Vivre ailleurs, loin de ses repères, de sa langue et de ses proches apporte un sens de l'adaptation qui, bien davantage qu'une qualité, devient une façon de vivre. On s'habitue aux nouveaux usages, aux nouvelles lois, c'est la règle du jeu, tant que l'on fait durer l'expérience. On s'y fait sans s'y faire car on vit sur une échelle de temps temporaire, tant que l'expatriation durera. L'expatriation fait relativiser et devenir plus tolérant, plus souple. On sent que l'on a une expérience plus "light" de la vie locale, la politique ne nous touche pas, au contraire on développe toute la candeur nécessaire pour s'émerveiller face aux nouvelles coutumes, aux nouvelles traditions, aux différences. On vit une double vie, à la fois ici et là-bas, dans le pays d'élection et celui d'origine. On vit dans l'un mais on essaie de rester présent dans l'autre, du moins virtuellement.
Vivre dans une autre langue, c'est accepter que l'on sera toujours différent avec notre accent, que l'on aura un niveau peut-être très bon mais difficilement parfait. Parfois on réalise que l'on n'a pas parlé un seul mot de français pendant une semaine, deux semaines. C'est bizarre de délaisser aussi longtemps sa langue. Encore plus étrange est de commencer à utiliser les expressions locales lorsqu'on parle en français. Parce ce que les mots n'ont pas toujours leurs équivalents et que le concept de "buena onda" n'est tout simplement pas traduisible.
Vivre dans une autre culture, a fortiori lorsque la culture du pays de destination nous convient, c'est changer d'habitudes et se créer un mix des deux, et tenter de prendre le meilleur de chacune. Je revendique aujourd'hui une bonne dose d'ArgentinAttitude, car je suis admirative des qualités intrinsèques des Argentins, j'ai beau boire du maté et dîner à partir de 22h, je reste française pour autant. Je ne suis pas encore aussi extravertie, et me sens beaucoup moins conservatrice.
Je distingue 3 types d'expatriations possibles, je les ai expérimentées toutes les 3, dans cet ordre, et j'en suis arrivé à ces conclusions.
- l'expatriation "j'accompagne".
Le/la chérie(e) a un travail qui l'attend et on part dans la valise. On n'a pas forcément choisi la destination. C'est tombé comme ça. On a acheté le Routard Futé du pays en question et on est monté dans l'avion. Degré de difficulté : fastoche. Cela ne veut pas dire que l'on ne galèrera pas pour obtenir un visa de travail mais si financièrement le salaire du conjoint est convenable, on peut se permettre d'accepter un job même mal payé, voir de se reconvertir et repartir de zéro dans un nouveau domaine, même sans expérience, chose que souvent la France ne nous permet pas de faire. Ou même de ne pas travailler du tout. La sociabilisation peut être lente si on ne parle pas la langue locale. L'expatriation sans travailler peut s'avérer être une jolie bulle rose loin des préoccupations de la vie courante ou une source de solitude et d'ennui. Le contenu du paquet cadeau de l'expatriation dépend de qui l'ouvre...
- l'expatriation "je viens pour travailler"
On a décroché un job depuis la France. On a choisi sa destination puisque on a cherché le job et postulé en connaissance de cause. Dans ces cas-là on doit se débrouiller dans la langue du pays ou du moins en anglais. On ne s'inquiète pas de savoir si un salaire va tomber à la fin du mois, car on sait qu'il va tomber. Il ne reste plus qu'à prendre des verres avec ses collègues à la sortie du bureau et de voir avec qui on s'entend le mieux. Degré de difficulté : semi-fastoche. La socialisation va vite. On se sent un touriste chaque week-end et on a une motivation et un intérêt dingue pour tout découvrir. On a la tête libre car les conditions matérielles essentielles sont solutionnées par notre salaire.
