Sergio Castro, 74 ans, médecin mexicain, soigne gratuitement les indigènes. Il a transformé sa maison en musée de costumes et traditions du Chiapas. C'est la région la plus pauvre et la plus peuplée d'indiens au Mexique.
Comme tous les jours depuis 50 ans, Sergio Castro répète les mêmes gestes, désinfecte et change les pansements de ses patients qui le considèrent comme un sauveur. (Photo Florence Renault)
Oubliez l'image bucolique du village de forêt peuplé de petits hommes en tenues traditionnelles. Vêtu d'un jean, d'une chemise à carreaux, et d'un foulard rouge sous son chapeau blanc de cow-boy, Sergio Castro traverse la station essence pour chercher le lieu de sa première consultation matinale. Ce grand homme au regard clair entre dans un restaurant vide. Un malade en fauteuil roulant l'attend sous des guirlandes de papier multicolores.
Accueilli comme un sauveur
« Aujourd'hui la médecine est un commerce », explique Sergio Castro d'un air las. Il désinfecte la plaie profonde et béante du nouveau patient, sous les grimaces de dégoût de la famille. Pour guérir une infection, l'hôpital a entaillé tout son mollet, alors qu'un antibiotique aurait été suffisant. Il a dû emprunter et payer 10.000 pesos pour ce travail mal fait.Au quotidien, ce médecin de campagne soigne graves brûlures et plaies profondes. (Photo Florence Renault)
Sergio Castro, lui, ne fait pas payer, « ainsi les gens se sentent tranquilles et se préoccupent de leur santé », et puis il revient tous les deux jours pour changer les pansements. « Une consultation coûte normalement 400-500 pesos et un salaire minimum journalier est de 60-70 pesos ». Alors Sergio Castro est accueilli comme un sauveur, le déjeuner est servi et chaque membre de la famille se confond en « gracias » en le raccompagnant à son taxi.
Il a le même chauffeur, Juan, depuis un an. Tous les matins, il l'emmène à ses consultations à domicile, et il est payé quand il y a de l'argent. La rue est bloquée par les travaux. Demi tour en forçant sur le volant.
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Le médecin parle peu, mais manie souvent l'humour. Ses gros sourcils gris soulignent un regard clair et pétillant. Il semble serein, tranquille, peut-être un peu las et fatigué par les années. Il allume une nouvelle cigarette.
Retour à San Cristobal de las Casas, ville de 186.000 habitants où 50.000 d'entre eux sont des indigènes. « Beaucoup ont quittés leurs villages dans les dix dernières années pour des raisons économiques. D'autres se sont convertis au christianisme et ont dû fuir leurs familles. Il existe 17 sectes ici. C'est facile de convaincre les indigènes en échange d'une aide. Ils profitent de l'ignorance. »
brûlures, alcoolisme et diabète
Le deuxième patient vit dans la banlieue pauvre. « Oui, tu peux prendre des photos, je ne suis pas de Chamula (village indigène), ça ne va pas prendre mon âme », s'exclame-t-il en riant. Il a la jambe amputée et souffre à nouveau de gangrène due au diabète.
Sergio Castro raconte que les problèmes de santé les plus courants sont les brûlures, l'alcoolisme et le diabète : « Dans les années 90, il y a eu un changement violent de l'alimentation avec l'utilisation des fertilisants chimiques pour la viande, le poulet, les légumes et avec les conservateurs chimiques des boites de conserves. Cela créé du diabète. »
A 24 ans, l'étudiant vétérinaire s'improvise médecin. (Photo Florence Renault)
Les patients suivants sont des alcooliques brûlés au troisième degré par accident. L'un, sans domicile, est soigné dans un parc de la ville, l'autre nous reçoit dans son jardin jonché de déchets. Les blessures sont moches, la famille, les voisins grimacent toujours autant. Sergio Castro, silencieux, répète les mêmes gestes, désinfecte et change les pansements. Comme tous les jours depuis 50 ans.
Vétérinaire reconverti en médecin
A la fin de ses études d'agronome et de vétérinaire, il est envoyé dans le Chiapas pour son service civile obligatoire. Il a alors 24 ans et doit travailler à la mise en place des réformes agraires. A cause des accidents de coupures et brûlures, il s'improvise rapidement médecin. « Je soignais les humains comme les animaux, avec davantage de délicatesse et avec l'antibiotique adapté », se souvient-il. « A cette époque il n'y avait pas de médecin ni de clinique donc les gens accouraient à moi. » Il suit son instinct, lit beaucoup et étudie la dermatologie pendant une année.
Une maison transformée en musée
L'après-midi, les consultations se font chez lui à partir de 16 heures. Deux jeunes filles l'aident aux soins dans le patio. Les patients défilent avec toute la famille. Des hommes âgés s'appuient sur leur bâton en balançant le chapeau, les vieilles femmes boitent avec leurs robes traditionnelles colorées.
Il y a environ quinze ans, pour se protéger du racisme, les jeunes ont délaissé ces tenues. Elles sont aujourd'hui exposées dans la maison de Sergio Castro, transformée en véritable musée des indigènes. On découvre les costumes des sept ethnies du Chiapas, des objets, des peaux d'animaux, des photos et des affiches, ainsi qu'un film.
Son musée vit grâce aux dons des touristes (Photo Florence Renault)
Sergio Castro vit grâce aux dons des visiteurs. Il se sent isolé parmi les siens car les Mexicains s'intéressent peu à son musée et le gouvernement ne lui a accorde aucune aide. Alors il bénéficie du soutien des touristes européens et américains. L'association française Maya Solidarité lui envoie de la Biafine et d'autres produits inexistants au Mexique. Avec ses amis étrangers, il a aussi pu créer une trentaine d'écoles dans le Chiapas.
Maison de Sergio Castro ouverte à partir de 16h
Guadalupe Victoria 38, San Cristobal de las Casas (centre-ville)
Florence Renault pour (www.lepetitjournal.com/mexico) Lundi 25 mai 2015