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Une Marocaine et une Tunisienne, lauréates du Prix Mujeres Avenir

Lundi à Madrid, l'association d'amitié hispano-française Mujeres Avenir organisait la 7e conférence internationale Femmes et Diplomatie, qui a réunit plusieurs ambassadrices du monde entier en poste en Espagne autour de l'Objectif 17 de l'Agenda 2030 des Nations Unies, avec pour thématique les enjeux de la digitalisation abordée depuis une perspective de genre. A quelques jours de la Journée Internationale de la Femme, la manifestation a aussi constitué l'occassion de remettre le Prix Mujeres Avenir à deux femmes issues de l'univers de la francophonie, la Marocaine Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l'homme, et la Tunisienne Soukaina Bouraqui, directrice exécutive du Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche. Le Prix a été remis des mains de la présidente du Conseil d’État espagnol, Carmen Calvo.

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Écrit par Vincent GARNIER
Publié le 6 mars 2024, mis à jour le 6 mars 2024

Devant une assemblée nombreuse l'association Mujeres Avenir a revendiqué une année encore une place prépondérante dans la lutte en faveur des droits des femmes, dans le cadre de la relation bilatérale et de l'amitié franco-espagnole, bien-sûr, mais aussi et de façon plus large, au sein de l'univers diplomatique. Une grande partie des 17 ambassadrices en poste à Madrid étaient présentes lors de la conférence organisée en début de semaine, modérée par María Jesús Conde Zavala, Ambassadrice pour la politique extérieure féministe du Gouvernement espagnol et au cours de laquelle Marie Christine Lang, Consule générale de France à Madrid et Vice-Présidente d'Honneur de l'association, a également pris la parole. En introduction des débats, Maria Luisa de Contes, Présidente fondatrice de Mujeres Avenir, a rappelé que si la transformation digitale est source d'immenses opportunités, elle comporte aussi le risque d'augmenter les exclusions et les inégalités existantes, voire de créer de nouvelles brèches, comme la "brèche digitale". De par un accès moindre aux outils et compétences technologiques, mais aussi un usage discriminant de ces dernières, les femmes sont dans bien des cas et dans bien des pays, menacées par cette dynamique, comme les interventions des différentes invitées à la table rondes, toutes ambassadrices en poste à Madrid, ont pu le démontrer.

 

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Maria Luisa de Contes, Présidente fondatrice de Mujeres Avenir

Du Népal au Canada, de la Bolivie à la Pologne ou à la Tunisie, les discours des invitées ont montré une sensibilisation certaine à la question de genre dans la digitalisation de leurs pays, nuancées par des approches historiques, culturelles ou démographiques contrastées, et un niveau hétérogène de pénétration des nouvelles technologies, d'un pays à l'autre. Toutes ont souligné les risques liés au niveau paradigme digital, avec l'accélérateur de la pandémie de 2020 et des différentes séances de confinement, l'effet multiplicateur et attesté des réseaux sociaux ou celui encore grandement méconnu, de l'intelligence artificielle. De la haine et la violence de genre des premiers aux partis pris machistes enseignés aux algorithmes de la seconde, les intervenantes ont alerté des risques d'un univers qui non seulement retranscrit les travers de la société, mais dans bien des cas les amplifie. Les difficultés d'accès à la technologie viennent augmenter une brèche digitale qui se nourrit en outre de la faible participation des femmes à l'ingéniérie numérique au sens large. Toutes les intervenantes ont ainsi développé les différentes initiatives mises en place dans leur pays pour faciliter l'accès au numérique, notamment en faveur des collectifs les plus déconnectés, à l'instar des femmes en milieu rural.

