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L'écrivaine Timothée Stanculescu revient sur sa double culture roumaine et française

Cette semaine notre rédaction est partie à la rencontre de l'écrivaine et scénariste, Timothée Stanculescu. De parents roumains, Timothée est née à Paris. A l'âge de 26 ans elle a écrit son premier roman "L'éblouissement des petites filles" publié quelques années plus tard en 2021 chez les éditions Flammarion et ressorti en poche l'année dernière. Elle revient pour nous sur son rapport à ses origines...

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crédit photo : Céline Nieszawer
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 18 mars 2024, mis à jour le 21 mars 2024

(...) parler une autre langue à la maison, entendre d’autres histoires, manger une autre cuisine, tout ça offre, dès la naissance, une ouverture innée au monde. De là à parler de force, je n’en sais rien : c’est mon histoire, tout simplement.

Grégory Rateau: Vous êtes née en France de parents roumains. Comment percevez-vous cette double culture?

Timothée Stanculescu: Sincèrement, je n’y pense pas beaucoup, car cette double culture fait partie intégrante de qui je suis. Ce n’est d’ailleurs qu’à la fin de l’adolescence que j’ai vraiment commencé à la percevoir, à m’interroger sur mon identité. Je pense qu'elle fait partie de mon histoire familiale. Le déracinement de mes parents a façonné la personne que je suis aujourd’hui. Je me considère comme une bouture, les racines de mon arbre généalogique sont en Roumanie mais moi, j’ai poussé en France.

 

Est-ce que cela a été une force pour vous ou parfois un handicap?

Si j’ai eu droit à des moqueries sur mon nom de famille, compliqué à prononcer, à l’école, et que j’ai pu ressentir, à une certaine période, que c’était un handicap d’avoir des origines étrangères, je considère aujourd’hui que ça ne l’est pas. Bien au contraire, parler une autre langue à la maison, entendre d’autres histoires, manger une autre cuisine, tout ça offre, dès la naissance, une ouverture innée au monde. De là à parler de force, je n’en sais rien : c’est mon histoire, tout simplement. Mais j’aime cette connivence que je retrouve chez d’autres personnes, enfants d’immigrés, la fameuse « première génération ». Peu importe le pays d’origine des parents, on se comprend, je pense que l’on ressent tous un peu la même chose. Être un peu étranger est, finalement, un bon moyen de ressentir une forme d’appartenance, d’inclusion, et je trouve ça très joli.

 

Quel regard portez-vous sur la Roumanie d'aujourd'hui?

C’est une vaste question. Je n’habite pas la Roumanie. J’en suis les actualités mais, honnêtement, avec plus de distance que les actualités françaises. Je ne sais pas si l’on peut avoir réellement une opinion sur un pays où l’on ne vit pas, que l’on ne « pratique » pas au quotidien. Même si je lis les infos et si j’ai un regard avisé, critique, je pense que je garde forcément un regard très sentimental sur la Roumanie. C’est dans ce pays que je revenais tous les étés de mon enfance, en famille, auprès des anciens que j’aimais tellement. Aujourd’hui, ils ne sont plus là, moi je suis devenue adulte, je me suis fait quelques amis à Bucarest. Je suis encore en train de chercher quelle forme, exactement, prend ma relation avec ce pays, que je trouve vraiment magnifique. Ce que je regrette, tout de même, c’est que ce si beau pays ne se mette pas suffisamment en valeur, ni en valeur son patrimoine. A l’étranger, beaucoup s’imaginent encore que la Roumanie est un pays pauvre et tristounet où il n’y a rien à voir, rien à visiter. Je passe mon temps à faire de la pub pour la Roumanie auprès des Français, à vanter la beauté de ses paysages.

 

Justement, comment les Français perçoivent-ils les Roumains? Et vous vous sentez-vous parfois étrangère quand vous revenez dans le pays de vos parents?

Tout dépend à quel Français on parle… Il y en a qui fantasment la Roumanie, dans une forme d’exotisme peuplé de blouses roumaines et de musique tsigane. Ceux qui pensent vampires, ceux qui pensent Roms, ceux qui pensent « filles de l’Est »... La Roumanie n’est pas vraiment connue en France, la plupart des gens confondent systématiquement Bucarest et Budapest. Les Français qui sont venus en Roumanie, en revanche, sont unanimes : ils ont adoré ! Après, en Roumanie, oui, je me sens étrangère. Je suis « la Française », voire « la Parisienne ». Je n’aimerais pas que l’on me prenne pour une touriste française mais je ne me sens jamais totalement légitime à me prétendre Roumaine. Totalement Roumaine.

