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Zahia Ziouani, une cheffe d'orchestre d'exception à Hong Kong

La cheffe d'orchestre mondialement connue Zahia Ziouani et son orchestre Divertimento seront présents à Hong Kong le 23 et 24 mai dans le cadre du French May avec leur spectacle "Symphony of New Worlds". Avant de la retrouver sur scène, nous avons pu lui poser quelques questions sur son parcours, ses motivations et sa façon de voir la musique classique.

Zahia ZiouaniZahia Ziouani
Zahia Ziouani @Divertimento
Écrit par Juliette Vandestraete
Publié le 2 mai 2024, mis à jour le 3 mai 2024

 

Rencontre et mixité pour un orchestre 

 

Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a inspiré à devenir cheffe d’orchestre ?

 

J’ai eu la chance de grandir dans un environnement où mes parents étaient très passionnés de musique. C’est comme ça que j’ai découvert la musique mais surtout la musique symphonique, parce que ce qu’on écoutait à la maison c’étaient beaucoup d’opéras et de symphonies. Ça m’a toujours guidé dans mon envie plus tard de continuer la musique. J’ai alors commencé la guitare classique, sans savoir qu’il n’y avait pas de guitares dans les orchestres. (rires) Donc j’ai continué à jouer de cet instrument que j’aime beaucoup mais maintenant j’en pratique un deuxième qui est l’alto parce que je voulais absolument jouer dans un orchestre et jouer les musiques que j’entendais quand j’étais petite à la maison. Après, rapidement je me suis passionnée pour l’univers de l’orchestre, pour le métier de cheffe d’orchestre parce qu’en jouant de l’alto dans un orchestre, on est immergée au centre de l’univers symphonique vu qu'on est devant le ou la cheffe d’orchestre. J’ai commencé à m’intéresser au métier, à emprunter des conducteurs d’orchestre et à me documenter sur les grands chefs d’orchestre. Puis, j’ai eu l’occasion de rencontrer Sergiu Celibidache, un grand chef d’orchestre du 20e siècle, ça a été vraiment une belle rencontre. Il était une grande figure de la direction d’orchestre. C’était quelqu’un de très exigeant mais c’est lui qui m’a appris à devenir cheffe d’orchestre puisque j’ai eu l’occasion d’apprendre avec lui pendant 18 mois. Mon parcours personnel, ma vision de la musique, et le fait de voir qu’il n’y avait pas du tout de jeunes mais surtout presque pas de femmes à la tête des orchestres, je me suis dit qu’il fallait que je me crée moi-même mes opportunités et c’est comme ça que j’ai créé mon orchestre, Divertimento.

 

 

J'ai créé mon propre orchestre.

 

Comment crée-t-on un orchestre comme ça ?

 

C’est vrai que tout ne se construit pas en un jour et l’orchestre de Divertimento d’aujourd’hui, c’est un cheminement de 25 ans. Dans un premier temps, j’avais été repérée dans un concours de chefs d’orchestre en Europe. J’ai alors commencé à avoir des invitations pour aller diriger dans des festivals, mais il fallait venir avec son orchestre. À ce moment-là, je commençais à enseigner la pratique d’orchestre dans différents conservatoires en Seine-Saint-Denis et à Paris. En étant dans les conservatoires, c’était fascinant parce que j’étais dans cette transmission pédagogique qui me tenait à cœur. Mes parents ont beaucoup joué ce rôle quand j’étais jeune et donc je trouvais ça important de moi aussi être investie dans la transmission. Mais en même temps, dans le cadre d’un conservatoire, il y a toujours un directeur au-dessus, je n’avais pas forcément l’opportunité de choisir tous mes projets, la direction musicale et artistique. Un jour j’ai eu envie de répondre à ces invitations de festivals donc j’ai proposé aux meilleurs éléments du conservatoire de Stains (Seine-Saint-Denis) et de Paris. Tous, avaient une passion commune pour la musique mais avaient des vies complètement différentes. Ceux de Stains, ne sortaient pas des quartiers populaires, ceux de Paris, issus de milieux favorisés, ne sortaient pas de leurs arrondissements. Je voulais que l’orchestre soit un lieu de rencontres et c’est comme ça que Divertimento est né. J’avais vraiment envie que la rencontre, la mixité et la diversité soit au cœur de ce projet.

