que des conseils pour faire des affaires, manager et mener à bien des projets. Outre ses ressources, ce que j'apprécie surtout, c'est que cet outil est évolutif avec des mises à jour régulières de chaque type de comportement par nationalité.

Si on considère les cultures au sens large (Américains, Européens, Asiatiques), quels sont les points de conflit éventuel quand il s'agit de travailler et vivre ensemble ?

- Pendant des années on a distingué de manière caricaturale les Asiatiques de l'Occident. Or, il y a 51 pays en Europe et 48 en Asie, donc autant dire que parler de culture européenne ou asiatique est un peu simpliste et superficiel. Toutefois, cette distinction, bien que superficielle, peut parfois s'avérer nécessaire à certaines occasions.  De manière générale, la principale différence, et donc point d'achoppement possible, découle de la conception de la place de l'individu. Dans l'Ouest, on considère l'individu en tant que tel ; on considère ses faits, ses gestes, et ses tâches à accomplir. En Asie et à l'Est en général, ce qui prime c'est davantage l'appartenance au groupe ; cela a un impact clair sur la prise de décision, sur le concept de leadership, les relations humaines et la communication en général. Si des conflits peuvent apparaître, c'est donc généralement autour de cette conception et perception de l'individu.  

Quel conseil donneriez-vous à un Européen qui vient travailler en Asie en général et à Singapour en particulier ? Et à un Français, un Américain ?

-Je conseillerais à tout européen ou américain qui arrive en Asie - même dans un pays de langue anglaise comme Singapour- d'exprimer ses opinions de façon plus indirecte afin de ménager les susceptibilités. L'harmonie au sein du groupe est essentielle et tout semblant de critique est perçu comme une offense. S'il est fondamental de se concentrer sur le fait de trouver une solution positive à un problème, il est tout aussi important de permettre aux Asiatiques de débroussailler une situation par eux-mêmes. Cela est vrai en général, hormis dans les situations où vous avez un partenaire asiatique de confiance avec lequel vous pouvez vous confier plus ouvertement.

Je voudrais également insister sur l'importance du temps à consacrer à la construction d'une relation personnelle dans le but d'asseoir un business basé sur la confiance. C'est le cas pour les Chinois, mais aussi pour de nombreux pays asiatiques. Singapour compte environ 3/4 de ressortissants d'origine chinoise, le renforcement de la relation est donc ici tout aussi essentiel à la construction d'une confiance à long terme.
En ce qui concerne les Français, le plus gros point d'accrochage réside dans la façon dont une discussion est perçue et gérée. Les Français ont tendance à aborder un sujet selon le mode thèse-antithèse-synthèse, ce qui fait qu'une idée présentée est souvent démantelée par tous avant d'être reconstruite par le groupe, dans un souci de gagner en qualité. En Asie, toute antithèse est un affront à l'autorité, à l'harmonie du groupe, et à la fameuse « face » qu'il ne s'agit pas de perdre. Il en va de la réputation personnelle et de l'harmonie du groupe qui dépend justement de la face de chacun de ses membres. A cela s'ajoute que plus on monte dans la hiérarchie, plus cette histoire de face est importante et cruciale. Toute opposition ou désaccord est perçue comme un manque de respect, qui rend d'autant plus difficile la création d'un lien durable.

Toutefois cela fait des années et des générations que des millions de non-asiatiques travaillent avec succès en Asie. Malgré des comportements influencés par nos cultures et personnalités, nous avons tous en nous cette capacité à adapter nos réactions selon le contexte. Nous avons juste besoin de conserver un esprit ouvert, de comprendre qu'une culture n'est pas supérieure ou inférieure à une autre et surtout de faire preuve d'empathie et d'agilité pour embrasser chacune de nos différences. Notre mission à chacun est de parvenir à identifier et reconnaître ce qui a de la valeur dans notre monde, aussi varié soit-il.

Raphaëlle Choël (www.lepetitjournal.com/singapour) mercredi 27 janvier 2016

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Publié le 26 janvier 2016, mis à jour le 26 janvier 2016

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