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LES RDV ECO - Entretien avec Eric Stab, président d'ENGIE Romania

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Écrit par Economie
Publié le 12 février 2017, mis à jour le 13 février 2017

Eric Stab dirige ENGIE en Roumanie et Pologne, il est Président Directeur Général d'ENGIE Romania. ENGIE est un acteur mondial de l'énergie, présent dans près de 70 pays sur les cinq continents, et représente un leader de la transition énergétique en Europe. Eric Stab est aussi président du Conseil des Investisseurs Etrangers (FIC), qui rassemble 130 sociétés multinationales dont le but est d'améliorer l'environnement des affaires et de promouvoir l'investissement en Roumanie. Il est aussi membre du groupe de pilotage de la Coalitia, coalition pour le développement de la Roumanie.

Lepetitjournal.com/Bucarest : Nous commencerons par une question au c?ur de l'actualité. En tant que chef d'entreprise, quel est votre point de vue sur les bouleversements politiques actuels en Roumanie et leur influence sur la stabilité économique ?

Eric Stab : Vaste sujet (rires). Je vais vous parler avec une double casquette pour le coup. A la fois en tant que dirigeant d'ENGIE Romania et également en tant que président du Conseil des Investisseurs Etrangers. C'est vrai que ce qui vient de se passer nous a amené à tous nous interroger. Nous avons été très préoccupés par la façon dont les décisions ont été prises par le gouvernement, notamment en ce qui concerne l'abus de pouvoir et ce qui a été prévu en matière d'amnistie.

Le vrai sujet de fond, c'est la manière dont le gouvernement s'y est pris, à savoir prendre des décisions sur des sujets sensibles, en pleine nuit, sans consultations préalables des institutions concernées et de la société civile. Je pense que c'est ce qui a conduit à cette réaction forte de la population qui est descendue dans la rue. En même temps, c'est le signe d'une démocratie saine que de voir cette mobilisation des gens.

Il est néanmoins important de revenir à une stabilité économique et gouvernementale. La situation en Roumanie est assez fragile et il est vrai que le risque de ce qui est en train de se passer est que l'on perde le sens des priorités. Il faut veiller à ce que la Roumanie poursuive sa croissance. Nous sommes dans un contexte très émotionnel mais il est important que la raison reprenne le pas sur les émotions.
 

Vous avez déclaré en Novembre 2016 que la Roumanie pourrait figurer parmi les 10 premières économies de l'Union Européenne dans une vingtaine d'années, pouvez-vous développer ?

Cette déclaration faisait suite à nos travaux au sein du Conseil des Investisseurs Etrangers sur le potentiel de croissance et de développement de la Roumanie. 17ème économie de l'Union Européenne, 7ème pays de l'Union Européenne de par sa taille et sa population, nous pensons qu'il est possible que la Roumanie fasse un jour partie du top 10 des économies européennes si elle prend les bonnes décisions et si elle se focalise sur les sujets vraiment importants. Cela implique d'avoir une croissance soutenue. C'est un pays qui en a le potentiel, avec une croissance de 4,5 % dans la durée pour les 20 prochaines années.

Pour cela, la Roumanie doit se concentrer sur trois grands piliers. Le premier, ce sont les infrastructures, qui sont en retard par rapport aux autres pays du reste de l'Union Européenne.

Le second pilier représente le capital humain : je pense principalement au système éducatif, dont la qualité est en baisse, et qui a pourtant été historiquement très bon. Il faudrait mettre en place des structures plus appropriées pour former une main d'?uvre de qualité. La Roumanie a d'excellents mathématiciens, de grands médecins, des ingénieurs très qualifiés, des gens cultivés, mais il faut veiller à ce que cela dure. Il y a également le système de santé, il reste beaucoup de travail à faire pour améliorer les hôpitaux dans un contexte où les hôpitaux privés prennent de plus en plus le pas sur les hôpitaux publics. Les premiers proposent une meilleure qualité de soins et de suivi des patients mais cela cannibalise aussi tout le système public. Il est donc important de rééquilibrer les choses.

Le dernier pilier est l'efficacité publique et privée. Il y a un potentiel important d'amélioration des modes de fonctionnement du pays dans le domaine public, par exemple la bureaucratie qui pourrait être simplifiée, les collectivités locales qui pourraient être renforcées. Des progrès sont à faire aussi dans le secteur privé avec les entreprises, même si elles ont beaucoup évolué ces dix dernières années.

Nous pensons donc au Conseil des Investisseurs Etrangers que, si l'accent est mis sur ces trois grands piliers, infrastructures, capital humain et efficacité publique et privée, la Roumanie est capable de générer le taux de croissance nécessaire pour devenir à long terme l'une des dix premières économies de l'Union Européenne.

 

Quelles sont, selon vous, les perspectives de croissance de la Roumanie pour 2017 ?