 

La transmission par la musique

 

Au début, je m’occupais de photocopier les partitions, de placer les chaises, les pupitres, de conduire le camion avec le matériel. Je suis passée par tous les postes et puis petit à petit, ça s’est développé. J’ai ensuite eu la confiance du maire de la ville de Stains, en Seine-Saint-Denis et on a commencé à avoir une résidence officielle. J’avais envie d’être en cohérence avec le discours que je portais sur l’accès à la culture ou encore sur la place de l’excellence dans le milieu urbain et donc j’ai décidé de professionnaliser l’orchestre et de créer, à côté, une académie, pour garder ce lien avec la transmission.

 

 

Les journalistes ne se déplacent pas au delà du périphérique.

 

Quels sont les moments forts de votre carrière jusqu'à présent ? 

 

Tout d’abord, j’ai évidemment envie de dire la création de Divertimento en 1998. Ensuite, en 2004, la première résidence de Divertimento à Stains, qui a été le moment où l’orchestre s’est transformé en orchestre professionnel. En 2006, c’était aussi super important parce que ça été mes premiers concerts à la tête de l’orchestre national d’Algérie. En 2010, le premier concert à la cité de la musique de Paris. C’était important pour nous parce que, l’histoire de Divertimento a été créée en Seine-Saint-Denis. Quand on parle de la place de la musique classique dans ces départements, c’est compliqué. C’est vrai qu’on avait beaucoup de monde qui venait à nos concerts parce qu’on allait beaucoup à la rencontre du public dans les centres sociaux, dans les écoles, dans les maisons de quartiers, mais dans le milieu musical, beaucoup avait entendu parler de notre orchestre, mais personne ne l’avait vraiment vu. Ici, avec le périphérique, les critiques musicaux, les journalistes, les programmateurs, ils ne se déplacent pas, alors que si on ne voit pas notre projet, on ne le comprend pas. En 2010, on a donc fait notre premier concert à Paris et ça été un point de bascule pour faire rentrer Divertimento dans le paysage musical français. En 2013, il y a eu la capitale européenne de la culture à Marseille. Là, ça a été le début du développement de Divertimento dans plusieurs régions de France avec la volonté de permettre l’accès à la culture à tous les publics. Maintenant, 25 ans après le début de l’orchestre, on a des projets de résidences et d’implantation dans de nombreux territoires, urbains et ruraux, et on essaie de faire en sorte de pouvoir s’impliquer dans de nombreux territoires et pas juste en Seine-Saint-Denis. En 2024, dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques, on a beaucoup de temps forts qui sont annoncés.

 

 

 

Niveler les inégalités par la culture 

 

Quelles ont été vos principales sources de motivations et ambitions dans la création de Divertimento ?

 

Avant tout, d’apporter la musique classique dans des territoires où elle n’était pas ou très peu présente. Je me suis aussi beaucoup appuyé sur mon expérience personnelle, le fait d’avoir grandi en Seine-Saint-Denis. Je pense que c’est ce qu’il manque dans certains territoires : oui, il n’y a parfois pas assez de sports, pas assez de logements, pas assez de transports mais la culture est aussi un sujet qui est assez inégalitaire dans beaucoup de territoires en France. Ça me tenait à cœur d’être investie pour permettre l’accès à la musique classique dans de nombreux territoires. On m’a aussi souvent renvoyé le fait que j’étais une femme, que j’étais jeune, que j’avais grandi dans un quartier populaire et que j’avais des origines étrangères. On me disait à chaque fois « oui vous cumulez les difficultés et les freins ». Je me suis toujours dis qu’en même temps, j’étais celle que j’étais et que je ne pouvais pas changer. Oui, je suis jeune, je suis une femme, je suis d’origine algérienne et j’ai grandi en Seine-Saint-Denis. Alors au lieu de ressembler aux autres, j’ai envie de créer un projet qui me ressemble et qui ressemble à beaucoup de gens en France.

 

Représenter tous les genres musicaux

 

C’était aussi important pour moi de faire des liens avec d’autres disciplines artistes comme la danse, le cinéma, la littérature, le théâtre, la vidéo, mais aussi de faire des rencontres qui vont permettre de représenter des cultures qui sont d’habitude peu représentées. Par exemple dans « Symphonie des nouveaux mondes », les 5 continents sont représentés avec des musiques classiques, contemporaines et traditionnelles. J’ai aussi envie qu’on ne dise pas que la musique classique européenne a plus de valeurs que d’autres mais de faire rentrer dans le monde de la musique classique, des cultures qui n’y était pas jusqu’à présent.

 

 

Heureusement que j'ai été persévérante et patiente.

