Christian DUHAIN, le regard acéré et la voix posée, a eu mille vies, celles des hommes actifs et pressés, entre avions ou réunions. Ancien vice Président d'EADS International (European Aeronautic Defense and Space), il a mené une carrière professionnelle sans faute jusqu'au sommet. En plein succès et grâce à son expatriation asiatique, il a rencontré une nouvelle philosophie de vie, qui lui a sans doute permis de contenir la pression de son métier et l'a mené, petit à petit, plus loin qu'il ne s'y attendait. Rencontre avec un homme qui a pris le temps de s'écouter et de s'interroger sur le sens qu'il souhaitait donner à sa vie.
Pour comprendre votre rapprochement au Bouddhisme, pourriez-vous nous donner des éléments sur votre parcours spirituel et/ou religieux ?
Christian Duhain - J'étais un catholique pratiquant comme beaucoup : par habitude et par environnement social qui tient plus du conditionnement que de la volonté. Au cours de ma vie, j'ai abandonné cette Eglise. J'ai fait un autre chemin. Je ne critique personne bien entendu mais selon moi, il y a une grande différence entre une Eglise et une philosophie comme le bouddhisme. Au départ, la spiritualité du Christ ou de Bouddha peut être la même. Ensuite, c'est la manière dont elle est traduit dans une société qui diffère. Ce qui se passe dans une Eglise revient à détourner un message au départ de paix et d'amour dans une organisation sociale, financière et hiérarchique. Il y a une certaine correspondance de valeur entre Bouddha et le Christ comme la compassion, l'altruisme, l'amour de son prochain.
Dans un cas, ces valeurs sont considérées comme une obligation pour atteindre le bonheur, c'est-à-dire le paradis. Dans l'autre, ces valeurs éthiques sont des conditions de notre bonheur sur terre. C'est de cette façon très schématique que j'analyse mon parcours et mon état d'esprit au regard des ces questions.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre cheminement qui vous a conduit vers le Bouddhisme ?
- Durant une grande période de ma vie, j'ai vécu sans attache spirituelle. Je pense que nous n'avons pas besoin d'avoir une spiritualité pour avoir des valeurs qui vous guident.
Il y 17 ans environ, j'ai découvert le yoga lors d'un week-end en Thaïlande dans un resort zen. C'est en pratiquant le yoga que j'ai découvert son environnement spirituel. En fait, j'avais une vie stressante de responsable de grande entreprise, la pratique du yoga a été pour moi la 1ère étape d'un bien-être. Les bienfaits de cette pratique étaient tels que j'ai voulu naturellement aller plus loin. J'étais quelqu'un de sportif avec une vie professionnelle très active. Le yoga était d'ailleurs au départ une pratique physique qui permettait aux personnes qui méditaient de le faire longtemps et sans douleur.
Et puis, la lecture d'un livre de Matthieu Ricard sur le bonheur a vraiment déclenché en moi de nombreuses réflexions. Il énonçait une idée simple qui avait en toile de fond le bouddhisme tibétain vers lequel j'allais cheminer : la souffrance existe sur terre, c'est une des 4 nobles vérités du bouddhisme mais qu'il y a une voie dans sa vie d'homme pour éviter la souffrance et trouver le bonheur, ici et maintenant.
Comment le Bouddhisme a pris de l'importance dans votre vie ?
- Petit à petit. Cela a été un cheminement. A l'époque, j'étais considéré comme un grand professionnel, je crois, mais aussi comme une personne extrêmement dure. Je n'avais pas encore le détachement que le bouddhisme m'a apporté. J'étais pris dans une sorte d'engrenage, avec des challenges à relever, des contrats internationaux à signer. Je suis quelqu'un de très affectif, sensible, ce que je cachais dans mon travail. J'aurais voulu être danseur professionnel. Bien loin du métier que j'ai exercé ! Je me suis modifié lentement.
Aujourd'hui, quelle est votre manière de pratiquer ?
- Dans le bouddhisme, il n'y a pas de dogmes. La façon de pratiquer est très personnelle. Je n'ai pas « pris refuge » par exemple. Si je peux résumer ainsi : le bouddhisme propose et on dispose. Cela demande un investissement personnel et c'est ce qui me plait.
Pour moi, les pratiques du yoga et de la méditation sont fondamentales. Je me suis aussi beaucoup intéressé à l'Ayurveda, médecine ancestrale du bien être. Le corps et l'esprit vont ensemble. Pour méditer, qui est un des piliers de la pratique bouddhiste, il faut avoir l'esprit pur. Pour schématiser, il est impossible d'être mauvais ou faire du mal pour bien pratiquer. Il faut approcher la pure conscience. Quand on médite, on va « au delà du cerveau ». Le cerveau est un outil, un bel outil certes. Les êtres qui arrivent à une grande méditation, deviennent des « êtres éveillés » et cet éveil permet d'avoir accès à des phénomènes que notre cerveau ne comprend pas.
Comment avez vous pu concilier vos responsabilités dans un grand groupe aéronautique et de défense notamment, avec ce cheminement personnel. Pensez-vous que le bouddhisme est compatible avec votre pratique ?
- Je ne crois pas faire de compromis et être en accord avec moi-même.
Il y a 5 ans j'ai du faire face, comme beaucoup dans de grands groupes, à un renversement politique. Je me considérais comme un professionnel mais aucunement comme un politique. J'ai renoncé. Je ne voulais pas faire de compromis de ce type. Cette attitude était en accord avec mes principes. Déjà avant mon départ, mon attitude surprenait. Il était difficile de m'énerver.
Et puis, je pense qu'il y a moyen de rendre une entreprise plus efficace en suivant une éthique qui se rapproche des valeurs du bouddhisme. En matière commerciale par exemple, la lutte contre la corruption est essentielle et fait partie de ces valeurs à défendre. Par exemple, développer des valeurs de compassion envers des personnes en difficulté, aller contre des personnes qui ont des pratiques malhonnêtes, c'est dans l'intérêt de l'entreprise. Une entreprise qui développe d'autres valeurs que l'argent ou le pouvoir est plus efficace. Et je crois que si on change les leaders, le monde change.
Et d'un point vue personnel, votre famille vous a-t-elle suivi dans cette nouvelle spiritualité ?
- Je suis divorcé et ne vis plus avec mes enfants. A part mon plus jeune fils, mes enfants vivent tous en Europe. J'ai eu 6 enfants avec 3 femmes différentes. La question de transmission de valeurs est un vrai sujet pour moi. Bien sûr, mes enfants m'interrogent sur ma façon de vivre et de penser. Quand on connaît ce bien-être, on a envie de le transmettre à ceux qui nous sont le plus chers. Non ?
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