A l'issue de l'expatriation, les entreprises qui ont une véritable politique de retour sont encore rares. Il est parfois difficile de valoriser professionnellement en France l'expérience acquise à l'étranger. La réintégration est trop souvent mal gérée, et mal vécue. Attention au virage !
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A l'ère de la globalisation, la mobilité internationale est devenue incontournable. L'objectif ? Permettre au travailleur d'acquérir de nouvelles compétences à l'étranger afin d'en faire une valeur ajoutée pour l'entreprise. Partir en expatriation, c'est le plus souvent un projet individuel fort, motivé par des raisons personnelles et professionnelles. D'après une étude de l'Observatoire de l'expatriation, publiée par l'Institut BVA en juin 2011, 75% des expatriés voient ce projet comme un tremplin professionnel, voire un passage obligé. La dimension internationale d'un cadre dirigeant se prouve sur le terrain par des missions conduites avec succès dans des pays, des cultures managériales, des corps sociaux, des langues et des pratiques différentes de la sienne. C'est aussi une opportunité à saisir et une occasion de s'enrichir culturellement : on développe sa curiosité et sa capacité d'adaptation. ?C'est palpitant d'avancer loin de la routine, s'enthousiasme Myriana, et avec des équipes qui ont la même pêche que nous ! Et qui parfois ont osé prendre des risques !"
Au terme de ce processus stratégique, après plusieurs années passées à l'étranger, les expatriés doivent négocier un virage décisif : le retour vers la maison mère.
La réintégration de l'expatrié
Dans les grandes entreprises, si le départ est bien ficelé, l'étape du retour reste souvent bâclée. Souvent déconnectés de la société française et du c?ur décisionnel de leur société, les salariés souffrent d'un manque manifeste d'accompagnement. Selon l'étude de l'Observatoire des Expatriés, seuls 19% des expatriés originaires d'Europe de l'Ouest estiment que leur entreprise les a aidés dans la démarche de réadaptation. En particulier, l'entreprise prend rarement en compte les souhaits de l'expatrié en termes de poste à son retour (seuls 35% d'avis positifs). Ce qui est particulièrement frappant est que seule la moitié des personnes interrogées s'attendaient à ces difficultés. La plupart des expats pensent que retourner chez soi n'est pas si compliqué. Or les salariés passent par les mêmes phases de deuil qu'au départ, c'est le choc culturel inversé.?? Jean, 43 ans, parti deux ans au Bénin, remarque que, du fait de sa différence, "à l'étranger on est un peu exceptionnel. Quand on rentre en France on redevient comme tout le monde, on se fond dans la masse. Ce n'est pas facile à vivre."
Les expatriés sont en effet souvent déçus par le peu d'intérêt accordé à leur expérience acquise à l'étranger. ?La difficulté au retour en France, c'est de s'entourer de salariés qui n'ont jamais bougé de leur m² professionnel, explique Myriana, et ce manque d'ouverture à l'autre peut, il est vrai, être un frein à de nouvelles idées, nouvelles suggestions, ou certaines réflexions quant à un éventuel changement de management interne ou de méthode d'organisation RH interne.? Les expatriés voient la richesse de leur expérience peu reconnue et les connaissances acquises sur le terrain absolument pas exploitées, d'où de nombreuses frustrations. Sans parler de ceux qui sont bloqués à l'étranger sans pouvoir trouver le même type d'emploi en France. ??Un tremplin ? Pas si sûr !? Valoriser son expérience professionnelle à l'étranger dans le cadre d'une recherche d'emploi est assez facile ; paradoxalement, il n'en va pas forcément de même pour le faire dans sa propre entreprise. Du coup, la tendance à penser que l'expatriation est un tremplin professionnel diminue clairement une fois l'expatrié revenu au pays. La concurrence avec ceux qui sont restés en France est vive. Selon les disponibilités, les anciens expatriés se retrouvent parfois avec des postes moins intéressants qu'auparavant. Ils peuvent aussi connaître des difficultés à se réadapter au rythme de travail de la maison mère. Longtemps autonome, éloigné de sa hiérarchie, il n'est pas toujours agréable de faire face à une organisation plus lourde.
Or, lorsqu'il est mal vécu, le retour d'expatriation a toutes les chances d'annihiler les bénéfices de l'expérience internationale, voire de compromettre l'avenir du salarié au sein de sa société. Il n'est pas surprenant alors de constater alors que 90% des expatriés au retour souhaiteraient réitérer l'expérience de l'expatriation. "Expatrié un jour, expatrié toujours", dit le dicton ! Selon les études, on constate qu'entre 20 et 40 % de ces expatriés quittent leur entreprise au bout de deux ans.