Nous espérons tous que la Roumanie parvienne à conserver le rythme de croissance qu'elle avait réussi à atteindre ces trois dernières années et même à l'accélérer. Le gouvernement table sur un taux relativement élevé de 5 %, ce qui est, dans le contexte actuel, ambitieux. Ce n'est pas impossible mais cela suppose que tout le monde aille dans la même direction. Il est vrai que la focalisation des gens sur la situation judiciaire, par rapport aux ordonnances d'urgences adoptées puis retirées par le gouvernement, a aussi, malheureusement, pour conséquence que, pendant ce temps-là, les gens travaillent moins. Ils sont moins mobilisés au quotidien par le développement de leurs activités et donc par leur contribution à la croissance du pays. Il est important de revenir à une situation stable rapidement.

Ce qui a attiré la croissance ces dernières années, c'est avant tout la consommation, une bonne chose sur le principe, mais ce n'est pas suffisant. Pour avoir un taux de croissance pérenne dans la durée, il faut qu'il soit tiré par des investissements. Or, les investissements n'ont pas été à la hauteur des attentes et il donc impératif de rééquilibrer l'origine de la croissance actuelle en remettant l'accent sur les investissements et moins sur la consommation. Elle est trop fragile, trop volatile, elle peut être forte une année en raison des relaxations fiscales, mais cela ne va pas forcément durer non plus, d'où l'importance de faire le nécessaire pour que l'Etat et les entreprises investissent.


Le pays vous paraît-il de plus en plus attractif du point de vue des investissements étrangers ? Que devrait faire la Roumanie pour en attirer davantage ?

La Roumanie est un pays attractif du point de vue des investisseurs étrangers de par son potentiel. Un marché d'une vingtaine de millions d'habitants qui a fait le choix de l'intégration et de la convergence européenne, c'est donc un pays qui, par nature, est intéressant. D'autant plus que la Roumanie a un vrai besoin de rattrapage dans de nombreux domaines où des investisseurs étrangers ou locaux ont, sans aucun doute, un rôle à jouer.

Mais attirer des investissements suppose de la stabilité, de la prédictibilité et de la transparence. Les investissements reposent sur la confiance avant toute chose et une confiance dans le long terme. Et c'est là où toute la communauté d'investisseurs a rencontré quelques dérives sur certains sujets de nature parfois populiste. Il est donc important de restaurer cette confiance et de veiller davantage à l'image du pays à l'étranger. Il existe un fossé très important entre la perception et la réalité. La réalité étant bien meilleure que la perception selon moi (rires).

 

Quelle est la stratégie de développement d'ENGIE Romania pour les années à venir ?

Aujourd'hui, nous avons presque 1,7 million de clients en Roumanie qui représentent au total à peu près 4,5 millions de Roumains. Notre objectif est donc de veiller à répondre à leurs attentes. Cela passe par une diversification au-delà du gaz et donc d'offrir de l'électricité et différents services. Surtout dans un contexte de digitalisation de plus en plus marqué de l'économie et de la société au sens large. Nous avons développé des services de type smart home (maisons et thermostats intelligents) par exemple.

Une autre grande tendance est le renforcement de notre position dans la production décentralisée d'énergie, un domaine où nous investissons de plus en plus. Un autre axe de développement important pour nous est ce que l'on appelle les carburants alternatifs. La Roumanie, comme beaucoup d'autres pays, a un sérieux problème de pollution. L'une des réponses à ce problème est de mettre l'accent sur la mobilité verte, développer des solutions moins polluantes pour l'environnement que le recours au diesel. Cela passe par exemple par du gaz naturel comprimé ou des véhicules électriques et, pour que ce type d'initiatives puissent exister, il faut développer les infrastructures nécessaires. C'est le domaine prioritaire sur lequel nous nous concentrons aujourd'hui. Nous avons une première station de gaz naturel comprimé actuellement en développement et qui entrera rapidement en construction, dès que la météo sera un peu plus clémente (rires).

 

Comment ENGIE Romania résiste-t-elle à la fuite des cerveaux et à la difficulté de recruter ? Que faut-il faire selon vous pour lutter contre ce phénomène ?

C'est pour moi un sujet de la plus haute importance. Toutes les entreprises du pays rencontrent de plus en plus de difficultés à recruter, à retenir leurs talents. Pourquoi? Parce que l'attrait de l'étranger reste important. La diaspora roumaine est très significative, avec plus de 3 millions de Roumains vivant à l'étranger, et cette tendance au départ reste prononcée. Il est donc très important pour nous de parvenir à retenir nos ingénieurs, nos techniciens, nos managers.

Alors comment y parvenir? Cela suppose que les entreprises, y compris nous-mêmes, fassions le nécessaire. Il est important qu'il y ait également une prise de conscience plus générale des décideurs politiques et économiques de ce pays quant à l'importance du sujet. Il faut continuer à mettre l'accent sur le système éducatif, veiller à former des techniciens qui répondent aux besoins des entreprises, maintenir ou renforcer la qualité des enseignements dans les universités. Pour que les Roumains restent en Roumanie, il faut surtout qu'ils s'y sentent bien, qu'ils aient des perspectives d'évolution, des salaires décents.

