Les attentats ont durement touché les Français de l'étranger. Vous avez été nombreux à vouloir témoigner ?parce ce que ça fait du bien?, parce que vous avez éprouvé le besoin de communier et de vous recueillir. Les très nombreuses manifestations de soutien qui ont eu lieu dans le monde entier l'ont montré. Merci d'avoir partagé avec nous votre émotion.
photo lepetitjournal.com République Dominicaine
Marion a perdu un ami au Bataclan : Depuis les attentats, je suis de retour en France, virtuellement. Je vis à travers mon écran d'ordinateur, scrutant l'actualité, les réseaux sociaux. J'ai le c?ur en France et je me noie dans les larmes. J'ai perdu un Ami. Matthieu Giroud. Une des nombreuses victimes de la barbarie du Bataclan. Pour la 1ère fois depuis que je vis à Madagascar, j'ai songé à sauter dans un avion et à rentrer, ne serait-ce que pour quelques jours. Pour lui dire au revoir, lui dire « je t'aime ». Promettre à sa famille qu'il ne sera pas oublié.
Je savais qu'il y aurait des moments difficiles liés à l'éloignement. Mais celui-ci n'aurait pas dû figurer sur la liste. Matthieu n'avait pas 40 ans. Son 2ème enfant ne naîtra qu'au printemps. Je n'ai pas eu le temps de répondre à son dernier mail. Je lui avais parlé d'exotisme malgache, il m'écrivait qu'en ce moment, son exotisme à lui, c'était son fils Gary, « qui pousse, qui pousse, qui bouscule tout. » Nous parlions souvent de voyages et d'ailleurs. Nous avions vécu notre 1ère expatriation ensemble. Nous avions 20 ans et l'Angleterre nous ouvrait la porte de ses universités. Nous avions soif de vibrer, d'apprendre, de rencontrer l'autre. Nous avons mesuré ensemble la richesse d'être accueillis sur une terre étrangère. De cette expérience nous avons aussi réalisé toute la tendresse que nous avions pour notre pays, la France. Prendre un peu de recul nous avait offert un point de vue neuf, une perspective attachante. Nous avions des racines et des ailes. Des trésors. C'est cette même tendresse, cette même affection que je crois reconnaître à la suite de ces événements impossibles à qualifier. Il me semble retrouver, un peu comme après la tuerie de Charlie, un élan de solidarité chez les Français. J'ai l'impression que les yeux s'ouvrent sur la richesse de notre mixité, de nos libertés. J'ai envie de croire que mes compatriotes en ressortiront plus forts, plus unis, plus éclairés. Parmi les magnifiques hommages qui ont été écrits sur mon Ami Matthieu, l'un d'eux lui attribuait à très juste titre, un « charisme fédérateur ». J'aimerais tant que, même après avoir été fauché par la haine, son charisme opère??
Sylvie : São Paulo, vendredi soir, dans la rue, un Whatsapp, deux Whatsapps...nos enfants aux claviers: horreur... (?) Dès lors, le besoin éperdu de savoir, de comprendre, d'être avec. Le chagrin est là, infini, la compassion, la colère fugace tuée par la tristesse. Au fil du temps, ce besoin furieux de faire peuple, de crier notre devise, de hisser les couleurs, en même temps que celui, inassouvi, de vivre tout cela...chez nous... Cela paraît sans doute désuet, mais la Patrie meurtrie dans ses enfants, c'est la Marseillaise qui sonne étrangement. Pour avoir vécu la marche de janvier Bd Voltaire (c'est cela aussi que des assassins sont venus provoquer vendredi sur ce même boulevard), cette communion d'un peuple me manque énormément. Il y avait beaucoup de respect, beaucoup de communion, beaucoup de dignité. Hélas, les rassemblements honorables d'expatriés ne sauront, pour moi, combler ce vide. Je n'ai qu'une hâte: rejoindre les miens, tous les miens, dès que possible. Par dessus tout, je suis heureuse d'une chose: mes enfants n'ont pas peur, et ce, du plus profond de leur être. J'attends avec circonspection, enfin, le même courage de la part des politiques en place...
