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INTERCULTURAL THEATRE INSTITUTE- Une école de Théâtre fondée sur le mélange des cultures

Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 23 juin 2014

Certaines personnes ont la chance de vivre plusieurs vies en une seule, Sasitharan est de celles la. Journaliste, professeur de philosophie, comédien et metteur en scène, il a été directeur artistique de The Substation avant de créer, avec son ami Kuo Pao Kun, l'Intercultural Theatre Institute, dont il est le directeur. Rencontre avec un personnage clé de la scène artistique à Singapour, et passionnant voyage au c?ur d'une école qui fait de l'hybridation culturelle le terreau de sa formation au théâtre.

Pouvez-nous parler de votre parcours ?

Pr Sasitharan- Je suis issu d'une famille tamoul d'Inde du Sud qui est établie depuis plus de 100 ans à Singapour. J'ai vécu enfant dans un monde partagé entre la maison dont la langue était le tamoul et l'extérieur où tout était différent : la langue, la musique, le théâtre, la littérature. Pendant toute ma scolarité, jusqu'en 1964, l'anglais était la langue principale. 

 

« Pourquoi ne fais-tu
pas un vrai travail ? »

 

Quel regard portez-vous sur la culture à Singapour

- Il y a toujours eu une activité culturelle à Singapour. Mais elle était limitée à la communauté ou à la sphère privée. Elle n'avait pas de visage public. Au cours des 30 dernières années, cela a beaucoup changé. Au début Singapour était essentiellement composée d'une population de migrants dont les préoccupations tournaient essentiellement autour de la nourriture. L'economie est ensuite devenue plus sophistiquée. On s'est aperçu de l'intérêt que représentait la culture sur le plan économique. De nombreuses compagnies privées ont été créées.

Se lancer dans le domaine culturel au moment où vous l'avez fait ne devait pas aller de soi

- Le Théâtre à Singapour est resté longtemps une pratique d'amateurs. Cela a commencé à changer à la fin des années 70 avec le cinéma, la télévision, lorsqu'on a pris conscience du potentiel économique énorme de la culture.  Avant, la seule manière qu'avait un artiste de vivre de son art était d'enseigner. Etudier la musique n'était qu'une question d'intérêt personnel. On ne pouvait songer en faire son métier. J'ai eu la chance de me trouver, riche d'une dizaine d'années d'expérience dans le théâtre, au c?ur de cette transformation.

On imagine que les esprits n'ont pas nécessairement changé aussi vite.

- Non en effet. Je me souviens par exemple de mon père qui, jusqu'à sa mort, m'a demandé : mais pourquoi ne fais-tu pas un réel travail ?  C'est difficile pour les gens de comprendre ce que nous faisons. C'est plus lisible aujourd'hui depuis que le théâtre est devenu acceptable à l'école.

 

 « Singapour :  le meilleur endroit
au monde pour accueillir
cette démarche interculturelle »

 

Le théâtre est-il populaire à Singapour ?

- Il y a toujours eu à singapour un intérêt important pour le théâtre et le spectacle en général. Les orchestres chinois sont présents à Singapour depuis très longtemps. Il y a une forte demande naturelle pour le Théâtre. Celui-ci est désormais enseigné dans les écoles  et Singapour est l'un des rares pays asiatiques qui accueille la culture contemporaine.

Qu'est-ce qui vous a amené à fonder l'Intercultural Theatre Institute ?

- J'ai fondé l'Intercultural Theatre Institute (ITI )en 2000 avec mon ami Kuo Pao Kun. L'institut se concentrait au départ essentiellement sur le théatre en anglais, puis cela a évolué.

Mon ami Kuo Pao Kun, entre autres activités, dirigeait la Practice Performing Arts School qui était à Singapour une institution : la seule école de théâtre. Il voulait arrêter, mais cela signifiait que les jeunes comédiens n'auraient pas de solution alternative à Singapour. J'ai créé un nouveau programme destiné aux comédiens qui souhaitent se développer. L'institut accueille désormais des comédiens venant de Singapour, d'Asie et du reste du monde.

Comment décrire la particularité de cette école ?

- La réflexion avait démarré en 1998. Nous avons créé un nouveau curriculum. Nous avons voyagé partout en Asie où nous avons rencontré des artistes et les responsables d'école. Le programme dure 3 ans. Le curriculum mixe le théâtre asiatique, le théâtre occidental et le théâtre anglais. Ce type de curriculum n'existe nulle part ailleurs en Asie. Au début les participants venaient essentiellement de Singapour et de Malaisie. Puis ils sont venus de Chine, de Hong kong ou du Japon. Puis de Pologne, Mexique, argentine?Cela s'est étendu par le bouche à oreille.

Pourquoi l'avoir créé à Singapour ?