Les entreprises doivent entendre ce message. Plus généralement, il faut que les Roumains se rendent compte que leur pays est sur la bonne voie, que la croissance est réelle, que les infrastructures s'améliorent, qu'ils n'auront pas de problèmes à fournir une bonne éducation à leurs enfants, qu'ils n'auront pas de problèmes à faire soigner leur famille dans le système de santé roumain. Toutes les bonnes volontés doivent se mobiliser pour veiller à ce que nous ayons, pour les décennies qui viennent, les salariés roumains talentueux dont nous avons besoin.

 

En matière d'énergie, la Roumanie a fixé comme objectif d'assurer 24% de sa consommation brute d'énergie par des sources d'énergies renouvelables d'ici 2020 [Agerpres, janvier 2016]. Croyez-vous que cet objectif va être atteint, et pouvez-vous nous dire comment ENGIE Romania se positionne sur ce volet ?

L'objectif est déjà partiellement atteint. Il y a plus de 7 milliards d'euros qui ont été investis dans les énergies renouvelables. Cependant, le système de soutien aux énergies renouvelables a été changé de manière rétroactive, ce qui a eu un impact à la fois sur le modèle d'investissement de ceux qui ont décidé de se positionner dans ce secteur et sur leur confiance dans la poursuite d'investissements dans le secteur énergétique. Est-ce que à l'horizon 2020 les objectifs seront atteints? Cela dépendra de la croissance de la consommation d'ici-là. Si elle se développe mais qu'il n'y a plus d'investissements, les objectifs ne seront pas atteints.
La vraie question aujourd'hui est: est-ce que les autorités vont comprendre le message envoyé par les investisseurs qui ont fait confiance à la Roumanie? Si oui, je pense que l'on va pouvoir restaurer la confiance et qu'il y aura des investissements significatifs dans le domaine énergétique. Sinon, il y a des craintes à avoir quant à la volonté des investisseurs de continuer à mettre de l'argent sur la table pour parachever la modernisation énergétique du pays.

 

Passons à présent à des questions plus personnelles, si vous le voulez bien. Depuis combien d'années êtes-vous installé en Roumanie et comment s'est passée l'adaptation au pays? Quelles ont été les différences culturelles les plus difficiles à dépasser ?

Je suis installé en Roumanie depuis 6 ans et demi, presque 7 ans.

Mon adaptation a été rapide pour plusieurs raisons. Les Roumains étant extrêmement doués pour les langues, ce n'est pas très difficile de s'intégrer rapidement. Ils sont par ailleurs très ouverts d'esprit, très chaleureux, très désireux d'apprendre et de côtoyer des étrangers. Grâce à cela, j'ai pu m'adapter et m'intégrer dès mon arrivée en Roumanie. Je me suis senti ici chez moi et très vite.

Pour les différences culturelles, l'avantage est que la Roumanie est un peuple très latin, je n'ai pas vu de différences culturelles fondamentales.

Mais il ne faut pas oublier que la Roumanie s'est ouverte à l'Europe occidentale très récemment, il y a donc encore un poids de l'ancien régime communiste d'avant 1989. Au-delà de ça, je n'ai pas vu de grosses différences entre la France et la Roumanie Je m'occupe aussi d'autres pays de langue slave et j'y ressens des différences plus importantes.

 

Pouvez-vous nous dire ce que vous préférez en Roumanie ? Ce que vous aimez le moins ?

Sans hésiter, j'aime la chaleur humaine que l'on rencontre auprès des Roumains. Il y a également une dimension très agréable et méconnue par ceux qui ne font pas l'effort de venir découvrir le pays, ce sont les paysages. La Roumaine a des paysages très divers et magnifiques. Tous les pays n'ont pas cela à offrir à leurs ressortissants, à leurs habitants et à ceux qui viennent leur rendre visite.

Maintenant ce que j'aime un peu moins? Je ressens chez beaucoup de Roumains, de par leur histoire récente peut-être, de par leur perception de l'image de leur pays et de sa situation, un certain pessimisme, un défaitisme quant à l'avenir de leur pays. Je trouve cela dommage. Je crois qu'il faut miser sur tous les gens déterminés et volontaires qui ?uvrent jour après jour pour faire évoluer les choses et, croyez-moi, ils sont très nombreux.



Pouvez-vous définir la Roumanie en un mot ?

En un mot ? Et bien je choisirai « promesse » !

 

Propos recueillis par Grégory Rateau (www.lepetitjournal.com/Bucarest) - Lundi 13 février 2017

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Publié le 12 février 2017, mis à jour le 13 février 2017

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