 

Votre premier roman "L'éblouissement des petites filles" se nourrit de vos souvenirs de jeunesse. D'où vous vient cette passion pour le récit?

Ma mère, à la retraite aujourd’hui, est professeure de français, donc de littérature. J’ai grandi dans une maison pleine de livres où le goût de la lecture m’est venu naturellement, en imitant ma mère, toujours un bouquin à la main. Même si l’apprentissage de la lecture a été un peu laborieux pour moi, étant dyslexique, je ressentais une grande fierté à lire toute seule, à terminer un livre. C’était aussi une échappatoire. J’ai grandi dans un petit village où il n’y avait rien à faire et, jusqu’à la fin de mon adolescence, la ville la plus proche était un désert culturel. Les zones rurales le sont trop, malheureusement. La littérature, comme le cinéma et aussi la musique, ont occupé une grande place dans ma vie. Et puis, la littérature m’a été d’un immense soutien, d’un immense réconfort dans les périodes difficiles de ma vie. La littérature m’a aidée à grandir, à me comprendre, à appréhender la vie.

 

Ce livre s'inspire en partie de votre vécu. Vous inscrivez-vous dans la tendance du récit de soi, de vos origines?

Non, je ne suis pas particulièrement intéressée par l’auto-fiction. Dans L’éblouissement des petites filles, je me suis inspirée du village dans lequel j’ai grandi, l’atmosphère, l’ennui de ces longs étés, et de quelques petits détails de mes souvenirs d’adolescence, c’est-à-dire de l’époque, le milieu des années 2000. Mais le récit en lui-même est totalement fictif. Aucune adolescente n’a disparu de mon entourage et je n’ai jamais été amoureuse du jardinier de ma mère. L’été de mes 16 ans, j’allais redoubler la classe de seconde, ce qui me contrariait profondément et je n’étais amoureuse de personne, à mon grand dam. En revanche, j’ai écrit ce roman à la fin de ma vingtaine, une décennie durant laquelle on perd beaucoup d’illusions, où l’on devient pleinement adulte. J’ai donc spontanément développé sur ce thème mais à travers une histoire et un personnage très différents de moi. A la base, mon impulsion pour écrire ce roman était de me demander ce qui se serait passé si un fait divers avait eu lieu dans un village comme celui de mon enfance, comment « ce qui n’arrive qu’aux autres » peut affecter une communauté, par ricochets. Et malgré moi, j’ai écrit un roman d’apprentissage.

 

On peut parler ici d'un roman d'initiation. Qu'aimeriez-vous dire à cet enfant, cette jeune fille si vous pouviez lui faire passer un message aujourd'hui?

Je lui dirais de se faire confiance, de ne pas douter de ses capacités, parce qu’elle va réussir ce qu’elle entreprend. Je lui dirais aussi qu’elle a beau n’avoir qu’une hâte, de quitter sa petite campagne, elle finira par avoir envie d’y retourner, elle verra que cet environnement l’a influencée et lui manquera un jour.

 

Vous êtes également scénariste. Comment passe-t-on de l'écriture introspective où les mots traduisent parfois des sentiments imperceptibles, à l'écriture visuelle où tout doit être perçu par le spectateur en termes d'actions?

Ce sont deux manières d’écrire très différentes et le résultat n’est pas de même nature. Un scénario n’est pas une œuvre en soi, c’est ce qui sert d’appui à des dizaines de personnes, à des postes différents, pour faire un film qui est une œuvre collective. Et c’est mouvant. Sur le tournage, les acteurs peuvent improviser, inspirés par une scène. Il y a aussi le montage, la dernière phase de réécriture du film. Beaucoup de voix s’expriment sur un film, pas seulement le scénariste ou le réalisateur. Le défi c’est de faire passer toutes les émotions, tous les non-dits, à travers ce qui se voit et ce qui s’entend. Tout ça, le reste de l’équipe se l’approprie, chacun y va de son savoir-faire et de sa sensibilité, au service du film. C’est aussi une écriture très codifiée, très technique. C’est un défi, toutes ces contraintes sont stimulantes, comme le fait de participer à une œuvre collective. Et puis, j’ai étudié l’écriture scénaristique pendant de longues années donc passer d’une écriture à l’autre, cela s’apprend et se travaille, surtout.

 

Un nouveau roman en gestation?

Oui, un roman en cours d’écriture, même ! J’ai découvert qu’il est donc vrai que le deuxième est difficile à cerner, à écrire, ce n’est pas une légende. Mais il est lancé, affaire à suivre… !

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