- l'expatriation "free-style" ou "je viens voir ce qui se passe"
C'est celle qui nécessite une bonne paire d'ovaires le plus de courage ou d'inconscience, selon comment on voit la chose. C'est celle aussi qui résulte d'un fort intérêt pour le pays d'élection, d'une passion ou d'un coup de foudre pour la destination choisie. Je pense que c'est l'expatriation la plus difficilement imaginable, surtout lorsqu'on a été bien formaté par le modèle étudie# travailletoutdesuiteaprès # cotisepourtaretraitecestimportant. Et il faut reconnaître qu'en France, ce modèle de pensée est bien implanté, beaucoup trop. Les Anglais par exemple sont bien plus ouverts sur le concept de vivre à l'étranger un moment, prendre un congé sabatique etc.
Degré de difficulté : pas fastoche du tout mais tellement bon ! Pour l'avoir fait, à 30 ans passés, en quittant un job "sûr" en France, je ne peux que le recommander. Parce qu'on s'en balance de perdre 6 mois ou 1 an de cotisation retraite. Il faut le tenter (et ici je dédicace ce paragraphe aux lecteurs qui me racontent qu'ils songent à le faire mais n'en sont pas sûr).
Rien de tel que cette mise à nu, cette prise de risque, ce départ de zéro, pour se connaître et se révéler dans un monde différent. Le seul risque est de rentrer chez papa maman une fois l'expérience terminée. Autant dire, en comparaison de ce que vit le commun des mortels sur cette planète, que le risque est nul.
Que l'aventure dure quelques mois, le temps que les économies permettent de rester, un an, deux ans ou davantage, cette expérience est unique car pour la première fois nous seuls construisons notre futur. Tout est à trouver : un job, une maison, des amis. Rien que ça. L'emploi que l'on décroche, on sent que l'on a obtenu à la tchatche car l'employeur peut difficilement nous sonder, culture et langue différentes obligent. Il y a de fortes chances pour qu'il ne sache même pas prononcer le nom de notre prépa, de notre université ou le sigle de notre école. Donc Charles Henri de la Tour, Paris 16, qui sort de Louis Legrand et de Sciences-Pô, l'ESSEC ou autre ESCP ne part pas forcément plus gagnant que Fanny Dumond d'Auch du Gers de l'université de Toulouse. Et c'est ça qui est bon ;-). On n'aura pas ou très peu de "réseau" et des pistons qui vont avec. L'expatriation a ceci de juste qu'elle remet les compteurs à zéro en quelque sorte, et que le meilleur gagne.
Pour les amis, il y a des chances pour que vous rencontriez des personnes très différentes de celles laissées au pays. Et c'est tant mieux.
Par effet de contraste, tous les efforts déployés par un expatrié dans sa nouvelle vie lui fait voir la mère Patrie comme le pays des Bisounours. On a davantage de mal à critiquer la France ensuite, pour peu que l'on ait eu à tester la médecine, les hôpitaux ou le chômage à l'étranger... On réalise, enfin, que l'on a été très très choyé par notre système. Du coup, les éternelles plaintes, grèves et manifs franco-françaises nous semblent parfois déplacées en comparaison de ce que l'on a expérimenté ailleurs.
Les moments vécus dans un nouveau contexte, les rencontres, les voyages effectués depuis notre nouvelle base, les galères et les moments de solitude, tout cela forge et fait grandir. Attention non plus à ne pas prendre le melon et se souvenir que si nous sommes loin, c'est que la santé le permet, c'est qu'éventuellement les autres frères et soeurs sont là pour les parents et nous déculpabilisent un peu, c'est que les planètes se sont alignées (avec notre aide, certes) au moment indiqué pour pouvoir partir.
L'expatriation est un beau paquet cadeau, un Maxi-Kinder avec une surprise à l'intérieur, mais nul ne sait ce qu'il contient. Il faut l'ouvrir pour savoir. Goût du risque, optimisme à toute épreuve et ouverture d'esprit indispensables. Sensations fortes garanties.
Fanny Dumond (www.lepetitjournal.com) lundi 20 janvier 2014