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PORTRAIT – Nathalie Johnston, fondatrice de Myanm/art

Écrit par Lepetitjournal Birmanie
Publié le 25 juin 2017, mis à jour le 26 juin 2017

À bien des égards, Yangon a gardé ses airs de capitale du pays. Sa circulation, sa population, ses dimensions, sa profusion de boutiques et marchés? Et ses galeries d'art. Bien que plus discrets, ces espaces d'expression artistique foisonnent et il n'est pas rare d'en découvrir de nouveaux sans même le vouloir. Il est cependant plus rare de trouver des galeries d'art alternatif. Myanm/art est l'une d'entre elle. Installée dans le centre historique, sur Bogalay Zay, la galerie est ouverte depuis un an, sous la direction de Nathalie Johnston. Elle est originaire d'Alexandria, ville d'environ 160 000 habitants dans l'État de Virginie aux États-Unis. La jeune conservatrice nous raconte le parcours qui l'a menée du continent américain à l'Asie du Sud-est.

Nathalie a partagé sa jeunesse entre les États-Unis et la Chine. Ses parents, pour raisons professionnelles, multiplient les allers-retours entre les deux pays. C'est en 1997, à l'âge de 13 ans, qu'elle découvre la Birmanie, un moment qu'elle qualifie elle-même de "fondateur pour une préadolescente". À tel point que lorsqu'elle quitte ce pays, elle est déjà persuadée qu'elle y reviendra. Ce sera chose faite 13 ans plus tard. Diplômée en art avec l'envie de retourner en Asie, elle quitte le continent américain en 2006 et s'installe à Taïwan pour enseigner l'anglais et apprendre le chinois. Elle préfère alors se donner un peu de temps pour trouver sa voie.
Ce sera Singapour qui lui donnera sa chance par l'intermédiaire d'un Master en histoire de l'art contemporain en Asie du Sud-est. Arrivée en 2009, elle profite de ses recherches pour retourner en Birmanie. C'est ainsi qu'elle rencontre les artistes à l'origine du festival Beyond Art. Leur rencontre, ainsi que l'isolement du pays à l'époque, ne font qu'intriguer encore plus la passionnée d'art. Mais les recherches étaient dures : "Il n'y avait pas eu d'études dans ce domaine avant ça... c'est toujours le cas aujourd'hui d'ailleurs" nous dit-elle avec le sourire. Elle a donc créé un blog, Myanm/art. C'était en 2010 et à partir de ce moment-là, elle se rend en Birmanie aussi souvent que possible pour finalement s'y installer en 2013.

Les objectifs de la galerie
D'abord consultante culturelle, elle travaille avec diverses institutions culturelles birmanes mais aussi internationales, comme le Goethe Institut ou l'Institut Français de Birmanie. Puis son entourage l'enjoint à créer son propre espace. Mais l'opération lui semble impossible "parce que si vous voulez ouvrir votre galerie d'art, il faut que l'espace soit propice pour exposer, que l'endroit ait sa propre identité, il faut que ce soit dans le vieux centre parce que c'est là que sont les touristes et il faut que le loyer soit raisonnable... Donc je pensais que cela n'arriverait jamais mais un ami m'a parlé de cet endroit. C'était un oui instantané ! L'endroit est tellement beau, un style ancien, spacieux, un haut plafond, un balcon... Donc mon mari et moi y avons mis toutes nos économies et voilà !".
Sauf qu'il ne suffit pas de louer un endroit pour ouvrir sa galerie."Je ne suis pas une société mais j'ai un permis de travail. Cela aurait été moins cher avec un partenaire birman mais c'était important pour moi d'être capable de prendre les décisions finales sur ce que l'on expose et sur ce que nous essayons de faire. Être seule décideuse rend les choses moins chaotiques pour moi."  À l'écouter, il est clair que Nathalie veut accomplir quelque chose par le biais de sa galerie. "La galerie a deux objectifs. Le premier est d'exposer et de soutenir les artistes qu'on n'expose pas dans les autres galeries. Il y a beaucoup de galeries d'art à Yangon et elles font toutes du très bon travail. Mais elles ne représentent pas assez cette jeune scène expérimentale alternative. Tout simplement parce que cela ne se vend pas. J'ai longtemps étudié l'art birman, j'ai beaucoup écrit dessus et collecté de nombreux livres sur le sujet et il y a, comme par exemple pour la peinture contemporaine, une sorte d'approche nationaliste qui représente la Birmanie sous un certain jour. Et c'est cette vision que les gens veulent, les pagodes, les nagas, les moines... Mais la Birmanie n'est pas que cela et Myanm/art ne veut pas projeter une vision unique. Les artistes que nous avons ici parlent d'eux, de leur identité propre, ils ne cherchent pas forcément à parler de leur identité birmane. Et il y a énormément d'artistes comme cela, je n'aurais jamais ouvert une galerie sans avoir reçu, en amont, le soutient de cette communauté d'artistes. Quand nous avons ouvert, nous avions un an de programmation devant nous.
Le deuxième objectif de Myanm/art est d'être un espace libre et gratuit pour l'expression des artistes mais aussi pour leurs
recherches ou pour apprendre quelque chose. Beaucoup d'entre eux ne sont jamais allés dans une galerie d'art et ceux qui l'ont fait sont très souvent allés dans des galeries bien spécifiques. Et pour moi, c'est complètement fou. Donc au travers de la bibliothèque et le centre de recherches, nous essayons d'ouvrir l'horizon de ceux qui n'en ont pas eu l'opportunité jusqu'à présent. Nous avons 650 livres traitant d'art, d'histoire, de droits humains, de philosophie, de politique..." En somme, Nathalie est une militante de l'art libre, pas ou peu formaté, allant à l'encontre de la demande générale.

