La première phase de l'amnistie fiscale organisée par le gouvernement indonésien vient de prendre fin sur un relatif succès. Des protestations s'élèvent contre une loi qui permet aux fraudeurs de faire table rase du passé, mais l'enjeu est de taille pour le développement de l'Indonésie. Quels sont les tenants et les aboutissants de cette loi ? Les ressortissants étrangers sont-ils concernés ? Quelle stratégie adopter ? Lepetitjournal.com/Jakarta a rencontré Sébastien Gautier, responsable du cabinet Mazars à Jakarta, pour répondre à ces questions.
Lepetitjournal.com/jakarta :A quoi sert la loi d'amnistie fiscale ? Pourquoi a-t-elle été mise en place ?
Sébastien Gautier : Ce n'est un secret pour personne, très peu d'Indonésiens paient leurs impôts en totalité : seulement 10% de la population est contribuable. Par ailleurs, les « panama papers » ont fait des vagues jusqu'ici puisque 3000 noms de sociétés ou individus indonésiens y apparaissaient. Bref, dans un pays où le taux d'imposition est de 25% sur les sociétés (contre 17% à Singapour) et de 30% maximum selon un taux progressif pour les individus (contre 20% maximum à Singapour), le non-respect des obligations fiscales est courant.
Or le Gouvernement a un gros besoin de financement pour mener à bien les projets d'infrastructures nécessaires au développement du pays et réduire la pression sur le déficit budgétaire grandissant. Il a donc mis en place une loi d'amnistie fiscale, à l'instar d'autres pays notamment européens afin de permettre le rapatriement des fonds placés à l'étranger et de les réinjecter dans l'économie réelle du pays.
Et le succès est plutôt au rendez-vous : au 30 septembre, l'Indonésie détient le record des montants ainsi collectés avec 97,2 trillions de rupiah en pénalités. 59% de l'objectif gouvernemental est déjà atteint dans cette première phase en termes de revenus supplémentaires. De même, ce sont plus de 3600 trillions de rupiah d'actifs qui ont été déclarés au 30 septembre, soit 90% de l'objectif annoncé par le gouvernement pour cette loi d'amnistie fiscale. De grandes figures indonésiennes ont fait savoir qu'elles avaient joué le jeu et rapatrié leur patrimoine pour bénéficier de l'amnistie comme un des fils de Suharto ou encore le Président du groupe Lippo Mall. Mais petit bémol, parmi les quelques 400 000 contribuables ayant souscrits à l'amnistie fiscale, seuls 15000 d'entre eux étaient inconnus du fisc indonésien jusque-là.
En quoi les ressortissants étrangers peuvent-ils être concernés ?
La loi fiscale indonésienne stipule que le résident fiscal indonésien est imposable sur l'ensemble de ses revenus sur une base mondiale. Cela signifie que si vous êtes résident en Indonésie que ce soit pour un an ou plus, vous devez déclarer aux Impôts indonésiens la totalité de vos revenus qu'ils aient été générés en Indonésie ou hors d'Indonésie (des dispositions existent pour déduire en Indonésie des taxes éventuellement payées à l'étranger sur vos revenus de source non indonésienne). Il y a également une obligation de reporter dans votre déclaration fiscale votre patrimoine mobilier et immobilier qu'il soit localisé en Indonésie ou ailleurs dans le monde. Sauf que peu de personnes le font.
En plus, il faut aussi savoir qu'à partir de 2018, une centaine de pays de l'OCDE vont mettre en place un dispositif de coopération fiscale renforcé sur la base d'échanges d'informations bancaires. En seulement deux ans, l'Indonésie a digitalisé et automatisé le traitement et paiement de bon nombre d'impôts (TVA, retenue à la source, etc.). On peut donc légitimement penser que l'Indonésie est prête pour la coopération fiscale.
Donc la loi d'amnistie fiscale représente une opportunité de se mettre en règle avec l'administration fiscale indonésienne dès maintenant ?
L'avantage de cette loi est qu'elle permet de faire table rase du passé sans conséquences pénales et pour un coût moindre puisque les pénalités proposées jusqu'au 30 septembre étaient 2% sur les avoirs s'ils étaient rapatriés en Indonésie ou 4% sur les avoirs déclarés mais non rapatriés. Ce taux de pénalité augmente progressivement jusqu'en mars, moment où le programme d'amnistie fiscale cessera. Cela étant dit, c'est une décision très individuelle. Chaque situation est différente et chacun a également une appréhension du risque différente. En tout cas, cela me semble important de s'y pencher sérieusement et de dépasser les discussions de comptoir et les apriori sur l'Indonésie et sa capacité à faire appliquer les lois pour tout le monde.
La Loi d'amnistie fiscale en quelques chiffres
Les trois phases de la loi : Le taux de pénalité le plus faible est appliqué à ceux qui rapatrient leurs fonds en Indonésie et s'engagent à les y laisser 3 ans minimum (taux de 2% dans la phase 1) Phase 1 : démarré en juillet, elle s'est terminé le 30 septembre. Pénalités Phase 1 : 2% / 4% (déclaration d'actifs / rapatriement d'actifs) Phase 2 : octobre à décembre Pénalités Phase 2 : 3% / 6% Phase 3 : décembre à mars Pénalités Phase 3 : 5% / 10% Objectif total de collecte de paiements de pénalités : 165 trillion rp Résultat de la phase 1 : 97,2 trillion rp (59% de l'objectif total de collecte atteint) Objectif total de déclaration d'actifs : 4000 trillion rp Montant des fonds déclarés lors de la phase 1 : 3603.6 trillion rp (90% de l'objectif total de déclaration atteint) Objectif total de rapatriement d'actifs : 1000 trillion rp Montant des fonds rapatriés lors de la phase 1 : 136,5 trillion rp (14% de l'objectif total de rapatriement atteint) Taux de pénalité prévu pour les PME: de 0,5 à 2% selon leur niveau d'actif Montant estimé des fonds indonésiens détenus à l'étranger : 1 075 trillion rp Nombre de déclarants ayant bénéficié du taux de pénalités de 2%/4% lors de la phase 1 : 366 757 personnes
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Amélie Heim (www.lepetitjournal.com/jakarta) jeudi 13 octobre 2016