Comment réussir un retour gagnant ?
Comprendre, avant même de partir, les enjeux et le prix à payer pour faire carrière à l'international est très important. Idéalement, il faut définir dès le départ les conditions du retour. Six mois avant le retour, il est temps de passer aux choses sérieuses et d'étudier concrètement avec la DRH des opportunités de retour, tant sur le plan logistique que professionnel. On ne vous déballera pas le tapis rouge, il faut donc penser à vendre ses compétences. ?Les principales difficultés à surmonter tiennent à la manière de valoriser son expérience internationale dans la structure organisationnelle de l'entreprise et à reconstituer ses réseaux. ?C'est pourquoi, tout au long de sa mission, l'expatrié doit maintenir le lien avec le siège. Prenez soin de ne pas vous faire oublier, en renforçant le reporting, les contacts avec vos collègues en France et en ne négligeant pas les aller-retour réguliers. Fanfarons s'abstenir ! Il faut rester humble, même si on pense avoir réalisé des choses exceptionnelles dans un contexte difficile.
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S'informer sur l'actualité de l'économie et de l'emploi dans votre secteur est essentiel. Bernard estime "indispensable, professionnellement, ne serait-ce que pour rester au fait de l'évolution naturelle de la profession dans laquelle on est sensé évoluer, de rentrer régulièrement en France et de ne pas enchainer trop d'expatriations. Ceux qui ne sont pas réadaptables sont en effet ceux qui n'avaient au départ qu'une vision à court terme de leur propre vie (et qui n'ont pas su évoluer), en prenant délibérément le risque de faire toute une carrière en expatriation, loin des évolutions professionnelles, des nouvelles demandes, des nouveaux marchés, des nouvelles méthodes (voire "modes") de management, des nouveaux rapports hiérarchiques, des nouvelles concurrences, des nouvelles techniques, etc. Il est sûr que, en rentrant, ils ne pouvaient être que complètement déphasés". ??Soigner ses relations personnelles et professionnelles malgré l'éloignement sera aussi un gage de réussite au retour. L'expatrié peut par exemple être mis en relation avec un parrain, un mentor, qui maintiendra un lien avec le pays d'origine et qui proposera un regard différent sur son activité. Il s'agit pour la maison mère de favoriser l'écoute du salarié par ses collègues. Privilégiez aussi les réseaux sociaux, professionnels comme personnels.??
Du coaching ?
Pensez à réaliser un bilan professionnel et personnel pour mettre en avant les plus de votre expérience à l'étranger. Le véritable enjeu d'un bilan de compétence est de mettre en valeur le savoir-faire acquis dans un environnement différent. Mais il doit aussi vous aider à faire votre deuil d'une expérience souvent exaltante, à comprendre quels sont vos désirs et comment vous pouvez éventuellement réorienter votre carrière en conséquence.?Une fois le retour effectif, il ne faut pas hésiter à suivre un programme de réintégration ou des séminaires de formation s'ils sont proposés. Il est important de trouver un moyen de mesurer l'éventuel décalage entre votre expérience à l'étranger et le poste que vous allez prendre.
Le cas des conjoints
Aujourd'hui encore, malgré une évolution ces dernières années, ce sont plus souvent les épouses qui mettent entre parenthèse leur carrière pour suivre leur mari à l'étranger. Le conjoint porte souvent l'installation, l'organisation sur place. Comment combler le fameux "trou" dans le CV, si mal perçu des recruteurs ? Apprentissage d'une langue, bénévolat, organisation de soirées caritatives, ils doivent être capables de valoriser leur expérience internationale pour retrouver un emploi, en France. Pour l'heure, seule une poignée d'entreprises proposent des formations à destination des conjoints. La mobilité est donc avant tout une étape professionnelle qui doit s'articuler avec un projet personnel.
Si l'entreprise possède sa part de responsabilité dans le processus de réintégration, la clé de la réussite du retour revient au salarié lui-même. L'expatrié doit accepter de passer par des étapes délicates et les vivre simplement. Comprendre que le sentiment d'incompréhension ou que les phases de découragement sont normales peut permettre de réduire leur durée. Et si vous avez pu réussir à l'étranger, c'est aussi grâce à votre capacité d'adaptation que vous devez solliciter à nouveau. Avec le temps, vous pourrez peut-être devenir un "role model" dans l'entreprise. Pour Myriana, "l'expatriation est vue comme un exemple à faire partager et reste la bienvenue au sein de l'entreprise. Vous donnez même du rêve à l'entreprise et ainsi vous valorisez le travail de certains".
MPP (www.lepetitjournal.com) lundi 30 avril 2012
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Dossier - Valoriser son retour en France