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COUP DE COEUR - Sauvons la bibliothèque française Eugène Ionesco de Galati

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Écrit par Grégory Rateau
Publié le 19 février 2017, mis à jour le 20 février 2017

Pour ce début de semaine, nous avons le plaisir de vous présenter Dorina Moisã, la directrice de la bibliothèque française Eugène Ionesco de Galati. Cette bibliothèque privée, la plus grande de Roumanie, représente le foyer francophone le plus important de la région, et elle pourrait un jour disparaître si des donateurs ou des sponsors ne se manifestent pas rapidement pour lui venir en aide. Sa fermeture serait un coup dur pour tous ses lecteurs, qui devraient aller à Bucarest pour emprunter des livres, et qui ne pourraient plus participer aux activités culturelles francophones qui y sont proposées.
La rédaction du PetitJournal.com est allé à la rencontre de cette femme passionnée et engagée dans un beau combat pour transmettre la culture et la langue française. Nous espérons que vous serez tous sensibles à son initiative.

Photos : Amara Ibãnescu

 

Lepetitjournal.com/Bucarest : Présentez-vous brièvement ainsi que l'historique de cette bibliothèque qui est la plus grande bibliothèque privée de Roumanie. Pourquoi une bibliothèque française à Galati ?

Dorina Moisã : Mon nom est Dorina Moisã, j'ai 41 ans et j'ai étudié l'anglais comme langue principale et le français comme langue secondaire à l'Université Dunarea de Jos de Galati. J'ai toujours pensé que j'allais enseigner l'anglais, mais je ne l'ai fait qu'une seule année.  En effet, en 1996, la rencontre avec Anca Mihailescu, professeur de français, l'âme créatrice de la bibliothèque, a changé ma vie (partie à la retraite en 2005, Anca est décédée en 2009).

En 1990, Jacques Hesse, un éditeur de la région de Blois en France, qui connaissait Anca depuis 1973, a repris contact avec elle. Il lui a offert son aide, connaissant la situation difficile en Roumanie. Au lieu de demander de la nourriture, des médicaments ou des vêtements, Anca a spontanément demandé des livres pour son collège. À la suite de cette demande, Jacques Hesse a lancé un appel dans sa région. Libraires, associations, bibliothécaires, éditeurs, entreprises et particuliers on répondu à cet appel. Ainsi, a eu lieu le premier transport de livres, suivi par plusieurs autres au fil des années.
 
La bibliothèque a fonctionné d'abord dans le collège 22 de Galati. Ensuite, en France, à la fin des années 1990, s'est créée l'association Les Amis de la bibliothèque française Eugène Ionesco de Galati (ABFEIG) pour aider et promouvoir la bibliothèque qui existe dans la maison actuelle depuis 2001. La bibliothèque fonctionne désormais dans deux maisons des années 1930 situées au 14,16, rue Basarabiei, achetées et restaurées au profit de la Fundatia Eugène Ionesco uniquement grâce à des financements trouvés en France par l'ABFEIG. Ceux-ci provenaient essentiellement de donateurs privés, du Conseil régional Centre, du département du Cher, de la Fondation Hachette, du Syndicat des maîtres imprimeurs du Loire-et-Cher.

 

 

Qui sont les lecteurs de la bibliothèque française Eugène Ionesco ?

Les lecteurs sont essentiellement des étudiants de l'université, des lycéens et des collégiens, des enseignants de français, des jeunes lecteurs. Mais il y a aussi des particuliers, et des francophones (Français, Belges) venus pour étudier ou travailler un certain temps à Galati.

 

 

La fille de Ionesco, Marie-France Ionesco, a parrainé la bibliothèque, comment en est-elle venue à rejoindre cette aventure?

L'équipe de Galati qui aidait Anca Mihailescu, souhaitait que la bibliothèque prenne le nom d'Eugène Ionesco. Jacques Hesse a alors contacté Marie-France Ionesco pour lui demander l'autorisation de donner le nom de son père à notre fondation, ce qu'elle a accepté très rapidement en voyant le sérieux du projet.

 

 

La bibliothèque compte plus de 16 000 documents et 7 000 lecteurs inscrits, et vous êtes la seule employée. Comment faites-vous pour vous organiser ?

Je travaille seule depuis 2009, à l'exception de quelques mois pendant lesquels j'ai eu une collègue à mi-temps. Je suis aidée par les membres de la Fundatia Eugène Ionesco, et aussi par des bénévoles, des élèves, des étudiants et des enseignants. Mais c'est très difficile, car leur programme de travail coïncide avec celui de la bibliothèque. J'ai réduit les animations et essaie de m'organiser de mon mieux pour faire tout ce qui est nécessaire, non seulement les activités habituelles d'une bibliothécaire comme l'enregistrement de nouveaux livres et l'accueil des lecteurs, mais aussi résoudre les problèmes administratifs et faire le ménage.

