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L’économie chinoise, au cœur de tous les débats

Ne dit-on pas qu’il vaut mieux tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler ? Li Jiaqi, célèbre influenceur connu pour avoir vendu 150 000 rouges à lèvres en cinq minutes, aurait peut-être dû s’inspirer de ce proverbe le 10 septembre, lors de l’une de ses sessions en live-streaming, sorte de « téléachat » sur Internet.

des militaires derrière un drapeau chinoisdes militaires derrière un drapeau chinois
Écrit par Le Vent de la Chine
Publié le 3 octobre 2023, mis à jour le 4 octobre 2023

Vantant les mérites d’un crayon à sourcils, l’animateur a soudainement perdu son sang-froid en lisant le commentaire d’une internaute trouvant le prix affiché (79 yuans) trop élevé : « qui peut dire que c’est trop cher ? Arrête de dire n’importe quoi, le prix est le même depuis des années ! La période est difficile pour les marques chinoises (…). Il faut être capable de te remettre en question et de te demander pourquoi est-ce que ton salaire n’a pas augmenté ces dernières années ? As-tu travaillé suffisamment dur ? », a lancé l’animateur, visiblement agacé.

Les réactions des internautes ne tardèrent pas, critiquant l’attitude arrogante de Li Jiaqi et son manque d’empathie vis-à-vis des « petites gens » à qui il doit pourtant son succès. Malgré des excuses en direct, la larme à l’œil, le jeune homme de 31 ans vit le nombre de ses abonnés fondre d’un million sur Weibo tandis que les commentaires négatifs continuèrent d’affluer les jours suivants… A quelques semaines du fameux festival de e-commerce « 11.11 », le « roi du rouge à lèvres » et Taobao – plateforme d’Alibaba sur laquelle il se produit – se seraient bien passés de cette polémique.

Si cet épisode peut sembler anecdotique, il en dit long sur l’état de l’économie chinoise et sur l’état d’esprit des jeunes qui ont parfois du mal à joindre les deux bouts. « Tu ne sais rien du climat économique actuel, de nombreuses personnes travaillent dur juste pour garder leur boulot », a taclé un internaute, s’adressant à Li Jiaqi.

 

Qu'en est-il du rebond post covid de la Chine ?

De fait, le rebond « post-Covid » tant attendu n’a pas eu lieu et les indicateurs économiques des derniers mois sont loin d’être reluisants : la croissance économique est au plus bas depuis 45 ans (et ne devrait pas atteindre les 5% de croissance fixés par Pékin en début d’année), le chômage des jeunes est le double d’il y a quatre ans (un constat embarrassant qui a poussé Pékin à suspendre la publication de cet indicateur), les salaires à l’embauche n’augmentent plus et ont même baissé à Shanghai et Pékin (respectivement -9% et -6% selon la plateforme de recrutement Zhaopin), les ventes au détail restent en deçà des attentes, les appartements peinent à se vendre, les exportations ralentissent, le yuan est au plus bas, la dette des gouvernements locaux augmente de façon exponentielle, les investissements directs étrangers (IDE) en Chine ont chuté au 2nd  trimestre, de 87% sur un an selon le groupe Rhodium – seulement -5% d’après Pékin, le tout sur fond de dégringolade démographique

Même si les statistiques économiques publiées par Pékin pour le mois d’août indiquent une légère embellie estivale, elles semblent également avoir pour mission de venir contredire les oiseaux de mauvais augure qui prédisent à la Chine un « moment Lehman », une « japonisation » (population vieillissante, hausse de la dette publique, krach immobilier…) ou encore « la fin du miracle économique chinois ».

 

"La Chine est confrontée à un certain nombre de difficultés"

Lors d’une conférence organisée le 20 septembre, des dirigeants de l’organisme de planification de l’économie (NDRC), de la Banque Centrale, du Ministère du Commerce et de celui de l’industrie et des technologies de l’information (MIIT) ont sévèrement condamné ce qu’ils considèrent comme des « efforts malveillants » pour « diffamer les perspectives économiques chinoises ». « Ce genre de rhétorique n’a jamais atteint son but, ni dans le passé, ni maintenant, ni à l’avenir », a lancé Cong Liang, vice-directeur de la NDRC. Tout en admettant que la Chine est confrontée à un certain nombre de difficultés, « nous avons toutes les raisons de rester confiant en l’avenir », prenant pour preuve la résilience passée de la Chine durant la crise financière asiatique de 1997 ou encore la crise financière mondiale de 2008.

Même posture défensive dans la presse officielle : dans une série de commentaires publiés le 17 septembre, Xinhua prend pour cibles les médias et hommes politiques étrangers qui « dénigrent l’économie chinoise » (le Président américain Joe Biden et son ambassadeur à Tokyo n’ont qu’à bien se tenir). Cependant, ces articles n’ont pas eu l’effet attendu : au lieu de susciter un élan nationaliste, les internautes se sont mis à échanger sur leurs propres expériences au quotidien. Personne ne connaît mieux l’état de santé de l’économie chinoise que les Chinois eux-mêmes (les ouvriers, les chauffeurs de taxi, les restaurateurs, les livreurs, les employés de bureaux…), argumentent-ils. Et tous semblent unanimes : les affaires étaient meilleures hier.

Alors, pourquoi Pékin ne semble-t-il pas décidé à prendre le taureau par les cornes et à consentir à un stimulus économique plus conséquent ? Une telle décision ne pourrait être approuvée que par Xi Jinping en personne. Or, la rumeur voudrait que ce dernier ait sa propre conception de l’économie, avec une préférence idéologique marquée pour l’austérité et une vision très claire de sa mission à la tête du pays : résoudre des problèmes auxquels aucun de ses prédécesseurs n’a osé s’attaquer, quitte à sacrifier la croissance à court terme. En somme, si la Chine est une bombe à retardement, tel que l’affirme Joe Biden, Xi Jinping espère bien la désamorcer. Mais pas sûr que la population chinoise voie les choses du même oeil…

Le Vent de la Chine
Publié le 3 octobre 2023, mis à jour le 4 octobre 2023

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