 

Est-ce que ces critiques ont été source de motivation ou de découragement ?

 

Le chemin a été et est toujours compliqué. J’ai eu des moments de découragement, de fatigue mais après ça ne m’a jamais empêcher d’avancer ou de continuer. À chaque fois qu’on me disait que je n’allais pas y arriver, que ce n’était pas fait pour moi, j’avais toujours envie de montrer aux gens qu’ils se trompaient. Ça m’a plus motivée que l’inverse. Après je dois dire qu’il y a 25 ans quand j’ai créé l’orchestre et que je portais le discours d’amener la musique classique dans les quartiers populaires, beaucoup de gens me disait que ça n’allait jamais marcher et maintenant c’est au cœur des discours des politiques publiques en France donc je me dis que ça valait le coup d’être persévérante et de patienter.

 

 

C'est un métier qu'on fait pour les autres.

 

Comment voyez-vous l’évolution du rôle du chef d’orchestre dans le monde de la musique classique aujourd’hui ?

 

Je pense que c’est important d’apporter de nouvelles idées et de ne pas simplement jouer de la musique classique qu’on jouait il y a 100 ou 200 ans. Évidemment parfois, au programme de Divertimento, on a aussi des programmes un peu plus classiques où on va jouer un concerto et une symphonie de Mozart. Mais pour moi, le rôle d’un chef d’orchestre c’est d’apporter de nouvelles idées, permettre aux spectateurs quand il sort de la salle d’avoir appris quelque chose ou de l’avoir fait réfléchir sur quelque chose. Ce n’est pas un métier qu’on fait pour soi, c’est un métier qu’on doit faire pour les autres et je dois dire que c’est ce qui guide mon travail. De base, c’est un métier de solitude, on est beaucoup seule, dans l’avion, dans sa chambre d’hôtel ou encore devant l’orchestre. Moi ce n’est pas ça qui me plait, c’est de pouvoir animer ce collectif, d’être toujours dans la rencontre avec les artistes, les arts et le public.

 

Favoriser la parité dans la musique

 

Comment voyez-vous la place de la musique dans la promotion de l’égalité des genres ?

 

Dans l’univers de la musique symphonique, on a beaucoup de retard. Que ce soit la place des œuvres composées par des femmes, du nombre de femmes cheffes d’orchestres, des solistes. Je trouve que c’est un univers dans lequel on doit être plus engagé dans la mixité ou dans la parité. Dans les équipes artistes et techniques, on essaie de créer une parité. C’est important de montrer ça. Pour moi la transmission ce n’est pas juste transmettre l’amour de la musique, ça permet aussi d’aborder plein d’autre sujets comme ceux-ci. Quand un jeune aujourd’hui voit une femme cheffe d’orchestre, il entend une note composée par une femme où il voit une femme aux percussions, ou à la trompette, il ne se pose pas de questions, parce que pour lui c’est naturel, c’est ce qu’il voit. C’est très important. Moi quand j’étais jeune et qu’on me disait que ce métier n’était pas fait pour les femmes, j’ai fini par le croire parce que je ne voyais pas de femmes. Plus que jamais, on a ce devoir de représentation et de montrer qu’un homme peut être a plein d’endroits différents dans un orchestre, tout comme une femme. C’est un sujet sur lequel je suis très impliqué et qui fait partie intégrante de l’identité de Divertimento.

 

 

 

 

Je fais très attention à la mixité dans mon orchestre.

 

Comment vous avez réussi à faire respecter cette égalité des genres dans votre orchestre ? 

 

Ça s’est fait assez naturellement. Après si vous regardez l’orchestre, on a encore un peu de travail. Dans certains pupitres notamment dans les percussions, il y beaucoup plus d’hommes que de femmes. Après dans les autres pupitres c’est l’inverse, donc ça s’équilibre. Dans le cadre de notre académie, on essaie de former des jeunes filles à d’autres pupitres mais ça prend du temps car former un musicien professionnel ça prend entre dix et quinze ans. Je fais toujours attention à ce qu’il y ait aussi des femmes dans les équipes artistes, dans les solistes ou encore les metteurs en scène. Des fois, il y aura plus d’hommes sur une production mais dans l’autre, il y aura plus de femmes, donc ça s’équilibre.

 

Zahia Ziouani sera en représentation à Hong Kong le 23 et 24 mai prochain avec son spectacle Symphony of New Worlds, cliquez ici pour prendre vos places.

 

 

 

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