 

 

La ville de Galati est jumelée avec la ville de Pessac, cette dernière a aidé au financement de la bibliothèque. Parlez-nous de cette belle initiative.

Une délégation de huit membres du Comité de jumelage de Pessac, emmenée par Françoise Letant-Chachereau, a visité la bibliothèque il y a une dizaine d'années. Depuis, la bibliothèque reçoit de temps en temps un budget pour acheter des livres, ce qui aide beaucoup la bibliothèque, car on n'a pas de budget spécifique pour faire des acquisitions.
Ce qu'il faut souligner aussi, c'est l'apport de livres par l'ABFEIG. Ainsi, en 2016, par son intermédiaire, nous avons reçu un don de plus de 400 ouvrages provenant d'une bibliothèque privée en France, constitué essentiellement de littérature et de très beaux livres d'art.

 

 

Pouvez-vous nous parler des difficultés financières rencontrées ? Les financements ont-ils été réunis au jour d'aujourd'hui ?

Jusqu'en 2009, la bibliothèque fonctionnait en totalité grâce aux aides venant de l'ABFEIG. Celle-ci arrivait alors à trouver des partenaires, des sponsors et des donateurs privés. La crise économique que l'on connaît depuis cette date a ralenti l'obtention de financements en France, mais l'ABFEIG continue évidemment à nous aider chaque année. L'objectif de notre Fundatia est de parvenir à couvrir en totalité, si possible, notre budget de fonctionnement avec des financements trouvés en Roumanie. Nous profitons de la loi permettant aux salariés et indépendants de rediriger 2% de leur impôt sur le revenu vers une ONG. Il y a aussi les cotisations des lecteurs, l'apport des sponsors, mais cela ne couvre, selon les années, que 50 à 70 % de notre budget de fonctionnement. Le reste étant apporté par l'ABFEIG. Mais jusqu'à quand, c'est la question que nous nous posons ?

 

 

D'où vient votre amour de la littérature et de la langue française en particulier ?

Je suis née en 1976. Jusqu'en 1989, je n'avais pas trop les moyens de me divertir, excepté jouer avec mes amis dehors. J'ai découvert le plaisir de la lecture, qui a été mon refuge, très tôt, car j'ai eu la chance d'avoir chez moi une bibliothèque très riche, que ma mère approvisionnait très souvent. On trouvait difficilement de bons livres et ils étaient assez chers, mais ma mère a toujours considéré que les livres étaient indispensables. J'ai découvert la langue française dans les livres de Ionel Teodoreanu et d'Otilia Cazimir, par exemple, dans lesquels les personnages, membres d'une famille ou amis, parlaient entre eux en roumain, mais aussi en français. J'ai commencé à étudier le français à l'école, à l'âge de onze ans, mais c'est seulement au lycée, grâce à mon professeur, Elena Stefanescu, que j'ai commencé à aimer cette langue, et j'ai décidé de l'étudier à l'université.

 



Une dernière question : avec Internet, pensez-vous que les jeunes se sont détournés des livres? Si oui, comment pensez-vous qu'il est possible de les y ramener?

Internet a éloigné les jeunes des livres, mais je crois qu'il est possible de les ramener à la lecture. Il y a beaucoup de choses à dire concernant ce sujet. J'en parle souvent avec mes amis qui ont des enfants. Je crois qu'il faut d'abord éviter à tout prix de les comparer à nous-mêmes quand nous avions leur âge. C'est ce que j'évite de faire avec mon fils qui a 13 ans. J'avais son âge au moment de la révolution, et j'aurais peut-être moi-même négligé la lecture si j'avais eu Internet, des dizaines de programmes à la télé, les jeux vidéo, les téléphones portables, etc. Je crois que nous, adultes, devons être un peu rusés. Même si cela nous fait mal au coeur, à nous, les amoureux du livre papier, nous devons accepter les nouveaux outils d'information et de communication et montrer comment faire la différence entre les informations utiles et celles mauvaises. Avec douceur et patience, l'amour pour la lecture va alors venir. La critique et les comparaisons n'ont jamais rien apporté. Et il faut accepter, même si c'est difficile pour nous, que le livre électronique par exemple n'est pas une chose si mauvaise, car c'est le contenu qui importe.

 

Vous pouvez découvrir la page facebook de la bibliothèque ici.

 

Propos recueillis par Grégory Rateau

grégory rateau
Publié le 19 février 2017, mis à jour le 20 février 2017

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