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LITTERATURE – Comment Kim Thúy, une ″boat people″ vietnamienne devient une ″écrivaine″ canadienne

Écrit par Lepetitjournal Francfort
Publié le 1 février 2015, mis à jour le 3 février 2015

Un temps fort des journées littéraires de Litprom consacrée à l'Asie du Sud-Est : la rencontre avec Kim Thúy à Francfort
(Photo Litprom©Anke Kluß)


Dans ses livres, Kim Thúy raconte en français l'expérience d'une émigration réussie et la richesse de ses deux cultures. Rencontre avec une auteure dont la plume et le destin impressionnent

Née en 1968 au Vietnam, Kim Thúy a 10 ans lorsqu'elle fuit le communisme avec sa famille. Après un bref séjour dans un camp de réfugiés en Malaisie, elle est accueillie les bras ouverts par les Québécois. Lepetitjournal.com/francfort l'a rencontrée lors des journées littéraires consacrées à l'Asie du Sud-Est où elle était invitée par Litprom.

Lepetitjournal.com/francfort : comment avez-vous réussi à adopter la culture de votre pays d'accueil, le Canada, sans perdre celle de votre pays natal, le Vietnam ?

Kim Thúy : ma chance a été de retourner adulte, en tant que juriste pour trois ans au Vietnam et de redécouvrir mon pays d'enfance. C'est mon regard d'occidentale, de Canadienne qui explique ma fascination pour la poésie de la langue vietnamienne et pour la culture de mon pays natal. Mon premier livre s'appelle ?Ru?, ce qui signifie le début d'un ruisseau en français et bercer un enfant jusqu'au sommeil en vietnamien. Plus que garder mes origines, je dirais que je les ai réapprises, en ayant l'avantage de pouvoir comparer les deux cultures et de voir leur beauté à toutes les deux.

Vous avez été couturière, avocate, restauratrice? Comment avez-vous commencé à écrire ?

L'écriture est arrivée accidentellement. Pour ne pas m'endormir aux feux rouges, j'avais pris l'habitude de prendre des notes en voiture. Quand, à 39 ans, j'ai fermé mon restaurant, mon mari m'a forcée à rester un mois à la maison pour réfléchir à mon plan de carrière. Cela l'énervait que je change de métier tous les trois ans (rires). Au lieu de songer à mon avenir professionnel, j'ai entré toutes mes notes dans mon ordinateur, et c'est devenu un livre.
J'ai l'habitude de dire que je ne suis pas une vraie auteure, car j'ai bien trop peu lu dans ma vie. Si je dois citer une ?uvre qui m'a marquée, c'est ?L'Amant? de Marguerite Duras. Le roman m'a servi de manuel de français : mon oncle me dictait des passages et ma mère me le faisait apprendre par c?ur. Résultat : quand une copine avait l'air un peu fatiguée, je lui disais : ?Tu as l'air dévastée?. Plus sérieusement, je pense que ce livre également important car il offre une vision du Vietnam qui n'est pas liée à la guerre, qui est plutôt une vision romancée.

Elle est assise entre deux cultures, mais cela lui va bien : la Canadienne Kim Thúy
(Photo Litprom©Anke Kluß)

Justement, des visions du Vietnam écrites par des ex-boat people, il n'y a en a pas des masses?

C'est incroyable : plus d'un million de Vietnamiens vivent aujourd'hui hors du Vietnam, mais il existe très peu de livres, de témoignages écrits. Je pense que les Vietnamiens n'aiment pas retourner en arrière, surtout sur un passé difficile ; ils préfèrent s'occuper du présent ou du futur. Ce n'est pas pour rien que les psychologues gagnent si mal leur vie au Vietnam? (rires).

Qu'est-ce qui vous a permis de si bien vous intégrer au Canada ?

Quatre mois de survie dans des conditions terribles dans un camp de réfugiés en Malaisie nous a paradoxalement permis de faire un trait sur notre passé ? nous étions d'ailleurs des apatrides ? et d'entrer dans un état de béatitude complète au Canada. Et les Canadiens nous ont accueillis comme leurs enfants et non comme des réfugiés. Quand on est sortis du bus, on était sales, on avait des infections de la peau, des poux plein les cheveux mais ils n'ont pas hésité une fraction de seconde à nous prendre dans leurs bras. Je ne me suis jamais aussi sentie aussi belle dans ma vie que dans leurs yeux à ce moment-là. Je reste persuadée que la manière dont l'étranger est reçu forge son attitude vis-à-vis de son nouveau pays. Regardez-moi : je me bats davantage que les Canadiens francophones pour la défense de la langue française. On devrait penser à cela aujourd'hui quand on accueille des réfugiés. Je suis la preuve vivante que l'amour de l'étranger peut exister et qu'une émigration peut réussir.

Dominique Petre (www.lepetitjournal.com/francfort), lundi 2 février 2015

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Publié le 1 février 2015, mis à jour le 3 février 2015

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