- Singapour est l'un des meilleurs endroits au monde pour accueillir cette démarche interculturelle parce que les singapouriens ont l'habitude de ces différences. Quand nous avons présenté ITI au Japon, les Japonais n'étaient pas intéressés par autre chose que le théâtre japonais. La chance de Singapour, c'est d'être une nation jeune, elle n'est pas encombrée par une civilisation multimillénaire. Singapour a sa propre façon d'être asiatique. Singapour est caractérisée par la pluralité des cultures. Le théâtre est dans la rue avec l'opéra chinois. Il y a la présence des religions avec leurs rituels, sur lesquels on s'est beaucoup appuyé dans la phase de construction de la nation. Les Singapouriens sont élevés dans le respect des autres cultures. Mon goût pour l'interculturalité vient de ce background.

 

 « On peut jouer Shakespeare
en chinois? »

 

Comment caractériser votre démarche ?

- Je ne suis pas intéressé par le célébration de l'Asie.  ITI concerne d'abord la compréhension des différences. Le concept de ITI c'est de donner, à travers la culture, l'opportunité de toucher du doigt les différences dans le cadre d'interactions positives.  C'est difficile de se débarrasser de sa propre culture. Quand les élèves font du Tai Chi, qu'ils travaillent sur leurs muscles ou leur respiration, ils s'aperçoivent que tout le monde a un corps,?On s'aperçoit aussi que le besoin de traduction va bien au delà que les mots.

C'est un projet utopique. Les gens sont plus sensibles, plus attentifs à ce qu'ils font. On peut jouer Shakespeare en chinois. Quand ils le font, les comédiens finissent par s'ouvrir, par voir les choses différemment.

Concrètement, comment se déroule la formation ?

- Le curriculum est essentiellement axé sur le jeu de l'acteur. Il comprend aussi des enseignements sur l'écriture, la dramaturgie et la mise en scène.

Après les 2 premières  années. La 3eme année est consacrée à jouer.  Les comédiens doivent se produire dans 3 spectacles publics, dans lesquels ils sont dirigés par des metteurs en scène qui ne sont pas leurs professeurs. Ils préparent également un spectacle individuel.

Sous quelle forme intervenez-vous vous-même dans la formation ?

- Personnellement, j'enseigne certains aspects du jeu d'acteur, j'encadre les spectacles individuels, je donne également des cours sur les humanités, la culture, l'esthétique.

Qui sont les participants et quelles sont leurs motivations ?

- Les comédiens ont entre 25 et 35 ans. Le plus âgé a 40 ans. Ils vivent en ville dans des HDB. Ils veulent faire du théâtre d'une manière différente.Un étudiant Philippin, par exemple, originaire d'un petit village de la région de mindanao, travaille désormais avec différentes communautés en utilisant le théâtre pour résoudre les conflits. C'est d'ailleurs ce que nous leur conseillons : après les études, il faut retourner à votre communauté..

Comment les élèves sont-ils sélectionnés ?

- Il y a 12 étudiants par classe.  La sélection est de l'ordre d' un élève retenu pour 5 candidats. Elle est fondée sur l'engagement, étant donné que la formation dure 3 ans, sur le talent, le potentiel (ce qu'ils peuvent devenir à la fin des 3 ans), les expériences antérieures et les recommandations. Pendant 10 ans, l'école n'a pas délivré de diplôme. Elle le fait depuis 3 ans. Les 30 diplômés à ce jour travaillent tous dans le théâtre. Le public peut repérer quand un comédien a été formé à ITI.

 

Yeo Yann Yann,
la mère dans ILO ILO,
est passée par l'ITI .

 

Quel support avez?vous de Singapour?

- Les subsides du National Arts Council représentent 20 à 25% du budget de l'école, le reste est financé par le sponsoring, les donations et des rentrées propres. Ca a été difficile pendant les 10 premières années. Entre 2008 et 2011 il n'y a eu aucun étudiant parce que nous avions perdu un financement. Au début, le National Arts Council n'était pas intéressé. Mais ils ont été convaincus quand ils ont constaté la qualité des résultats. Yeo Yann Yann, qui joue la mère dans ILO ILO, le film d'Anthony Chen a reçu un golden horse award à Hong Kong. Quand on obtient ce type de reconnaissance, c'est plus facile d'expliquer ce que l'on fait que par des discours. Le National Arts Council aide par ailleurs les étudiants singapouriens en leur accordant des bourses.

Le travail que vous faites dans le cadre de l'école débouche-t-il sur une réflexion de type académique ou théorique ?

- On reçoit des étudiants de l'extérieur qui viennent voir comment on travaille. On a des relations avec des Universités à Shanghai, Delhi, Hong Kong. On a participé à une conférence à Berlin, où nous avons présenté le modèle ITI. Toute la troupe était venue et s'est produite pendant 1 semaine.

Par ailleurs l'ITI est à l'origine de l'organisation de l'Asian Intercultural conference (AIC), dont ce sera la deuxième édition cette année, du 25 au 28 Novembre, à Singapour.

Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) mardi 24 juin 2014

Intercultural Theatre Institute

 

logofbsingapour
Publié le 23 juin 2014, mis à jour le 23 juin 2014

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