Damien de Bangkok : Je me suis réveillé samedi matin avec des notifications étranges sur mon application Facebook. Mon téléphone me répertoriait tous mes amis vivant à Paris et les rangeait dans deux cases : en sécurité ou pas encore renseigné. J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'un problème technique mais une rapide recherche sur Google m'a appris ce qui venait de se passer sur place. Si tous mes proches allaient bien, bizarrement à des milliers kilomètres de là je ne me sentais plus en sécurité. Moi qui souhaite venir me réinstaller à Paris dans les prochains mois, j'ai eu un petit moment de doute. Mais même si c'est dur, il ne faut pas céder à la peur et se rappeler que ceux tombés ce triste soir du vendredi 13 novembre ne voulaient qu'une chose : profiter de la vie.
Rassemblement à Valence, Espagne (photo lepetitjournal.com/Valence)
Romain, 28 ans, de Budapest: C'est dans l'inquiétude que j'ai découvert les sinistres évènements de Paris, vers 2h du matin dans la nuit de vendredi à samedi. Inquiet pour ma famille, qui vit à proximité du Stade de France et se plait à aller y voir chaque match de l'Equipe de France. Rassuré, par le biais de cette fantastique application de Facebook "Je suis en sécurité", mon inquiétude a fait place à de l'effroi, un effroi implacable puisque ces macabres gestes criminels ont profondément heurté ma génération et mes loisirs chéris : se réunir entre proches autour d'un verre en terrasse de bistrot et aller voir un concert de rock.
L'éloignement volontaire de ma patrie n'a que peu gêné mon deuil, très au fait des réactions internationales par le biais des réseaux sociaux, je me suis rapproché de ma communauté pour me recueillir, avec mes compatriotes dans une première part, puis silencieusement et solennellement devant l'Ambassade de France en Hongrie, devant laquelle j'avoue avoir versé quelques larmes.
Aujourd'hui, mon seul regret est de ne pas "résister" à cette idéologie haineuse en compagnie de mes amis restés au pays. Par résister, j'entends sortir boire un verre, aller à davantage de concerts, bref, vivre et célébrer la vie et les valeurs françaises qui nous la remplissent de joie.
Je suis néanmoins chaleureusement réconforté par les innombrables élans de soutien et de sollicitude émis à travers la planète par des gens de tous horizons.
Mardi prochain, je me rends à un concert de rock à Budapest, où je suis certain d'avoir une vive pensée pour toutes nos innocentes victimes. Pour tout vous dire, je n'aurai de cesse d'avoir une pensée à chacun des concerts et des apéros qui animeront ma vie ; car ni en Hongrie, ni en France, ma joie ne cédera à la peur.
Damien vit à Cork, en Irlande : Première phase, l'incompréhension, l'émotion. Et c'est bien normal. Céline disait: "On est puceau de l'Horreur comme on l'est de la Volupté". On connaît tous Paris, on a tous des amis, de la famille ainsi que des souvenirs à Paris. (?)Deuxième phase, la réflexion. La France a perdu beaucoup de temps et d'énergie à se tromper de débat. On a débattu de qui était Charlie et qui n'était pas Charlie. Mais nous n'en sommes plus là. On est tous ensemble, les pro et les anti, dans le même bateau.(?)
Je voudrais juste dire à mes amis et collègues des quatre coins du monde - Chine, Maroc, Belgique, Corée du Sud, Birmanie, Côte d'Ivoire, Allemagne, Venezuela, Djibouti, Algérie, Irlande, Italie, Mongolie, ? - que c'est notre diversité qui fait notre force. Alors si vous voulez combattre l'obscurantisme par la lumière, ne priez pas pour Paris. Ne rajoutons pas de la religion encore par-dessus. Vivez pour Paris, mangez pour Paris, rigolez pour Paris, baisez pour Paris, chantez pour Paris - mais aussi pour Beyrouth, ne les oublions pas. France, je t'aime d'autant plus que tu es loin.