Cela ne condamne-t-il pas la galerie?
"Il est très facile de trouver des artistes 'alternatifs' et il est facile d'intéresser les jeunes artistes à la galerie et aux que nous mettons à leur disposition ici. Ce qui est plus dur, pour eux comme pour moi, c'est de vendre leur art. Comparé aux galeries qui vendent cette vision bien spécifique de la Birmanie, nous sommes loin derrière. On a quand même dit à mes artistes qu'ils ne faisaient pas de l'art birman ! Et c'est là où j'en suis actuellement. Je cherche encore un moyen de faire reconnaître cet art alternatif auprès des collectionneurs locaux et internationaux, des touristes afin qu'ils soutiennent ces artistes. Ils ne devraient pas avoir à peindre les collines Chan pour être considérés comme des artistes... Donc c'est compliqué de ce point de vue pour nous tous.
Les artistes alternatifs et trans-médias luttent aussi. Ils ne sont pas libres de créer ce qu'ils veulent, pour les raisons données mais cela les limite aussi dans leur pratique et donc dans l'évolution de leur technique... Donc on peut voir Myanm/art comme un investissement dans leur avenir, en les encourageant, en leur donnant cet espace où ils peuvent s'exposer et s'exprimer", nous dit-elle, souriante et plein d'optimisme. "En un an, les choses se sont améliorées. Nous avons plus de visiteurs, plus d'intérêt du public et des médias dans notre galerie... Donc c'est loin d'être négatif. Il faut juste que je sois plus stratégique pour le futur. Ne pas essayer de tout faire, comme cette année, parce que beaucoup d'artistes viennent nous voir et nous essayons de les aider financièrement également, et ce n'est pas un rythme que la galerie peut supporter sur le long terme. Donc nous allons voir si nous pouvons louer l'espace plus souvent, qu'il y ait plus de fréquentation et je vais essayer aussi de lever des fonds pour développer le côté éducatif".

Donc bien sûr, ce n'est pas facile, mais la galerie continue de fonctionner. Nathalie travaille pour le moment sur l'exposition ROAR - Release Of Artistic Rage - qui sera inaugurée le 15 juillet 2017. ROAR, signifie 'rugir' et est également ici une anagramme  pour une expression signifiant 'Libération de rage artistique'. Une exposition en collaboration avec un collectif d'art de rue avec qui la conservatrice a déjà travaillé. ?C'est très intéressant parce qu'il y a une continuité avec notre collaboration passée ; aujourd'hui je leur demande des choses plus techniques et sophistiquées et ils répondent de manière plus mature qu'avant. L'un d'eux travaille sur un support bande dessinée, un autre sur des posters de films de propagande, ce sera un peu politique mais avec une bonne dose d'humour et le dernier se concentre sur le processus de grandir, de ce à quoi on rêve étant enfant et ce que l'on devient une fois adulte. C'est vraiment très intéressant. 
Cette année, il y aura aussi de très bons événements, quelques artistes internationaux et des résidences d'artistes début 2018. En fait nous essayons d'en faire le maximum avant avril 2018, date à laquelle le bail se termine, au cas où je ne pourrais pas le prolonger... Les propriétaires ne sont pas toujours très patients...  Mais les choses changent doucement, cela prend du temps. Le festival Mingalabar!, par exemple, était impensable il y a cinq ans et maintenant non seulement cela se passe, mais les gens adorent !"

