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Vers un contrôle accru d'Internet au Cambodge

Censure internet CambodgeCensure internet Cambodge
Nghia Nguyen
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 19 février 2021, mis à jour le 19 février 2021

Le gouvernement cambodgien a publié une directive visant à établir une passerelle Internet nationale qui contrôlerait le trafic en ligne, malgré les critiques des groupes de défense des droits qui affirment que cette mesure donnera au gouvernement de larges pouvoirs pour contrôler l'accès à Internet.

Le sous-décret intitulé "Établissement de la passerelle Internet nationale (NIG pour National Internet Gateway)" a été rédigé par le ministère des postes et télécommunications et signé par le Premier ministre Hun Sen le 16 février.

Il s'appuie sur les dispositions déjà présentes dans la loi sur les télécommunications.

La directive établit une passerelle Internet nationale (NIG) qui contrôlera toutes les opérations Internet dans le pays.
Le but affiché est d'améliorer la "collecte des recettes nationales", de "protéger la sécurité nationale" et d'assurer "l'ordre social", de protéger "la culture et la tradition nationale", termes souvent utilisés dans d'autres législations et définis de manière vague.

L’opérateur NIG stockera et fournira des rapports au gouvernement et aux régulateurs des télécommunications tout en ayant le pouvoir largement défini de "prendre des mesures pour bloquer et déconnecter toutes les connexions qui affectent la sécurité ; le revenu national ; l'ordre social, la dignité ; la culture, les traditions et les coutumes ».
L'opérateur NIG sera également tenu de stocker toutes les métadonnées du trafic Internet pendant 12 mois, et les fournir aux autorités.


Le Cambodge dispose déjà de plusieurs réglementations visant à contrôler strictement les contenus en ligne. La loi sur les télécommunications de 2015 donne aux autorités des pouvoirs importants pour demander aux fournisseurs d'accès Internet des données sur le trafic des utilisateurs.

Le code pénal du pays ainsi que la législation sur les "fausses nouvelles" ont été fréquemment utilisés pour emprisonner des militants ou des utilisateurs ordinaires qui critiquent le gouvernement


Toutefois, jusqu'à présent, le gouvernement cambodgien ne pouvait réagir à la dissidence en ligne qu'en censurant les contenus ou en arrêtant les internautes après la mise en ligne des messages.

Un controle plus facile


La concentration de tout le trafic Internet par une seule passerelle permettra aux autorités de mieux limiter la liberté de parole en ligne avant la publication de contenu, adoptant ainsi un système de censure préventive semblable à celui de la Chine.

Il sera également beaucoup plus facile désormais pour les autorités d'ordonner des coupures de flux de grande envergure et éventuellement restreindre l'accès aux réseaux sociaux.

Comme l'opérateur NIG sera tenu de conserver des données de trafic sur chaque utilisateur, cela devrait entraîner plus d'autocensure et obligera les internautes à se demander s'ils seront punis à l'avenir pour avoir cliqué sur certains sites web.

 

Censure internet Cambodge
Lars Kienle



Des comparaisons ont déjà été faites avec la "Grande muraille de feu" chinoise, mais la dernière initiative du Cambodge sera beaucoup plus faible.

Un élément essentiel du vaste État de surveillance en ligne de Pékin est l'absence de réseaux sociaux détenus par des étrangers comme Facebook, qui est interdit en Chine mais qui est le roi des médias sociaux au Cambodge.

Les réseaux sociaux les plus populaires en Chine appartiennent à des propriétaires nationaux, comme Weibo et WeChat, dont les propriétaires sont bien plus disposés à censurer au nom du Parti communiste chinois.

Il est très peu probable que le Cambodge oblige la plupart de ses citoyens à quitter Facebook ou créer une plateforme rivale nationale.


En réorientant tous les trafics Internet étrangers vers une passerelle unique, les autorités cambodgiennes auront plus de poids sur les réseaux sociaux comme Facebook, y compris la menace de couper son trafic et donc ses revenus publicitaires.

Avec une population de plus de 16 millions d'habitants, le Cambodge compterait 14,8 millions d'abonnés à l'internet mobile et environ 10,9 millions d'utilisateurs de Facebook, ce qui semble beaucoup. On peut être certain que beaucoup possèdent plusieurs comptes. Il n’empêche que Facebook est extrêmement bien implanté au Cambodge.


Les inquiétudes de la sociéte civile
 

Des inquiétudes existent également quant à savoir qui sera l'opérateur NIG. Le gouvernement va-t-il nommer une entreprise privée ou publique pour gérer la passerelle unique et travailler aux côtés du ministère des télécommunications ?

Existe-t-il une entreprise cambodgienne ayant les compétences et l'expérience nécessaires pour gérer cette tâche de haute technologie ? Si ce n'est pas le cas, il est possible qu'une entreprise étrangère, éventuellement chinoise, remporte le contrat pour devenir l'opérateur du NIG.


D'autre part, les groupes industriels affirment que le fait de disposer d'une passerelle unique réduira les vitesses de connexion et augmentera les risques de pannes d'Internet à l'échelle nationale si des problèmes techniques surviennent, ce qui affectera considérablement les opérations et les bénéfices des entreprises qui dépendent d'Internet.


L'Asia Internet Coalition, un groupe de pression composé des plus grandes entreprises technologiques du monde, dont Amazon, Apple, Facebook, Google et Twitter, a écrit à Hun Sen en décembre pour lui demander de ne pas soutenir le projet NIG.


"Le fait d'avoir une passerelle Internet nationale unique suscite des inquiétudes en termes de panne, car il n'y a pas d'alternative à la connexion du pays à l'Internet mondial", a-t-il déclaré dans une lettre ouverte.

Censure internet Cambodge
Rami Al Zayat


Les groupes de défense des droits s’inquiètent de la manière dont le gouvernement pourrait utiliser la nouvelle directive NIG pour cibler des individus ou des groupes spécifiques dans le pays.

Le ministre des postes et télécommunications, Chea Vandeth, a rejeté toute inquiétude quant aux intentions du gouvernement concernant la nouvelle directive. Il a déclaré que les opérateurs ne contrôleraient que le trafic, mais n'auraient pas accès aux données.


"Elles [les ONG] parlent juste vaguement. Elles ne sont pas au courant de cela", a-t-il déclaré mercredi.


C'est comme les voitures sur les routes nationales. Nous ne savons pas quels types de voitures sont sur les routes. Nous contrôlons juste le trafic pour nous assurer qu'il n'y a pas d'embouteillage.


Ith Sothoeuth, directeur du Centre cambodgien pour les médias indépendants, a déclaré que le sous-décret permettra légalement au gouvernement de "contrôler complètement" le contenu accessible sur Internet, en particulier les informations factuelles et critiques publiées par les organes de presse indépendants.

Le gouvernement peut filtrer ou bloquer toute information qui ne lui convient pas

 

a-t-il déclaré.

Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie de Human Rights Watch, a déclaré que l'adoption par le Cambodge du National Internet Gateway n'était pas une bonne nouvelle pour les Cambodgiens, mais aussi une mauvaise nouvelle pour les entreprises.

"En une seule loi, le gouvernement a rendu la censure et le contrôle d’internet beaucoup plus probable et a garanti des dommages accrus aux nombreuses entreprises et entrepreneurs, petits et grands, qui dépendent d'un internet rapide et ininterrompu pour faire leurs affaires".

A-t-il déclaré dans un courriel adressé à VOA Khmer.

 

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