Emilie prof de FLE à Milan : Vendredi soir (?) je découvre l'horreur. Pendant que je suis bien au chaud chez moi, des gens sont morts et d'autres se font tirer dessus. J'ai mal au ventre, mal de sentir les nôtres être attaqués, massacrés. (?) Samedi j'arrive à joindre mes parents qui habitent à la frontière belge. à 20km, où le samedi matin, un des terroristes a passé et a le contrôle de police. Ils doivent subir les contrôles de police et de douanes chaque matin et chaque soir parce qu'ils travaillent du côté belge. J'ai ensuite expliqué à des enfants de ma famille, en pleurs, que les méchants ne viendront pas à la maison.Les enfants ne sont pas bêtes, ils écoutent et les mots "guerre, mort, attaque" sont compris et raisonnent dans leur tête. En ce lundi matin, je me rends dans mon établissement scolaire. Triste mais à la fois prête à écouter mes élèves. Quelques sourires, un geste de compassion, une bougie et une minute de silence rendus en hommage à la France pèsent lourd dans notre école. J'ai les larmes aux yeux... Les jours vont être longs et durs mais nous allons y arriver. Je ne veux pas avoir peur non ! Je veux juste que les Français de France et d'ailleurs soient réunis et encore plus forts qu'avant. J'ai une pensée aussi aux Libanais qui ont vécu de terribles attentats la semaine dernière.
Anne de Sao Paulo : (?) D'abord l'horreur. Fixés tous les 5 devant la télé jusqu'à minuit. Rebelote le lendemain. Tétanisés. L'émotion est venue samedi. Énormément. Les larmes montent vite. On a beaucoup parlé avec les enfants, l'origine du conflit, les responsabilités de tout le monde, les amalgames... Tous très perturbés. Je ne pouvais pas m'en décoller. J'ai regardé des dizaines de fois leurs visages (ceux des victimes). De suite, on avait contacté nos amis sur place. Tous saufs. Sentiment d'horreur, du soulagement on n'y était pas, ça aurait pu être nous, terrasse, concert un vendredi doux, c'est nous. Le regret de ne pas être avec les nôtres, avec Paris. Juste pour être là ensemble. Parce que le sentiment d'être français est d'autant plus accru quand on est loin. Les expatriés sont certainement les premiers à critiquer la France mais on la ressent dans nos tripes, on élève nos enfants avec ses valeurs. C'est leur patrie. On est loin mais on l'aime. Déjà pour Charlie, ça nous avait complètement anéantis. On n'y croyait pas. Les minutes de silence, les rassemblements de la communauté, église, consulat, on les fait tous. Chanter la Marseillaise ensemble c'est beau. C'est peu mais pour nous, c'est la seule chose qu'on puisse faire. Ces jeunes, ces familles dévastées, c'est à vomir.
Elvira, infirmière à Granby, Québec, Canada : Tout le monde m'a demandé si j'étais "correct" et si j'avais des proches sur Paris... Cet élan de solidarité et de compassion m'a fait chaud au coeur. Les drapeaux des mairies sont en bernes, les profils facebook québécois arborent fièrement notre drapeau tricolore. C'est la Une des nouvelles. Les gens que je croise me disent qu'ils pensent à moi... Pourtant aucun proche en France n'a été directement touché dans sa chair... On représente, sans le vouloir, un peu notre pays d'origine, c'est fou. Le samedi matin on a eu la famille au téléphone et des nouvelles de nos amis. La tristesse n'a pas de frontière...mais je reste positive car la solidarité et la bonté non plus.
Jean-Paul, à São Paulo pour ses études : 12 novembre, 13 novembre, deux coups portés à mon c?ur franco-libanais. (?) Il n'y a qu'une lettre entre Haine et Aime, qu'un pas si beau à franchir. Vous avez décidé de faire le pas inverse. Je ne peux pas vous en vouloir, vous n'avez sans doute pas eu une éducation vous permettant de faire la part des choses, de comprendre votre religion. Vous n'avez sans doute pas eu une éducation d'amour et de joie vous aidant à vous ouvrir aux autres, à les aimer tout simplement. (?) En ce jour de novembre, malgré votre volonté j'ai décidé de vous aimer, de vous montrer que l'amour est plus fort que vos gestes, que l'amour est ce qu'on peut offrir de plus beau. Et je prie pour qu'un jour l'homme vive en paix avec lui-même. ?#?plusjamaisça
photo lepetitjournal.com République Dominicaine
Laurence : (?) Je ne veux que la Paix, j'aime la vie, j'aime les gens (sauf les méchants), et pourtant JE ME SENS COUPABLE? Et c'est en me demandant « POURQUOI ? », et si j'étais la seule à ressentir cela, que j'ai réalisé qu'il existe un syndrome de culpabilité chez toute personne vivant à l'étranger.