La jeune génération birmane
"Je crois vraiment que Yangon s'est améliorée de ce point de vue, la communication entre les propriétaires de galerie, les conservateurs, les artistes et même la ville s'est améliorée. Et je crois  que la meilleure chose qui puisse arriver faire maintenant, c'est que tous ces gens fassent confiance à la jeune génération et s'organisent entre eux plutôt que d'attendre une aide étrangère pour développer un musée ou un centre artistique communautaire. Alors bien sûr, ce pays est toujours divisé par bien des aspects et les dix prochaines années vont être cruciales. Concernant la manière dont les choses vont évoluer et s'imbriquer, je crois que l'art a un rôle à jouer dans ce processus, l'art peut aider à connecter les gens entre eux. Les jeunes le sont déjà et cela va faire beaucoup de bien à ce pays. Mais ça prendra du temps...
Je pense que beaucoup de personnes jettent un regard négatif sur la transition que traverse le pays simplement parce qu'ils sont impatients. Ils veulent que les choses arrivent maintenant. J'ai l'impression que certaines personnes voient les Birmans comme des gens naïfs. C'est peut-être vrai pour les générations précédentes, mais je crois vraiment que c'est un jugement injuste pour les gens d'aujourd'hui".

La conservatrice  nous entraînant sur un terrain plus politique, nous essayons d'en apprendre plus sur sa conception des liens entre art et politique. Est-ce possible? Dangereux? Vendeur?
"J'encourage mes artistes à être audacieux... Le premier événement que nous avons eu était très politique, ça traitait du socialisme birman dans les années 70. Le résultat était une étrange nostalgie pour les années passées et nous avions peur des réactions. Mais rien ne s'est passé, l'époque était révolue. Maintenant c'est vrai que j'ai moi-même un peu peur parce que je suis seule, je ne fais pas partie d'une structure ou d'une organisation, donc je suis très exposée. Mais d'une certaine manière, les artistes sentent que de ce point de vue, je suis comme eux et cela crée une connexion supplémentaire qui les encourage à travailler avec moi. 
Un autre exemple est cette artiste que nous avons exposée et qui avait fait un énorme vagin et nous pensions vraiment que cela allait faire réagir les gens, créer une controverse... Mais rien.
 La police est venue une fois parce qu'il y avait une voiture diplomatique garée devant le bâtiment pour une soirée conférence. C'est tout. Et puis un bon nombre d'artistes sont fatigués de cela, ils veulent parler d'eux. Et puis très souvent, lorsqu'ils sont politiques, ils ne parlent pas vraiment de ce qui importe, ce sont toujours les mêmes choses qui reviennent. Donc être politique, pourquoi pas, mais pas simplement pour être politique"Voilà une phrase qui pourrait être affichée au frontispice de bien des gouvernements. Et justement, qui s'affiche où?
Voilà quelques suggestions d'artistes et de galeries à voir à Yangon:

Artistes alternatifs à suivre/ découvrir:
- Nyein Chan Su
- Aung Myint
- Nge Lay
- Emily Phyo

Galeries où les trouver (facilement sur internet) et où en découvrir d'autres:  
- Inya Art Gallery
- Studio Square Gallery in Pearl Condo
- Pansodan Gallery
- River Gallery
- New Treasure art gallery
- Lawkanat gallery
- Nawaday Tharlar Gallery
- Gallery 65
- New Zero Art Space  
et bien sûr Myanm/art - 98 Bo Galay Zay Street - Tél.: 09 421 161 755
SLF (www.lepetitjournal.com/Birmanie) Lundi 26 Juin 2017 

 

 

 

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Publié le 25 juin 2017, mis à jour le 26 juin 2017

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