 

7e conférence femmes et diplomatie mujeres avenir
De g. à d. Anna Sroka, Sarmila Parajuli Dhakal, María Jesús Conde Zavala, Wendy Allen Drukier, Fatma Omrani Chargui et Nardi Suxo Iturry

D'un pays à l'autre, les inquiétudes se rejoignent en dépit de réalités diverses. Sarmila Parajuli Dhakal, Ambassadrice du Népal, a mis en exergue les efforts de la république asiatique pour devenir un référent technologique régional, un enjeu économique de taille pour le pays, mais aussi une source potentielle d'émancipation pour les femmes. Pour l'Ambassadrice, "le rythme rapide de la digitalisation du pays présage un surpassement en 2025 des principales économies comme l'Inde ou la Chine, en termes de pénétration d'Internet". Son homologue tunisienne, Fatma Omrani Chargui, a elle aussi mis en avant l'aspect stratégique conféré aux technologies digitales dans le cadre du rayonnement du pays à l'échelle internationale, avec pour ambition de convertir la Tunisie en une "destination centrale prometteuse pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient". "La Tunisie est le pays de la femme", a défendu l'Ambassadrice, qui a fait valoir le rôle essentiel du code civil adopté en 1956, dans une dynamique d'affrenchissement du sexe dit faible et d'intégration transversale à l'ensemble des constituantes de la société. L'éducation, la santé -le droit à disposer de son propre corps- et l'économie -avec le droit au travail- sont les trois piliers qui soutiennent cette volonté, avec dans le domaine digital une participation certaine des femmes à la sphère numérique. "La Tunisie est le 2e pays au monde avec le plus de femmes diplômées en STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), représentant plus de 70% des profesionnels du pays", a-t-elle illustré.

La creation d'une société inclusive et ouverte

Tandis que l'Ambassadrice de Bolivie, Nardi Suxo Iturry, dressait un portrait d'un pays engagé dans la "dépatriarchalisation", "encore loin de l'égalité souhaitée", et énumérait les mesures prises pour rapprocher la technologies d'une population principalement rurale et indigène, allant des ateliers de robotisation à l'introduction des ordinateurs à l'école, Wendy Allen Drukier, Ambassadrice du Canada, s'attardait sur les conséquences de l'hyper connectivité à l'échelle de la violence de genre. Si en 2023 99,3% des foyers canadiens étaient connectés à Internet, il n'empêche que persistent des poches de déconnexion, à l'instar des réserves indigènes. "18% des femmes canadiennes ont été victimes d'harcèlement sur Internet", a-t-elle en outre souligné. Le nombre de jeunes filles intéressées par les études dans le domaine digital reste au Canada inférieur à celui des garçons et le gouvernement développe des programmes pour renverser la tendance, à l'instar du programme CanCode, dont ont bénéficié 4,5 millions d'étudiants. Même préoccupation pour Anna Sroka, Ambassadrice de Pologne. Le pays a pour objectif d'atteindre 29% de femmes dans le secteur TIC d'ici 2030, contre 15,5% aujourd'hui, pour "la creation d'une société inclusive et ouverte". Le rôle des institutions internationales, et notamment européennes, et des programmes promues par ces dernières, s'avère essentiel dans la dynamique du pays en la matière. 

 

carmen calvo mujeres avenir
Carmen Calvo, présidente du Conseil d’État espagnol


La Marocaine Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l'Homme, et la Tunisienne Soukaina Bouraqui, directrice exécutive du Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche, sont les lauréates du Prix Mujeres Avenir, qui a été remis dans la continuité de la conférence. Deux femmes, qui "depuis l'univers académique et l'activisme portent un discours qui représente plus de la moitié de la population de la Terre, où le féminisme avance, mais où, tous les jours aussi, son rôle est contesté", a estimé Carmen Calvo. "Aujourd'hui la femme est infra-représentée au sein du pouvoir économique qui construit et contrôle l'avenir", a-t-elle poursuivi "et elle y accuse encore un retard de leadership". La présidente du Conseil d’État espagnol a évoqué "de nouveaux espaces où les discriminations de genre se répètent" et où "à nouveau, nous devons lutter dans des batailles que nous avions cru gagnées". "La lutte pour les droits des femmes est l'une des plus longues et des plus difficiles et en dépit des acquis, il reste beaucoup d'enjeux à affronter", a estimé Amina Bouayach. Soukaina Bouraqui a pour sa part défendu l'importance de la recherche et de l'éducation dans la réduction des inégalités de genre, invitant à transmettre le message "aux responsables politiques, aux chercheurs, aux activistes et aux autorités locales, pour atteindre un développement durable au sein du monde arabe".