C'est l'une de mes principales frustrations : depuis que j'ai quitté la France, j'ai perdu une grand-mère, une tante, un ancien voisin, ? mais aussi des inconnus auxquels j'aurais voulu rendre hommage, tels que ces 120 personnes qui ont perdu la vie au nom de cet horrible, monstrueux, inhumain fanatisme.
Quel sentiment d'impuissance, de ne pas pouvoir honorer « physiquement » un proche (ou à sa famille), lorsqu'il décède : se recueillir sur sa tombe, y déposer des fleurs, un message, une bougie?
Le pire de cette situation est que la cause de cette absence est souvent « pratique » : ne pas pouvoir rentrer « chez soi » faute de pouvoir poser de jours de congé, payer un billet d'avion, rater la réunion nationale dont vous êtes l'animateur, laisser vos enfants (ou les amener)? Suite à ce 13 novembre qui restera à jamais gravé dans ma mémoire, j'ai néanmoins découvert de magnifiques preuves d'hommage « à distance » (son blog ici).
Karine, Île Maurice : (...) Que pouvons nous faire de si loin, à part nous montrer solidaires et patriotes avec les moyens qui sont les notres. Trois jours de deuils national, et bien nous les respecterons. Mes enfants vont dans un collège mauricien à programme français où l'uniforme est de rigueur, ils porteront un petit noeud noir cousu à leur polo, comme leur père et moi. Nous leur avons bien expliqués ce qui c'est passé. Nous sommes fières d'etre français, notre pays nous manque, la liberté qu'il nous offre aussi. Il appartient à ceux qui le gouvernent de faire en sorte que cette liberté perdure pour les futures générations.
Claire étudiante à Rosario, Argentine : (...) Je resterai une joyeuse saleté d'expatriée française qui, outre tout l'amour qu'elle t'accorde, querida Argentina, reste fière d'être indignée, insolente, de chanter dans la rue, d'être une fille relativement libérée du machisme et des préjugés, de faire des blagues borderline, d'écouter Piaf, Brel et Fauve parce qu'on peut vivre avec son temps, de sauter de joie quand une de mes amies également expatriée reçoit un colis de ses parents et que nous mangeons une raclette avec du bon vin rouge. Pourquoi ? Parce que ce qu'on appelle communément le « devoir de mémoire » nous pousse à nous rappeler cette minute de silence vibrante qui avait suivi le 7 janvier. Le 13 novembre en aura fait naître une seconde. (?)La seconde minute de silence impliquée par le 13 novembre sera autant de temps pour préparer une plus grande résistance, parce que la lassitude et l'abandon n'existent pas dans un monde où l'on peut encore rire, vibrer, écouter, créer, croire, espérer, et se rappeler ce moment de Casablanca où, comme aurait dit Charlie, « l'amour plus fort que la haine » transcende chaque parcelle de peur et nous donne envie de conclure en même temps qu'Humphrey Bogart : « nous aurons toujours Paris ».
MPP (www.lepetitjournal.com) mercredi 18 novembre 2015
de notre édition de Barcelone : ATTENTATS DE PARIS A DISTANCE - Témoignage : "J'ai besoin de combler le manque de ne pas pouvoir être à Paris"
de notre édition de Buenos Aires : #ATTENTATS - Bafouille solidaire d'une étudiante de Sciences Po en Argentine
de notre édition de Stockholm : ATTENTATS À PARIS ? Les Français de Suède témoignent : loin des yeux, (certainement pas) loin du c?ur
de notre édition de Dublin : ATTENTATS DE PARIS - La parole aux expats
Lire aussi : FRANÇAIS DE L'ETRANGER ? Recueillement et solidarité autour du monde
ASSISTER AUX DRAMES depuis l'étranger par Magdalena Zilveti Chaland
Témoignage de Nasser, de Rome : http://www.radinrue.com/article10548.html